Au cours de cinq concerts passionnants, Radio France rend hommage à la grande Nadia Boulanger et à sa sœur Lili en programmant des œuvres de ses amis et ses élèves.
Figure incontournable de la vie musicale française et internationale, Nadia Boulanger (1887-1979), organiste, pianiste, cheffe d’orchestre, compositrice, est l’une des plus grandes pédagogues du XXe siècle. Avec sa sœur Lili (1893-1918), compositrice de talent disparue prématurément, elles grandissent en côtoyant dans le salon de leurs parents les musiciens du Paris musical de l’époque leur ami Gabriel Fauré, Gounod, Massenet, Saint-Saëns, et bien d’autres. Plus tard Nadia devient une figure centrale du salon de « Tante Winnie », la princesse de Polignac née Singer, musicienne confirmée et généreux mécène, qui apporte son soutien à Satie, Poulenc, Milhaud, Stravinsky, ou de Falla, entre autres. À la mort de Lili, Nadia arrête de composer pour se consacrer à la diffusion de l’œuvre de sa sœur mais aussi à l’enseignement et à la direction musicale, carrière exceptionnelle pour une femme à l’époque. Elle enseigne jusqu’en 1939 à l’École Normale de Musique de Paris puis au Conservatoire Américain de Fontainebleau, dont elle devient la directrice et où « Mademoiselle » a comme élèves Bernstein, Copland, Gershwin, Michel Legrand, Walter Piston, Elliott Carter et Philip Glass.
Le concert du 18 janvier, contrairement aux précédents qui donnaient la primauté aux élèves de Nadia, faisait large place à Gabriel Fauré, l’ami dont Nadia, jeune organiste, fut l’assistante à l’église de la Madeleine, avec sa Ballade pour piano et orchestre et son Requiem. Il débutait par un Allegro pour orchestre de Nadia Boulanger, plein de vivacité, de charme et de rythmes vigoureux et contrastés. Suivait la Ballade de Fauré où le grand mélodiste nous convie à la rêverie dans le dialogue entre le piano et l’orchestre auquel la jeune pianiste Nour Ayadi a donné les couleurs et la poésie d’un joli conte, attentive à construire une narration qui s’efface peu à peu dans le silence. Soutenue par le Centre Nadia et Lili Boulanger, Nour Ayadi présentait ensuite Trois pièces pour piano de Nadia Boulanger, pièces courtes de belle facture aux climats contrastés, proches de l’improvisation, alliant mélancolie et primesaut.
Le programme se poursuivait après l’entracte avec la dernière composition achevée d’une Lili Boulanger qui se sait condamnée par la tuberculose et qui dicte son œuvre à sa sœur. Il s’agit d’un Pie Jesu extrait de la Séquence de la Messe des morts, pensé pour un effectif inhabituel, soprano, quatuor à cordes, harpe et orgue, sans doute suggéré par l’état de faiblesse de la compositrice. Œuvre confidentielle et poignante, elle trace un itinéraire chrétien qui mène de l’effroi devant la mort à la résignation et au consentement, résumant ainsi à elle seule toute la séquence du Dies irae. Elle débute par une supplication angoissée pleine des chromatismes douloureux de la partie d’orgue et des grands intervalles de la partie de soprano, avant d’évoluer vers une partie plus apaisée et sereine à laquelle la harpe apporte ses notes consolatrices. Valentina Nafornită, au timbre charnu et rond a su apporter le dramatisme de sa voix comme sa douceur à cette pièce émouvante d’une grande beauté.
Mikko Franck (© Christophe Abramowitz)
Lui répondait ensuite le Requiem de Fauré, pour qui le public garde une grande affection. Peu spectaculaire, ce qui transparaissait dans le placement des deux solistes avec le chœur et non pas à l’avant-scène, sans coups d’éclat sauf dans le Libera Me où le baryton Jérôme Boutillier, beau timbre noir et chaud, a su traduire les angoisses du pécheur devant la mort et son juge, parfois proche de la psalmodie et des modes du plain-chant, il apportait sa consolation à une Lili Boulanger qui a dû penser à celui de Fauré en composant le sien.
Jérôme Boutillier (© Bérangère Lucet)
Mais autant Valentina Nafornită m’avait convaincu dans le Pie Jesu de Lili Boulanger, et non pas qu’elle ait vocalement démérité, autant je l’ai trouvée ici trop incarnée dans celui de Fauré créé, on le rappelle, par le jeune Louis Aubert, au timbre certainement plus diaphane. Mais je pinaille sans doute.
Un mot pour les Chœurs de Radio France, magnifiquement préparés par leur chef Lionel Sow. Mes compliments aux ténors et aux sopranos, souvent sollicités et souvent solistes dans cette partition : deux pupitres d’une homogénéité de timbre quasi miraculeuse, tant et si bien qu’on croyait n’entendre qu’une seule voix. Mikko Franck dirigeait avec sensibilité et justesse l’Orchestre Philarmonique de Radio France en grande forme dans la version de concert 1900 établie par le musicologue Jean-Michel Nectoux, obtenant de l’ensemble une grande émotion, celle qui se mesure à l’absence de tousseurs entre les parties d’une œuvre et au silence recueilli qui suit son dernier accord. Lili et Nadia en auront été consolées.
Valentina Nafornită, soprano
Jérôme Boutillier, baryton
Nour Ayadi, piano
Chœur de Radio France – Lionel Sow, chef de chœur
Orchestre Philharmonique de Radio France, dir. Mikko Franck
Nadia Boulanger
Allegro (création mondiale)
Gabriel Fauré
Ballade pour piano et orchestre, op. 19
Nadia Boulanger
Trois pièces pour piano
Lili Boulanger
Pie Jesu
Gabriel Fauré
Requiem
Auditorium de Radio France, mercredi 18 janvier 2023