Nouvelle production de Parsifal au Grand Théâtre de Genève : une lecture scénique puissante, une interprétation musicale aboutie.
C’est un spectacle d’une pureté incroyable qui nous est présenté par le grand théâtre de Genève. Même si la mise en scène ou plutôt à la mise en abîme déconcerte et va mettre à distance tout un public qui redoute Wagner, indéniablement le spectacle présenté est destiné à un public informé.
Cet opéra, introduit comme un festival scénique sacré de Richard Wagner, est coproduit par la Deutsche Oper am Rhein Düsseldorf Duisburg avec la même distribution de qualité, en renfort de l’orchestre de la Suisse Romande, des chœurs du Grand théâtre de Genève et de la maîtrise du conservatoire populaire de Genève.
D’emblée, on est séduit par la qualité des voix avec toutefois une réserve, la littéralité nuit incontestablement à la musicalité. L’orchestre tout à sa joie d’interpréter cette œuvre d’art total (Gesamtkunstwerk) passe souvent par-dessus les chanteurs, alors que l’on attend une symbiose.
Que nous dit Parsifal ?
Ce testament créatif est une suite de questionnements devenus légendaires – qu’est le Graal ? Qui sont Parsifal, Kundry, Amfortas ? Comment s’articulent-ils dans le cycle wagnérien. Ce champ interrogatif renvoie la question centrale : peut-on jouer Parsifal en dehors la période pascale ?
C’est là 140 ans après sa présentation que l’histoire de l’œuvre rejoint celle de cette création. Initialement imaginée lors d’une cure à Baden Baden, maintes fois reportée, son intrigue est basée sur un incunable strasbourgeois de Wolfrom von Eschenbach, daté du XIIIe siècle. Ce petit texte considéré comme faisant partie à la fois du cycle de la légende arthurienne et codicille du Livre du Graal pourrait faire en soi l’objet d’un article. Il est remarquable que le maître de Bayreuth, après la lecture de ce texte de quelques lignes, ait eu l’intuition d’un opéra de qualité de plus de quatre heures.
La création du Grand Théâtre porte le signe de la maladie (c’est son thème central), elle fait partie de la longue liste de ces événements anniversaires reportés du fait de la pandémie (le renouveau comme signature finale). Alors faut-il comprendre comme une urgence cette programmation en plein hiver (le temps de la mort wagnérienne) et non comme la renaissance annoncée du vendredi pascal (le temps de la rédemption) ?
« Quand j’entends du Wagner, j’ai envie d’envahir la Pologne » nous dit Woody Allen ! Heureusement cet opéra ne produit pas toujours le même effet. Même s’il est vrai que beaucoup détestent, d’autres, dont je fais partie, sombrent et chavirent dès l’ouverture, fatiguent par moments, se surprennent toujours au même instant, s’envolent et frôlent les cintres… et on se dit au final que l’on en veut encore. Effectivement même si l’on connaît bien l’œuvre, son livret, ses phrases et ses airs, chaque interprétation offre une expérience différente.
La mise en abîme voulu par Michael Thalheimer est une abstraction qui prend un sens particulier par ce mur d’où émergent et se réfugient les protagonistes. On ne peut pas ne pas voir une référence au mur des Réformateurs qui se situe à quelques dizaines de mètres de là. Bien sûr, les spectateurs qui découvriront pour la première fois cette œuvre seront déconcertés par une esthétique plus référente à James Russell, qu’à l’imaginaire de William Scott.
Une réserve pourtant sur l’abondance de sang, trop littérale, donc inutile au propos.
Sur la prestation des acteurs/chanteurs : le duo formé par Daniel Johansson – Parsifal – et Tanja Ariane Baumgartner – Kundry – est tout à fait remarquable. Ces deux rôles constituent en soi un paradoxe. Il faut de la maturité pour les chanter mais de la jeunesse pour les interpréter.
Parsifal est un enfant pur, innocent et immature que la compassion magnifie. L’évolution portée par Daniel Johansson en pèlerin aux pieds nus est parfaitement adéquate.
Kundry porte la tâche de culpabilité biblique de toutes les femmes, marque à laquelle Wagner ajoute la duplicité. Tanja Ariane Baumgartner (mezzo habituée, entre autre rôles, à ceux de Fricka ou d’Herodias dans la Salome straussienne) sublime ce personnage et en fait, par son talent, le pivot de l’intrigue. Les autres interprètes offrent une prestation de qualité, mais s’imposent difficilement en marge de ce duo. Sur scène, aux côtés de Kundry et Parsifal, se distinguent notamment Tareq Nazmi – Gurnemanz – et Christopher Maltman – Amfortas -, tous, ainsi que les forces du Grand Théâtre, étant remarquablement dirigés par Jonathan Nott.
Au final, on ne peut regretter qu’une chose, la brièveté de cette programmation (6 dates) dont l’ambition, la pureté et qualité, auraient mérité une plus grande amplitude pour trouver son public. Gageons que le Grand Théâtre fasse entrer cette production dans son répertoire – et espérons des reprises lors des futures saisons !
Parsifal : Daniel Johansson
Amfortas : Christopher Maltman
Gurnemanz : Tareq Nazmi
Kundry : Tanja Ariane Baumgartner
Klingsor : Martin Gantner
Titurel : William Meinert
Filles-fleurs : Julieth Lozano, Tineke van Ingelgem, Louise Foor, Valeriia Savinskaia, Ena Pongrac, Ramya Roy
Chevaliers : Louis Zaitoun, William Meinert
Écuyers : Julieth Lozano, Ena Pongrac, Omar Mancini, José Pazos
Une voix : Ena Pongrac
Chœur du Grand Théâtre de Genève, Maîtrise du Conservatoire populaire de Genève, Orchestre de la Suisse Romande, dir. Jonathan Nott
Direction des chœurs : Alan Woodbridge
Mise en scène : Michael Thalheimer
Scénographie : Henrik Ahr
Costumes : Michaela Barth
Lumières : Stefan Bolliger
Dramaturgie : Bettina Auer
Coproduction avec la Deutsche Oper am Rhein Düsseldorf Duisburg
Parsifal
Festival scénique sacré en trois actes de Richard Wagner, livret du compositeur, créé à Bayreuth le 26 juillet 1882
Grand Théâtre de Genève, représentation du 25 janvier 2023