L émotion était palpable en ce jeudi soir Salle Gaveau pour ce qui, pour beaucoup de personnes, constituait le premier concert de l’« après-Covid »… C’est Bruno de Sá qui a eu l’honneur de rouvrir les festivités, avec un récital qu’il a donné accompagné par l’ensemble Les Accents de Thibault Noally. Le programme, intitulé Rome 1700, a permis d’entendre des pages orchestrales et vocales (airs d’opéras et musique sacrée) de Händel, Scarlatti, Caldara et Lanciani.
En six années seulement (l’ensemble a été créé en 2016), Les Accents ont acquis une belle visibilité sur la scène musicale baroque. Sous la houlette de leur chef le violoniste Thibault Noally, ils ont fait preuve de leurs habituelles qualités : musicalité constante, précision des attaques, belle capacité des musiciens à varier les coloris, à se répondre les uns les autres (superbe entrée successive des instruments dans le Quartetto en ré mineur de Scarlatti), et à dialoguer avec le chanteur (bravo à Guillaume Cuiller dont le hautbois a été plusieurs fois appelé à « chanter » avec Bruno de Sá).
Un Bruno de Sá qui a été le grand triomphateur de la soirée ! La carrière de ce jeune contre-ténor soprano brésilien est en pleine expansion : il s’agissait ici de son premier récital français, avant son concert à Montpellier avec Philippe Jaroussky (le Primo Omicidio de Scarlatti, donné ce 25 mai au Corum), puis un premier disque qui paraîtra chez Warner cet automne. L’accroche naturellement haute de sa voix fait évoluer le chanteur sans difficulté aucune dans le registre de soprano, jusques et y compris dans les notes les plus aiguës. Si l’on ajoute à cela une grande maîtrise du souffle, une belle attention accordée aux nuances et surtout une technique qui lui permet de venir à bout de la virtuosité la plus folle (les Amen finals du Gloria de Händel sont pris à un tempo d’enfer !), on comprendra le très grand succès remporté par le chanteur auprès d’un public conquis.
Osera-t-on troubler l’enthousiasme général pour un ou deux (petits) bémols ? On entend parfois, ici ou là, d’infimes problèmes de justesse lorsque le chanteur change de registre (notamment lorsqu’il passe de l’aigu au grave), et surtout, la voix, toute belle qu’elle soit, gagnerait à être plus richement, plus diversement colorée : qu’il s’agisse de chanter la gloire de Dieu, d’implorer sa pitié, de chanter l’amour, d’exprimer la colère, les couleurs restent toujours plus ou moins les mêmes ; et si l’on ressent (un peu) la fureur qui (devrait) embrase(r) l’air du Martirio di Sant’Eustacchio de Lanciani, on le doit peut-être plus, finalement, aux roulements d’yeux, mimiques et mouvements d’épaules alla Bartoli qu’à une véritable autorité dans l’accent et dans la projection, ou à la sollicitation de couleurs vocales idoines – qui devraient ici se faire sombres et rugueuses… Reproches minimes pour un chanteur qui est à l’orée de sa carrière et qui aura, n’en doutons pas, tout le loisir de peaufiner la caractérisation des personnages qu’il sera amené à interpréter.
Rendez-vous à Montpellier le 25 mai !
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Pour ce spectacle, Stéphane Lelièvre a bénéficié d’une invitation de la salle Gaveau.
Les Accents, violon et direction Thibault Noally
Bruno de Sá, sopraniste
Extraits d’œuvres de Scarlatti, Händel, Caldara et Lanciani.
Concert du 20 mai 2021, Paris, salle Gaveau.