Entre Paris et Joyce DiDonato, c’est une love affair : le public du TCE vient de faire un triomphe à son spectacle Eden, avec lequel la mezzo américaine est en tournée dans le monde entier (et dont nous rendons compte ici). À cette occasion, la chanteuse a accepté de répondre à nos questions…
Rencontre avec celle qui enregistrera très prochainement CARMEN à Strasbourg, aux côtés de ses complices John Nelson et Michael Spyres !
Nicolas MATHIEU : Comment êtes-vous venue à l’opéra, Joyce DiDonato ?
Joyce DIDONATO : Je pense que toute ma vie s’est construite afin d’atteindre ce moment – depuis mes premières expériences de chant dans la chorale de l’église de mon père, jusqu’aux chorales de l’école, aux comédies musicales, puis aux études que j’ai menées pour devenir professeure de musique : chaque étape m’a conduite un peu plus loin dans le monde de la musique et de la scène. Lorsque j’ai découvert l’opéra, j’ai eu l’impression qu’il constituait la somme de tout ce que j’avais appris : la musicalité, la corporalité, le théâtre, la psychologie, la connexion humaine, la spiritualité et quelque chose de bien plus grand que moi. Je suis encore en train de chercher ma voie dans cette immense exploration !
N.M. : Que retenez-vous de vos années d’apprentissage, notamment à l’Academy of Vocal Arts, au programme Apprentice Singer de l’Opéra de Santa Fe, au programme des jeunes artistes du Houston Grand Opera ou au Merola Opera Program de l’Opéra de San Francisco ? Y a-t-il un conseil particulier qui vous a marqué et auquel vous prêtez encore attention aujourd’hui ?
J. DD : Un conseil important qui m’a été donné, c’est celui de connaître la partition mieux que le chef d’orchestre lorsque vous arrivez à la répétition : cela m’a fait comprendre que je suis avant tout une musicienne, et que mon travail consiste à être complètement préparée. Un autre conseil précieux m’est venu du merveilleux metteur en scène Leonard Foglia, qui m’a dit que « sur scène, il n’y a que deux choses qui existent : la vérité et le mensonge ». J’ai ainsi compris que si une chose n’est vraie qu’à 98 %, au fond… elle reste toujours fausse. Cela m’a toujours incitée à m’assurer que chaque mot, chaque note que je prononce sont profondément basés sur la vérité – et je dois faire en sorte de garder mon ego et mon « moi » à l’écart, pour que le personnage, l’émotion et la musique parviennent sans entraves à l’auditeur.
N.M. : Quelles sont les figures lyriques qui vous ont accompagnée pendant votre apprentissage et qui continuent à vous accompagner aujourd’hui ?
J. DD : Ma première impression est que Mozart et Haendel ont été les piliers de ma carrière – en tant que sources d’inspiration, en tant que « professeurs » et en tant que compagnons. Chanter est un acte très intime, et donner vie aux notes, aux rythmes et aux textures que ces maîtres ont griffonnés sur la page crée une relation extraordinaire.
N.M. : On peut trouver plusieurs vidéos de vous donnant des master classes, avec une implication et un enthousiasme étonnants. Qu’est-ce qui vous séduit dans le fait de travailler avec des collègues débutants ? Avez-vous vous-même rencontré des personnes qui ont été importantes dans votre formation et dans le développement de votre carrière ?
J. DD : Ma vie entière a été parsemée de mentors et de professeurs – et je continue à les rechercher, dans ma vie plus encore que dans mon chant. Mais en tant que professeur, ou guide, je prends très au sérieux la responsabilité d’aider à révéler un artiste, afin qu’il puisse non seulement trouver en lui de plus en plus de choses qui le relient à la musique, mais aussi en transmettre de plus en plus au public.
N.M. : Vous avez récemment donné au public français une interprétation très émouvante de Cléopâtre de Berlioz à La Côte Saint-André. D’où vous vient cette affinité avec la langue, la culture et le style français ?
J. DD : C’est un travail toujours en cours, bien sûr… Mais j’ai un grand respect pour la langue et la musique françaises (Berlioz étant lui aussi un « pilier » dans ma carrière !). Il me semble que la pureté et le raffinement requis par ce répertoire préservent mon intégrité en tant que chanteuse. Je pense que des compositeurs comme Berlioz, Bizet, Massenet ont tous porté un amour particulier à la voix de mezzo, et j’aime donc beaucoup me plonger dans ces rôles extraordinaires et complexes.
© Salva López
Berlioz : Les Troyens - "Adieu, Fière Cité"
N.M. : Votre galerie de personnages compte déjà Didon, Marguerite, Charlotte, Béatrice… Carmen est-elle un rôle possible pour vous dans un avenir proche ?
J. DD : Carmen est non seulement possible… mais elle deviendra bientôt une réalité ! Je vais retrouver notre merveilleuse « famille Berlioz » composée de John Nelson, Michael Spyres et la Philharmonie de Strasbourg pour des concerts et un enregistrement chez Warners/Erato au printemps prochain. Je suis très impatiente de faire sa connaissance !
N.M. : Vous n’hésitez pas à prendre clairement position pour certaines causes humanistes qui vous tiennent à cœur : vous avez mené des actions dans les prisons, vous militez en faveur des droits des femmes, des droits LGBT, contre le racisme, pour l’éducation…. Où trouvez-vous le temps et l’énergie pour mener toutes ces actions ?
J. DD : Ah, en fait, cela m’empêche de dormir la nuit. Il y a tellement de choses à soutenir en ce moment : les enfants, les femmes, les pauvres, les exclus, les laissés-pour-compte. J’ai l’impression de ne pas avoir assez de temps ou d’énergie pour mener ces combats. Mais je fais ce que je peux, sans jamais abandonner mon « vrai travail », qui me passionne et que j’aime profondément (et qui, ironiquement, aborde souvent ces questions d’égalité et d’humanité). Je sais que cela peut sembler banal ou ressembler à un mème Instagram, mais il me semble qu’il n’a jamais été aussi urgent de tendre la main et de trouver le moyen de s’aimer un peu plus fort… Sans doute la musique peut-elle être un vrai levier pour parvenir à cette fin.
N.M. : En ce qui concerne vos enregistrements, après In War and Peace, un hymne à la paix et contre la violence, vous avez enregistré un nouveau CD, Eden, évoquant notre planète en péril. Est-il important pour vous qu’un artiste ne soit pas coupé de la réalité du monde et mette son art et sa personne au service de telles causes ? Qu’est-ce qui vous motive dans cette démarche ? Comment avez-vous conçu ce programme ?
J.DD : Les grands compositeurs des siècles passés ont toujours été inspirés par la nature et notre fragilité humaine. C’est ce qui m’a inspirée, car je me suis toujours tournée vers la musique pour être guidée et réconfortée, pour trouver l’inspiration et les réponses à mes questions, lorsque j’avais l’impression de ne jamais en obtenir. En constatant, comme vous dites, que notre planète est en péril, mais aussi à quel point nous pouvons être déconnectés de ce problème, il m’a semblé qu’il s’agissait d’un thème parfait auquel consacrer mon énergie. Je veux rappeler aux gens combien la nature est extraordinaire, combien elle est puissante lorsque nous nous sommes en harmonie avec elle, et que le moment est venu de réfléchir à la façon dont nous interagissons avec elle. La grand bonheur que de ce projet, en dehors de l’incroyable voyage offert par la musique elle-même, c’est l’opportunité de travailler avec des jeunes (jusqu’à présent, plus de 700 !) dans chaque ville que nous visitons. Nous leur proposons des ateliers qu’ils examinent le monde qui les entoure, pour qu’ils voient comment ils peuvent contribuer à le rendre plus fort, et être plus en phase avec lui… Puis ils me rejoignent sur scène pour chanter le pouvoir de semer des petites graines – au sens propre du terme, mais aussi au sens figuré : les graines porteuses d’espoir… Cette expérience a été transformatrice à tous points de vue !
Pour notre compte rendu du spectacle Eden donné au TCE, c’est là !
Pour la version originale de l’interview (anglais), cliquez sur le drapeau !
1 commentaire
Merci pour cette interview car Joyce se fait plus rare à Paris. C est un tel bonheur à chaque fous de la retrouver.