Après Alzira, l’Opéra Royal de Wallonie-Liège poursuit son exploration du jeune Verdi avec des Lombardi fort bien accueillis par le public.
Il est probablement bien plus facile de réussir Rigoletto, Traviata ou Otello – dont la progression dramatique est parfaitement aboutie – que des opéras de jeunesse tels I Lombardi, où le génie verdien se cherche sans toujours se trouver. Nous admirons trop l’œuvre de Verdi, y compris dans ses opus des années « de galère », pour ne pas reconnaître ici que son quatrième opéra comporte des défauts qui l’ont toujours empêché de s’imposer durablement sur les scènes lyriques : à une histoire alambiquée qui ne nous parle plus guère (en dépit de l’opposition entre musulmans et chrétiens et du message pacifique délivré par le livret), répond une musique qui ne prend vraiment son envol qu’au troisième acte, avec certes des pages magnifiques (le « La mia letizia infondere » du ténor », le duo « Oh belle, a questa misera »), d’autres vraiment surprenantes (la prière de Giselda, d’une facture étonnamment libre, sa grande scène du III), mais aussi, il faut bien le dire, quelques platitudes assez indigestes…
Il faut donc des artistes de tout premier plan pour défendre cet opus difficile, et faire briller les pépites qu’il renferme au-delà de ses faiblesses. L’Opéra Royal de Wallonie-Liège a-t-il tenu la gageure ? En partie seulement…
Si l’intention de la metteuse en scène Sarah Schinasi, telle qu’on la lit dans le programme, est louable (message pacifique, plaidoyer en faveur d’une Jérusalem multiconfessionelle), elle peine à s’incarner dans un spectacle très sage, prenant place dans des décors à la sobriété revendiquée mais sans doute excessive : ils sont constitués pour l’essentiel de panneaux nus, coulissant verticalement ou latéralement, que les beaux éclairages de Bruno Ciulli ne parviennent pas vraiment à « habiller ». Les costumes de François Raybaud sont quant à eux plutôt élégants (n’étaient les manteaux des conjurés à la cinquième scène du premier acte, que de vilains reflets apparentent malencontreusement à des capes en plastique). Mais il aura manqué surtout une direction d’acteurs acérée, apportant aux situations la tension que leur refusent la musique (parfois), et le livret (souvent). Les choristes, notamment, sont constamment livrés à eux-mêmes : qu’ils prient, implorent, appellent à la rébellion, à la guerre, à la paix, ils restent invariablement figés devant le public, sans faire aucun geste (c’est tout juste si quelques croisés daignent dégainer leur épée pendant le « Guerra, guerra! S’impugni la spada »), se contentant de se laisser porter par un praticable roulant qui les mène à l’avant-scène quand ils chantent, puis qui recule quand le chœur s’achève – un procédé qui devient vite très lassant…
À la tête des chœurs de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège (qui mettent un peu de temps à « entrer » dans l’œuvre mais font preuve par la suite d’une implication sans faille) et d’un orchestre maison en très bonne forme (avec un violoniste particulièrement applaudi après sa belle intervention solo au quatrième acte), Daniel Oren propose une lecture contrastée et énergique de l’œuvre, sans toutefois parvenir toujours à transcender une écriture verdienne parfois un peu fruste dans ses choix rythmiques ou son orchestration (le chœur de fête qui ouvre le premier acte, par exemple…).
Vocalement, sans être parfait, le plateau est de qualité, jusque dans les seconds rôles, avec notamment de belles interventions d’Aurore Daubrun (Viclinda), Caroline de Mahieu (Sofia) ou encore Luc Dall’Amico (Pirro). Matteo Roma est un peu jeune de timbre pour le rôle du père Arvino : la voix manque quelque peu de densité, mais la projection impressionne et vaut au ténor de chaleureux applaudissements. Le cas de Ramón Vargas est tout autre : au bout de trente années de carrière, l’émission vocale a perdu de sa stabilité et la projection de son aisance, mais on reconnaît toujours les couleurs si particulières de son timbre et la sensibilité que le chanteur apporte à son interprétation lui vaut là aussi un beau succès. En dépit de certaines notes un peu « fixes » (surtout dans l’aigu), Goderdzi Janelidze convainc en Pagano, dont il traduit bien l’ambivalence (brutal au premier acte, repenti et en quête de pardon aux trois derniers). Reste l’impossible rôle de Giselda, dont peu de chanteuses ont su concilier la différentes facettes vocales, allant du chant suave et recueilli de la prière « Salve Maria! » à l’éprouvant « No!… Giusta causa – non è iddio » où les aigus tranchants le disputent aux sauts de tessiture assassins et aux vocalises di forza. Salome Jicia est l’une des chanteuses capables aujourd’hui de rendre justice à ce rôle : le soin apporté à la ligne de chant et aux nuances évoque la tendresse et la douceur du personnage, et sa technique de coloratura di forza lui permet quant à elle (au prix de quelques duretés dans l’extrême aigu) de rendre toute la véhémence du personnage, en particulier quand Giselda se révolte contre les exactions commises par les croisés.
Rendez-vous maintenant le 21 juin prochain pour Dialogues des Carmélites, dernier spectacle d’une saison qui s’est avérée particulièrement intéressante .
Oronte : Ramon Vargas
Giselda : Salome Jicia
Pagano : Goderdzi Janelidze
Arvino : Matteo Roma
Pirro : Luca Dall’Amico
Viclinda : Aurore Daubrun
Sofia : Caroline de Mahieu
Acciano : Roger Joakim
Prieur : Xavier Petihan
Chœurs et orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie-Lège, dir. Daniel Oren
Mise en scène : Sarah Schinasi
Décors : Pier Paolo Bisleri
Costumes : Françoise Raybaud
Lumières : Bruno Ciulli
I Lombardi alla prima crociata
Opéra en 4 actes de Giuseppe Verdi, livret de Temistocle Solera d’après Tommaso Grossi, créé à la Scala de Milan le 1er février 1843.
Opéra Royal de Wallonie-Liège, représentation du dimanche 21 mai 2023.