De Rennes à Vienne, il n’y a qu’un pas (ou à peine plus !), que franchit allègrement cette Chauve-Souris de Johann Strauss fils, mise en scène par Jean Lacornerie et dirigée par Claude Schnitzler. De la première à la dernière minute, tout pétille et frissonne. Une magnifique réussite collégiale. Champagne !
Il est rare (en tous cas pour l’auteur de ces lignes) de sortir d’un théâtre en se disant : « Mon dieu, que ce spectacle est intelligent ! ». Pas de cette intelligence sérieuse et parfois prétentieuse qui se noie dans moult références pour montrer qu’elle sait bien des choses. Non, plutôt de cette intelligence de la situation, ce sens du spectacle, cette compréhension des relations humaines faites parfois de petites faiblesses et de grands mensonges et, surtout, de l’humour car, humour et intelligence, ma foi, font souvent bon ménage.
Mais, me direz-vous, il y a déjà tout cela dans La Chauve-Souris, ce chef d’œuvre de Johann Strauss où point à chaque instant cette sensation typiquement viennoise de la Gemütlichkeit ; tout à la fois nostalgie et légère ivresse… Bien sûr, mais il faut avoir le talent de la faire vivre, et Jean Lacornerie ce talent, il l’a, assurément.
Dès l’ouverture du rideau et pendant plus de deux heures, l’auditeur est emporté dans un spectacle onirique, élégant et inspiré entre pantomimes, ombres chinoises, théâtre de marionnettes, cabaret et comédie musicale, le tout minutieusement réglé. Réussite collégiale également grâce à la très belle et astucieuse scénographie de Bruno de Lavenère et aux lumières inspirées de Kévin Briard. Mention spéciale aux chorégraphies pleines d’inventions et d’humour de Raphaël Cottin.
Le succès de cette Chauve-Souris tient aussi à la cohésion et à l’équilibre de l’équipe de chanteuses et de chanteurs réunis sur scène. Tous doués d’un sens du théâtre certain, ils font preuve des qualités vocales attendues dans cette opérette qui, sous un genre léger, demande beaucoup à ses interprètes. Éléonore Marguerre est une Rosalinde idéale de charisme, tant scénique que vocal, et sa Csárdás est un vrai plaisir, même si la voix manque parfois un peu de corps dans le bas-médium.
Dans le rôle d’Adèle, Claire de Sévigné déploie son soprano léger avec une apparente facilité et un charme juvénile. La voix est homogène tout au long de la tessiture avec des aigus clairs et ronds et une ligne vocale magnifiquement ciselée.
L’Orlofsky de Stéphanie Houtzeel est une réussite. Scéniquement, elle promène sur scène un personnage nullement blasé, étrange rejeton de Grace Jones et du Minautore, auquel elle adjoint une voix de poitrine large bien connecté au reste de la tessiture, une projection précise et une diction impeccable.
Veronika Seghers, au soprano lumineux, n’est pas en reste dans le rôle de l’espiègle Ida.
Chez les hommes, Stephen Genz n’est peut-être pas le baryton Martin ( ni le ténor ) attendu dans le rôle de Gabriel von Eisenstein, arroseur cette fois arrosé, mais sa prestance et son bagout font mouche dans ce rôle de jouisseur dépassé par les événements. Les aigus du rôle sont crânement assumés et la puissance est au rendez-vous quand l’écriture l’exige.
Son ami, le Dr. Falk, anciennement arrosé devenu arroseur, est tenu par un Thomas Tatzl débonnaire et bien chantant aux couleurs vocales rappelant parfois un certain Hermann Prey. Le début de son « Brüderlein und Schwesterlein » est un modèle de tenue vocale.
Milos Bulajic est un Alfred assez éloigné de l’archétype du ténor d’opérette. Classe et bien chantant aux aigus puissants et bien projetés, après un début sur le fil, la voix se pose et le charme opère sur Rosalinde… et sur nous. On comprend que celle-ci ait succombé. Notons une diction française excellente et inattendue à l’acte III, inattendue car l’œuvre est chantée en allemand mais nous y reviendrons.
Horst Lamnek est détonnant dans le double rôle de Franck , gardien de prison alcoolique et nouveau meilleur ami du prince. Le premier de ces rôles lui permet de faire de sa grande scène du dernier acte un grandiose numéro de comédien.
François Piolino est un parfait Dr. Blind, un de ces « petits » rôles où il excelle.
Terminons par celle sans qui, et ce n’est en rien faire insulte aux autres, cette Chauve-Souris ne serait pas le superbe succès qu’elle est. Véritable Muse offenbachienne, Anne Girouard est à elle seule tous les personnages et sa prestation est à couper le souffle. Détail de taille qu’on aurait souhaité taire aux futurs spectateurs de ce spectacle, tous les protagonistes chantent en allemand mais parlent en français par la voix de la comédienne. Et non seulement, elle dit leur texte (et de quelle manière !) mais elle les joue, sur scène en même temps qu’eux. Un effet de double qui aurait pu tomber à plat mais cela aurait été sans compter sur la fougue, l’énergie et l’immense talent d’Anne Girouard. Tout cela en ayant la délicatesse de ne jamais tirer la couverture à soi. Bravo Madame !
Le Chœur de Chambre Mélisme(s), toujours aussi bien préparé par Gildas Pungier, est aussi à l’aise scéniquement que vocalement et sonne magnifiquement. Dans la fosse, on applaudit Claude Schnitzler qui mène l’Orchestre National de Bretagne de main de maître avec précision et économie. Rien d’étonnant pour celui qui a dirigé La Chauve-Souris dans plusieurs maison d’opéra dont le Volksoper de Vienne. L’équilibre entre les pupitres est remarquable même si l’implantation des percussions dans les loges de côté aurait pu faire craindre , dans l’ouverture, un léger débordement.
Tout danse, chante et vit dans cette Chauve-Souris et ce soir, Vienne était bien à Rennes.
Rosalinde Éléonore Marguerre
Adèle Claire de Sévigné
Ida Veronika Seghers
Prince Orlovsky Stéphanie Houtzeel
Gabriel von Eisenstein Stephen Genz
Alfred Milos Bulajic
Dr. Falk Thomas Tatzl
Dr. Blind François Piolino
Franck Horst Lamnek
Frosch / Narrateur Anne Girouard
Orchestre National de Bretagne – Grant Llewellyn : Direction musicale
Chœur de Chambre Mélisme(s) – Gildas Pungier Direction
Direction musicale Claude Schnitzler
Mise en scène Jean Lacornerie
Assistant à la mise en scène et chorégraphe Raphaël Cottin
Scénographie et costumes Bruno de Lavenère
Lumières Kévin Briard
Die Fledermaus (La Chauve Souris)
Opérette en trois actes de Johann Strauss fils, livret de Richard Genée et Karl Haffner d’après Le Réveillon d’Henri Meilhac et Ludovic Halévy. Création à Vienne le 5 avril 1874
Chanté en allemand, surtitré en français
Opéra de Rennes, représentation du samedi 8 mai 2021, 18h00
Nouvelle production
En coproduction avec Opéra de Rennes, Nantes-Angers Opéra, Opéra de Toulon-Méditerranée
Ce spectacle a fait l’objet d’un captation et sera diffusé lors de l’opération OPÉRA SUR ÉCRAN(S)
L’événement est prévu mercredi 9 juin 2021 à 20h.
Diffusion dans de nombreuses villes des régions Bretagne et Pays-de-la-Loire sur écrans géants mais aussi sur :
. France Musique
. Les antennes de 9 télévisions locales (à 20h30) : TVR (Rennes), Tébéo, Tébésud pour la Bretagne, TLC (Cholet), Vià LMtv Sarthe, TV Vendée, ViàAngers TV, Télénantes dans les Pays-de-la-Loire, TV Tours-Val de Loire
. France 3 Pays-de-la-Loire et France 3 Bretagne
Un événement Opéra de Rennes et Angers Nantes Opéra