À l’Opéra Comique, un Titon qui se révèle une Aurore rêvée : celle d’un retour sur scène, libre, sans contrainte ni malédiction.
Crédits photos : © Stefan Brion
JEAN-JOSEPH CASSANÉA DE MONDONVILLE : Titon et l’Aurore à l’Opéra Comique
Spectacle disponible en replay ici.
Comme tous les artistes, elle retrouvait le bonheur de jouer ensemble par ces temps terribles pour le monde des intermittents qui font le spectacle vivant. Marie Ange Petit a dû beaucoup s’amuser et savourer ce moment. Ici, comme toujours, elle amène son inventivité dans la partie de percussions qui est sans doute, de loin, la partie la plus libre de la partition. Mais surtout c’est elle qui, il y a trente ans, tenait déjà les percussions dans la version qu’enregistrait le jeune Marc Minkowski. Le flutiste Serge Saitta, la violoncelliste Elena Andreyev sont dans le même cas, ayant eux aussi participé à l’aventure discographique menée alors par Erato[1]. Alors, Lully était la chasse réservée de Christie. Minkowski empruntait les chemins de Marais (Alcyone) ou de Mondonville (Titon). Mais en janvier 2021, la recréation scénique est confiée à Christie, dans le lieu qui vit son apothéose originelle : l’Opéra Comique. Janvier 1987, c’était le choc d’Atys. Minkowski est alors un des bassonistes dans la fosse. L’après-midi, avec certains de ses musiciens, il allait enregistrer son premier disque qui porta ses « Musiciens du Louvre » sur les fonts baptismaux. Myriam Gevers, elle, se trouvait au premier rang des violonistes d’Atys – comme ce soir pour Titon !
Titon et l’Aurore, créé en pleine querelle des Bouffons, le mardi 9 janvier 1753, n’est pas un opéra. Ce n’est pas du tout le genre « tragédie lyrique », mais c’est une « pastorale héroïque » en trois actes et un prologue, faite d’une intrigue amoureuse attendue, de nombreuses danses et d’effets de machineries. Un spectacle d’art total, version Siècle des Lumières. « Une comédie humaine » comme le dit William Christie. Prince et berger à la fois, frère de Priam, le jeune Titon aime l’Aurore. Elle est l’éternel commencement, lui – par la vengeance de dieux jaloux – se retrouve condamné à vivre éternellement sa vieillesse. Destins ennemis dont l’Aurore ne parvient à « séparer le cours. » Mais l’intervention de l’Amour rompt le charme maléfique : Titon est rendu à l’aurore de sa jeunesse. Et voilà le couple devenu « des cœurs reconnaissants, le modèle. » Le livret de l’abbé de Voisenon n’est pas vraiment dramatique, – encore moins héroïque – mais léger et pastoral, avec bergers et bergères, nymphes et moutons, musettes et instruments bucoliques comme ces cloches qui tintinnabulent au deuxième acte. Avec « de jolies mélodies », comme le dit lui-même le chef d’orchestre qui affectionne un compositeur dont il enregistra les grands motets. Il reste que c’est une musique difficile à jouer, de la part d’un compositeur violoniste virtuose qui ne ménage guère les pupitres des cordes – toutes les cordes, y compris les basses.
Dès l’ouverture, l’orchestre des Arts Florissants, entrainé par le violon d’Emmanuel Resche, n’a bien sûr aucun problème et se jouer de ces pièges. Mais nous sommes loin de l’inspiration musicale d’un Rameau. Le timbre, la poésie, les vocalises de Gwendoline Blondeel dressent le portrait sensible d’une Aurore rayonnante. Le Titon campé par Reinoud van Mechelen, rompu à ce répertoire[2], est égal à lui-même : plus qu’idéal, touchant. Quant aux dieux, si le Prométhée de Renato Dolcini reste en demi-teinte dans un long prologue, Emmanuelle de Negri impose une Palès vengeresse, reine des bergers, amoureuse dédaignée par Titon. L’autre jaloux, Éole le roi des vents, trouve le souffle ardent de Marc Mauillon qui impressionne, tant par le style, la diction que par la présence scénique. Julie Roset apporte la fraicheur d’un Amour espiègle et complice. Une belle distribution pour un joli spectacle, à la mise en scène colorée, inventive de Basil Twist, qui signe également costumes et marionnettes, dans un style bucolique mêlé d’humour. Partout des voiles, des drapés mouvants : dans un air pour les esprits du feu, des drapeaux agités stylisent l’incendie ; dans la colère d’Éole, les étoles volent comme si Loïe Fuller s’était réincarnée. Partout des pantins à taille humaine qui bougent, dansent, et symbolisent des personnages manipulés par le deus ex-machina. Et pour finir, ces trois fées dansantes, marionnettes venues des cintres pendant le rondeau en chaconne qui clôt le spectacle. Et partout des moutons, joyeux, bouclés, en troupeau ou même en échelle – pour mettre en miroir, à distance, à notre insu, en ces temps d’obéissance contrainte, notre condition moutonnière ? Alors, ce Titon se révèle une Aurore rêvée : celle d’un retour sur scène, libre, sans contrainte ni malédiction. Un songe léger.
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[1] Le double CD Erato est encore trouvable dès 20 euros.
[2] Parmi ses magnifiques enregistrements, chez Alpha, « Dumesny, haute contre de Lully » donne à entendre toutes les couleurs de son talent et de sa diction parfaite.
Titon Reinoud Van Mechelen
L’Aurore Gwendoline Blondeel
Palès Emmanuelle de Negri
Eole Marc Mauillon
Amour Julie Roset
Prométhée Renato Dolcini
Chœur et orchestre Les Arts Florissants, dir. William Christie
Mise en scène, décors, costumes, marionnettes Basil Twist
Titon et l’Aurore
Opéra en trois actes de Jean-Joseph de Mondonville, livret de l’Abbé de la Marre, créé à l’Académie royale de musique de Paris le 9 janvier 1753.
Production de l’Opéra Comique (janvier 2021), disponible en streaming sur le site de Medici.tv