Si la Carmen de Calixto Bieito est arrivée très tard à l’Opéra de Paris (en 2017, dix-huit ans après sa création), elle a déjà été proposée 40 fois sur la scène de l’Opéra Bastille et fait maintenant figure de « classique » : il est à ce titre amusant de constater à quel point le goût et la sensibilité du public évoluent et s’adaptent, ce spectacle, jugé choquant et provoquant quand il fut proposé pour la première fois, paraissant maintenant certes pas « policé », mais parfaitement en phase avec la violence de l’œuvre et des sentiments qui s’y expriment. La transposition dans les années 70, après la chute du franquisme, fonctionne parfaitement, le spectacle offre quelques images saisissantes (l’arrivée de la Mercedes au premier acte, le ballet de voitures à l’acte III, le gigantesque taureau au début de l’acte III – avec une scène de tauromachie à laquelle se livre un danseur nu dans un épisode directement emprunté au Jamón, jamón de Bigas Luna, la mise à mort de Carmen dans une arène imaginaire tracée à la craie…) et surtout une direction d’acteurs qui, à quelques vulgarités près assez inutiles, s’avère redoutablement efficace, surtout dans les deux derniers actes. Mention spéciale enfin pour les beaux éclairages d’Alberto Rodríguez Vega, qui contribuent à créer de véritables tableaux et participent de l’esthétique du spectacle.
Si cette reprise était particulièrement attendue, c’était notamment pour la Carmen de Gaëlle Arquez. Après un Ruggiero d’Alcina et une Angelina de Cenerentola particulièrement applaudis à Garnier, la mezzo française semble marcher dans les pas de Teresa Berganza. De fait, même si l’œuvre est donnée sur l’immense vaisseau de la Bastille, c’est, au niveau du style et du format vocal une Carmen très « opéra-comique » qui nous est donnée à entendre, et c’est tant mieux, tant nous sommes dorénavant déshabitués aux voix quelque peu surdimensionnées jadis distribuées dans le rôle. Certaines scènes sont particulièrement réussies, telle la scène des cartes, saisissante. Pourtant, pour que notre bonheur soit complet, quelques élans lyriques un peu plus prononcés ici ou là auraient été les bienvenus… Michael Spyres est, comme à son habitude, un excellent José, délicat, nuancé, mais aussi capable de toute la violence requise dans le « Je te tiens, fille damnée » du III ou dans le duo final. L’acteur se révèle par ailleurs pleinement convaincant en antihéros dévoré de jalousie. Si Golda Schultz, pour ses débuts à l’Opéra de Paris, triomphe en Micaëla (avec un troisième acte particulièrement fort en émotion), ce n’est pas le cas de Lucas Meachem qui, sans démériter, offre un Escamillo quelque peu terne, sans le sex-appeal que doit nécessairement comporter le personnage. D’une très solide équipe de seconds rôles comportant plusieurs membres (ou ex-membres) de l’Académie de l’Opéra se distinguent les excellentes Frasquita d’Andrea Cueva Molnar et Mercedès d’Adèle Charvet, une Carmen en devenir ! (Elle a déjà interprété le rôle-titre à Bordeaux ou à la Seine musicale…).
Beau succès, enfin, pour les chœurs et pour le chef Fabien Gabel, qui fait ici ses débuts à l’Opéra de Paris et offre une direction de l’œuvre précise, raffinée, dépourvue d’excès. L’œuvre reste à l’affiche de l’Opéra jusqu’au 25 février, avec d’autres noms très alléchants dans les rôles principaux : Clémentine Margaine, Joseph Calleja, Adriana Gonzalez, Nicole Car, Étienne Depuis… Pour plus d’informations et pour réserver vos places, c’est ici !
Carmen : Gaëlle Arquez
Don José : Michael Spyres
Escamillo : Lucas Meachem
Micaela : Golda Schultz
Frasquita : Andrea Cueva Molnar
Mercedes : Adèle Charvet
Lillas Pastia : Karim Belkhadra
Le Dancaïre : Marc Labonnette
Le Remendado : Loïc Félix
Zuniga : Alejandro Baliñas Vieites
Morales : Tomasz Kumiega
Orchestre et Choeurs de l’Opéra national de Paris, dir. Fabien Gabel
Cheffe des Chœurs : Ching-Lien Wu
Maîtrise des Hauts-de-Seine / Choeur d’enfants de l’Opéra national de Paris
Mise en scène : Calixto Bieito
Décors : Alfons Flores
Costumes : Mercè Paloma
Lumières : Alberto Rodríguez Vega
Carmen
Opéra-comique en quatre actes de Georges Bizet, livret d’Henri Meilhac et Ludovic Halévy d’après Prosper Mérimée, créé à l’Opéra-Comique à Paris le 3 mars 1875.
Opéra National de Paris Bastille, représentation du mardi 15 novembre 2022.