Victoire Bunel, Anna Reinhold, mezzo-sopranos
Guilhem Worms, baryton-Basse
Ensemble Il Caravaggio, Camille Delaforge, clavecin et direction
Héroïnes. Cantates Françaises
Cantates et symphonies de Lully, Jacquet de la Guerre, Montéclair, Dornel & Grandval…
1 CD Château de Versailles, mai 2023. Enregistré du 17 au 19 décembre 2021 au château de Versailles, salle Marengo. (58:02′)
En 2021, on avait découvert l’ensemble Il Caravaggio avec le disque Madonna della Grazia, autour d’un programme de pièces sacrées et profanes « caravagesques », autrement dit, issues de l’Italie du seicento. Cette fois, ces musiciens français se tournent vers le répertoire de leur pays, même si l’Italie est loin d’être oubliée. La claveciniste Camille Delaforge, qui dirige l’ensemble, a en effet choisi deux cantates, des extraits de tragédie lyrique et de ballet de cour, ainsi que des airs populaires, tous composés en France entre 1609 et 1728, mais avec une forte présence italienne, pour plus d’une raison. Le Ballet de la reine donné le 31 janvier 1609 était destiné à Marie de Médicis ; on ignore qui en conçut la partition, mais l’air « Nos esprits libres et contents » est pourtant parfois attribué à d’Antoine Boësset. Tout aussi florentin que l’épouse d’Henri IV, Lully est ici représenté par un extrait de son Ballet des amours déguisées, composé en 1664, alors que sa collaboration avec Molière commençait à prendre tournure : c’est en italien qu’est écrite la plainte d’Armide, destinée à une chanteuse italienne. En 1728, un texte rédigé dans la même langue inspira à Montéclair sa cantate La morte di Lucretia. En français, mais sur un sujet tiré de La Jérusalem délivrée, la cantate Le tombeau de Clorinde, composée en 1723 par Antoine Dornel. Seuls les extraits de l’opéra Céphale et Procris d’Elisabeth Jacquet de la Guerre échappent ici à l’influence italienne, sans parler des deux airs qui complètent le programme, le gaillard « Une fillette de quinze ans », et l’à peine plus sérieux « J’ai languy sous vos dures lois », où l’amant éconduit se déclare prêt à rire grâce à l’aide de Bacchus et de son divin breuvage
Clorinde, Armide, Lucrèce : trois « femmes fortes » que l’on découvre ici au désespoir, sur le point de trépasser, ou déjà décédée. Seules deux de ces héroïnes infortunées prennent directement la parole dans ces œuvres, la première étant évoquée indirectement à travers le témoignage d’Argant, qui l’aimait sans en être aimé en retour. Voilà pourquoi la voix que l’on entend d’abord sur ce disque est celle de Guilhem Worms, qui explore avec maestria une large palette d’affects : tristesse de l’amant, colère vengeresse et invocation des esprits. Plus loin, le baryton-basse sait aussi trouver des accents plus bruts pour interpréter la chanson populaire. Elle aussi déjà protagoniste de Madonna della Grazia, Anna Reinhold prête sa voix à Armide abandonnée par Renaud, vingt ans avant la tragédie lyrique que Lully allait composer sur le même sujet ; elle sait ici trouver la rage de la magicienne trahie, avec de belles couleurs sombres. L’autre mezzo-soprano du programme est en revanche une nouvelle venue : Victoire Bunel fait preuve d’un solide tempérament théâtral, pour exprimer la douleur de Procris ou la franche gaîté d’une bergère dans Céphale et Procris, et le monologue de Lucrèce violée par Tarquin, et pour chanter le triomphe posthume d’une Lucrèce très pugnace. Dans ce disque essentiellement vocal, quelques plages – une belle ouverture du très peu connu Jean-Baptiste Morin, et deux danses tirées de Céphale et Procris – permettent néanmoins d’entendre l’ensemble Il Caravaggio à découvert.