Ariane et Barbe-Bleue, défenderesse confinée de la libération des femmes à Lyon
Face à la situation sanitaire et les restrictions induites, l’Opéra de Lyon a adapté la programmation de son mini-festival annuel – que la pandémie avait purement et simplement annulé l’an dernier. Sous la thématique « Femmes libres ? », l’institution, récemment malmenée par la nouvelle équipe municipale avec un budget rectificatif conduisant à une baisse de la subvention de la ville de Lyon de 500 000 euros – à l’impact qui parvient à rester encore à peu près symbolique, pour le moment –, a concentré ses rendez-vous du 22 au 26 mars, avec la diffusion en ligne des trois spectacles prévus, complétée par des modules, conférences et visites virtuelles. L’unique ouvrage lyrique de Dukas, Ariane et Barbe-Bleue, a le privilège d’un direct depuis l’Opéra ce mercredi 24 mars.
Commandée à Alex Ollé et la Fura dels Baus, la nouvelle production n’hésite pas à faire appel à des moyens significatifs. Avec l’appui d’une vidéo investissant les deux tiers du plateau, le prélude s’ouvre sur un travelling depuis la lunette arrière d’une voiture, avant de découvrir, dans l’habitacle, un couple en tenue nuptiale. C’est Ariane et Barbe-Bleue, qui se dirigent vers le château de l’époux, au fil d’une route de campagne française et paisible, à peine troublée par un jet d’œufs sur la carrosserie – la révolte des paysans, mentionnée plus loin dans le livret. Mais de cet effet de réalisme cinématographique, certes devenu désormais passage obligé dans la mise en scène lyrique, le collectif catalan, emmené par Alex Ollé, ne tire guère de conséquences, et ne s’en sert que comme matière introductive au décor dessiné par Alfons Flores, où un plafond labyrinthe plane au-dessus des personnages, lequel n’intervient cependant pas vraiment dans la dramaturgie.
Les lumières calibrées par Urs Schönebaum façonnent les mirages des diverses portes de la demeure, dont la seule qui compte est celle qui est frappée d’interdit. Le dispositif scénographique – et lumineux – modèle des effets de dédoublement spéculaires, sans appuyer le propos outre les vertus plastiques, avant de découvrir un ordonnancement symétrique de tables rondes aux allures de dîner de gala, jalonné de lampadaire coniques aux standards de l’élégance impersonnelle. Le sens de la composition picturale se retrouve dans la rébellion des épouses au deuxième acte : le mobilier du repas de noces est empilé pour faire un pinacle à Ariane, autour de laquelle se rassemblent ses comparses dans un triomphe digne de l’art pompier plus ou moins contemporain de l’époque de la création de l’opéra, qui ne manque pas néanmoins de faire écho à l’énergie des luttes du féminisme et de ses néo-avatars d’aujourd’hui – dont la harangue au début de la captation par deux membres d’un collectif revendiquant l’occupation de l’Opéra résume les stéréotypes les plus inclusifs. Le troisième acte s’ouvre également sur un large cadre vide évoquant un miroir de salle d’ablutions. C’est vers les coulisses qu’Ariane et la Nourrice repartiront, laissant les femmes s’avancer vers le devant de la scène, sans trop souligner la paradoxale et mélancolique poésie de ce finale.
Dans le rôle-titre, Katarina Karnéus impose, dans sa blancheur nuptiale dessinée par le costumier Josep Abril Janer, une présence évidente. La mezzo suédoise fait montre d’un engagement sans faille, et sans faiblesse. L’intensité expressive est portée par l’éclat d’un timbre, à peine altéré dans de relatives et passagères faiblesses dans le haut de la tessiture. La diction – que la dynamique orchestrale ne favorise pas toujours – se révèle plus qu’estimable, et ce d’autant plus pour une interprète allophone. Pour autant, la palme de la déclamation revient à la Nourrice d’Anaïk Morel, d’une qualité exceptionnelle. La voix équilibre idéalement la rondeur de la couleur et la précision du verbe inimitable de Maeterlinck, d’une lisibilité remarquable, sans jamais renoncer au naturel. La pari de la jeunesse s’avère plus que payant, dans un rôle que l’on aurait parfois l’habitude de confier aux gosiers émérites. Le quatuor d’épouses – la cinquième, Alladine, est retranchée dans le silence – ne démérite aucunement. On reconnaît la fraîcheur et la légèreté lumineuses d’Hélène Carpentier, tandis qu’Adèle Charvet fait valoir la richesse plus charnue de Selysette. Les répliques d’Ygraine reviennent à Margot Genet, quand celles de Bellangère incombent à Amandine Ammirati. Les apparitions comptées de Barbe-Bleue sont assumées par Tomislav Lavoie, à la stature robuste.
Dans une fosse aux dimensions élargies, avec flûtes et percussions en légère proéminence, Lothar Koenigs restitue avec une admirable intelligibilité la construction motivique de l’ouvrage, dont il éclaire le lyrisme singulier. On applaudira la vitalité dramaturgique de l’écriture orchestrale, qui compense les tentations à l’inertie sur le plateau, avec lesquelles le livret n’évite pas des complicités certaines. La transsubstantiation musicale de Maeterlink passera d’abord par la magie de Dukas.
Ariane et Barbe-Bleue sera disponible en replay sur medici.fr, sur Arte Concert et France Musique en avril, et sur Mezzo cet été.
Ariane Katarina Karnéus
La nourrice Anaïk Morel
Mélisande Hélène Carpentier
Selysette Adèle Charvet
Ygraine Margot Genet
Bellangère Amandine Ammirati
Barbe-Bleue Tomislav Lavoie
Caroline Michel comédienne
Orchestre, Chœurs et Studio de l’Opéra de Lyon , dir. Lothar Koenigs
Mise en scène : Alex Ollé/La Fura dels Baus
Ariane et Barbe-Bleue
Conte en trois actes de Paul Dukas, livret de Maurice Maeterlinck, créé à Paris (Opéra-Comique) le 10 mai 1907.
Captation du 24 mars 2021, Opéra national de Lyon.
Disponible en replay sur medici.fr, sur Arte Concert et France Musique en avril, sur Mezzo cet été