Jonas Kaufmann : « Retirer aux gens le droit d’oublier leur chagrin pendant ne serait-ce que deux heures, c’est une énorme erreur ».
Jonas Kaufmann est à Madrid : il a donné jeudi dernier un récital de lieder et mélodies, accompagné par son complice le pianiste Helmut Deutsch. Avant le concert, il a tenu une conférence de presse dans laquelle il a évoqué l’extrême souffrance qui est aujourd’hui celle de nombreux artistes.
Jonas Kaufmann se considère comme privilégié de pouvoir continuer à chanter :
On est peut-être deux douzaines de chanteurs dans le monde dans cette position, à qui on va faire appel quoi qu’il arrive.
À Madrid, le public était bien là, l’Espagne comptant parmi les pays (avec l’Espagne, la Croatie, le Monténégro, la Serbie, Malte, le Portugal, la Russie, la Chine, le Japon, la Corée du Sud, l’Australie ou la Nouvelle-Zélande) à avoir maintenu la programmation de spectacles, en imposant bien sûr un protocole sanitaire strict et rigoureusement suivi . Mais la plupart du temps, les musiciens qui ont encore la possibilité d’exercer leur métier le font devant des salles vides :
Ce qui nous manque, c’est le connexion [avec le public]. Peu importe que les gens portent des masques. Je sentirais sans doute même leur présence derrière un rideau.
Et le ténor d’évoquer alors la tristesse qui saisit les artistes lorsqu’à la fin d’une performance, un silence profond remplace les habituels applaudissements :
Quand vous n’avez que le silence, que pouvez-vous faire ? Public, nous avons besoin de vous et nous avons de vous plus que jamais !
Jonas Kaufmann a également mis les responsables des pays ayant décidé de fermer les salles de spectacle devant leur responsabilité face au malaise parfois extrême ressenti d’une part par le public, d’autre part par certains artistes. Concernant le public, le ténor allemand considère que c’est une erreur que de le priver de l’indispensable soupape qui lui permet de décompresser par rapport aux tensions générées par un quotidien de plus en plus pesant :
Les gens ont besoin de se distraire, ils ont besoin d’oublier, ne serait-ce que pendant deux heures, tous leurs chagrins, et si vous leur retirez ce droit, en même temps que vous leur retirez tout le reste, je pense que c’est une énorme, énorme erreur.
Pour ce qui est des artistes, le chanteur va même jusqu’à évoquer des « situations vraiment terribles », conduisant à de sévères dépressions, voire au suicide chez certains musiciens particulièrement vulnérables ou fragilisés par cette situation :
Ce n’est pas facile d’évoquer ceci en public, mais je connais un certain nombre de suicides dans notre famille des musiciens, qui voient aucun futur, […] aucune perspective, d’aide, de soutien
Jonas Kaufmann a enfin exhorté les autorités à rouvrir les salles et à trouver des solutions pour que l’art continue de vivre, tout en espérant bien sûr que cette crise sanitaire prenne fin le plus vite possible.
Source : Franceinfo