Christian Gerhaher et Gerold Huber à la Philharmonie de Paris, l’évidence poétique
Il est des moments rares, des concerts magiques où le temps est véritablement suspendu, où l’osmose entre les interprètes et le choix subtil du programme et de son agencement est une évidence. Ce fut le cas, ce vendredi, dans la belle salle de ce que l’on nommait autrefois la Cité de la Musique.
D’emblée les Sechs Gesänge opus 107 donnaient le ton : celui de l’intimité, de la mélancolie, menant aux confins du désespoir (Im Wald). C’est le foisonnement d’un monde intérieur qui s’ouvre à nous, de la plainte à la fureur, de l’humour le plus grinçant (Der Husar, trara ! , opus 117, sur un texte de Lenau) aux moments hallucinés, voire hantés (Fâcheuse paix de l’opus 117). Et si le souffle de la confession du Solitaire, mettait un point final à l’opus 83 et à ce récital, c’était là un point d’interrogation sur d’insondables abîmes.
Ce qui fascinait, dès les toutes premières notes du piano ouvrant la soirée, c’est l’accord total de Gerold Huber avec cet univers. Sa façon de nous faire pénétrer au royaume du rêve mélancolique est le résultat d’un travail de fond sur les partitions, comme d’un travail d’accompagnateur qui s’étend sur des années de complicité avec Christian Gerhaher. La respiration musicale est la même. L’entente, la symbiose sont absolument parfaites. Les fins de lied où le piano meurt seul (comme dans Celui qui s’éprend de solitude dans l’opus 98/a) nous laissent dans un ailleurs inouï.
Les Debussy (Trois chansons de France, et plus encore les Trois poèmes de Mallarmé) ne furent pas en reste, avec une diction française confondante de subtilité.
Devant le succès, les artistes revinrent pour deux bis précieux, logiquement griffés Schumann : Tragädie, le petit cycle bouleversant des trois mélodies opus 64. Puis le Clair de lune, clin d’œil à Debussy par son titre. Le cycle était refermé, la soirée se terminait, la tête dans les étoiles.
Christian Gerhaher n’est pas l’interprète de Schumann. Il est sa voix intime, nous donnant l’impression de cette confidence intime partagée et comme inventée pour nous. Savoir que le confinement lui donna tout loisir d’enregistrer et peaufiner l’enregistrement de l’intégrale des mélodies schumanniennes* est la promesse d’un très grand moment discographique. Comme chacune de ses apparitions est la promesse d’un total bonheur musical.
* A paraître à la rentrée de septembre chez Sony
Christian Gerhaher, baryton
Gerold Huber, piano
Robert Schumann
Sechs Gesänge op. 107
Claude Debussy
Trois Chansons de France
Robert Schumann
Lieder und Gesänge op. 98a
Drei Gedichte aus den Waldliedern op. 119
Vier Husarenlieder op. 117
Sechs Gesänge op. 89
Claude Debussy
Trois Poèmes de Mallarmé
Robert Schumann
Lieder und Gesänge op. 83
Philharmonie de Paris, vendredi 25 juin 2021