Du 6 au 21 juillet, les Nuits d’été du Capitole, sont autant de propositions éclectiques (13 concerts) pour aborder la joyeuse période des festivals. Christophe Ghrisiti, directeur artistique les a construites avec « la volonté farouche de reprendre l’activité ». Entre Jordi Savall et les Carmina Burana, l’Hommage à Séverac (7, 8 et 10 juillet) est particulièrement bienvenu pour le centenaire de la disparition du compositeur, natif du Lauragais. Découvrir des extraits d’œuvres scéniques, redécouvrir ses mélodies et cycles pianistiques (En Languedoc) est un bonheur grâce à des artistes investis et curieux. Si l’affluence n’est pas au rendez-vous, l’accueil du public est très chaleureux aux concerts des 7 et 8 juillet.
En 1909, un compositeur « se décentralise » lui-même !
Avant la Grande Guerre, aucune carrière artistique française ne se déroule hors de la capitale. A l’instar du peintre Cézanne replié en Provence, Déodat de Séverac (1872-1921) choisit de « se décentraliser » de son propre chef en Occitanie, après de longues études à la Schola Cantorum (Paris). Entre sa commune natale (Saint-Félix-Lauragais) et Céret (Roussillon), le fils du baron de Séverac construit son espace de vie, proche d’autres régionalistes militants, des poètes, félibres, peintres, sculpteurs, chefs de chœur et d’harmonie. Après avoir été interprété de Paris (Le Cœur du moulin, 1909) à Bruxelles, le compositeur indépendant s’émancipe du milieu parisien (dont il a dénoncé le centralisme dans sa thèse à la Schola) et goûte à la joie de vivre en Catalogne lorsque naît sa fille Magali, la tant amado.
Ce faisant, il s’insère dans un réseau amical d’artistes peintres (la future école de Céret) et d’interprètes (les pianistes Blanche Selva, Ricardo Viñes), tout en investissant les lieux culturels méditerranéens : les Schola, églises et Théâtres de plein air. Cette position affranchie n’aide pas à sa promotion durant sa courte vie : ses créations, ses projets inachevés et le manque de suivi de ses éditeurs seront des puissants freins pour sa postérité, alors que Debussy le crédite de faire « de la musique qui sent bon, et l’on y respire à plein cœur ».
Après le premier « réveil déodatien » des années 70, stimulé par les enregistrements d’Aldo Ciccolini, nous espérons que le second soit déterminant ! Les festivals actuels de Céret, de Saint-Félix-Lauragais et cet Hommage du Capitole en sont les vecteurs, complétés par ceux de la recherche (colloque international Séverac à l’université de Toulouse) et de l’exposition Sur un air de Déodat de Séverac de la Bibliothèque d’Etude et du Patrimoine de Toulouse (jusqu’au 2 octobre 2021) :
Deux (des trois) programmes de concert de l’Hommage à Séverac
Le premier programme de cet Hommage à Séverac, Déodat à l’opéra, lève le voile sur deux œuvres scéniques tombées dans l’oubli. La première, Héliogabale, tragédie de Sicard avec musique de scène créée au Théâtre des arènes de Béziers (1909), est une œuvre d’envergure destinée à un plateau de 400 artistes ! Ici, les extraits du Prologue (les choryphées ténor et soprano) et de l’acte du baptême chrétien mettent en valeur la puissante fresque chorale (Chœur du Capitole) alternant avec le diacre, l’éloquente basse Jean-Fernand Setti. Toutefois, l’absence de scénographie (le chœur dissimulé derrière le piano), ou d’une mise en lumières sur le plateau nuit à la perception d’une partition qui préfigure les B.O. des premiers péplums. Entre temps, quelques extraits chambristes (trop disparates) sont l’occasion de goûter aux Souvenirs de Céret que le violon de Guillaume Chilemme fait danser.
La seconde œuvre révélée, la farce lyrique Le Roi Pinard 1er (1919, inachevée), sur un texte désopilant du complice catalan Albert Bausil, est une trouvaille de la cheffe Anne Le Bozec (au piano et à la direction artistique). Cette farce est issue d’un manuscrit de l’exceptionnel fonds Séverac (Bibliothèque de Toulouse). Et là, le public jubile de bout en bout des extraits – danses, chœurs, airs solistes – tant l’humour potache ou incongru, l’espièglerie musicale sont irrésistibles. Signalons en particulier la « Danse du tonneau et du bidon », la beauté harmonique du Chœur des Demoiselles (excellente prestation des artistes femmes du Chœur), la piquante Valse du bouquet en duo vocal, etc. Les artistes esquissent un jeu scénique lors du final hilarant, confrontant le ministre Kompétence (la basse Jean-Vincent Blot, en verve) aux acolytes. A quand une production scénique de cet opéra bouffe, héritier patent du Roi malgré lui (Chabrier) ?
Le second programme, Mélodies et chansons, est consacré à la mélodie, un art de l’intimité dans lequel Séverac occupe une place de choix, plus proche de Gabriel Fauré et de Charles Bordes, que de Ravel. L’originalité de ce concert est d’en présenter trois axes, approfondissant sa personnalité. La mélodie sur des poèmes contemporains (dont la célèbre Ma poupée chérie, dédiée à sa fille), les rares chants en occitan (voir ci-dessous) enfin, les chansons à connotation ancienne déploient leur spécificité. Cette dernière catégorie est référencée au collectage que Déodat a harmonisé : Les Vieilles chansons de France.
D’excellents interprètes réunis autour d’Anne Le Bozec
Anne Le Bozec © Caroline Doutre
Anaïs Constan © James Desauvage
Adèle Charvet
Les 6 chanteurs réunis autour d’Anne Le Bozec sont suffisamment investis et familiers de la prosodie française pour exceller dans ces répertoires multiples. La soprano Anaïs Constans domine la distribution par l’aisance vocale (y compris dans les pianissimi), l’amplitude dosée, la palette des couleurs, sans omettre l’engagement comique lorsqu’elle endosse le serre-tête fluo pour jouer la princesse Nevrozita du Roi Pinard (air « J’ai mes nerfs »). Cependant, le summum de l’émotion est atteint dans le chant occitan Albada a l’Estèla (Aubade à Estelle), une perle de Déodat, certainement liée à la plus grande fête du Félibrige (Sainte Estelle). La soprano Françoise Masset est une diseuse accomplie qui détaille les chansons « à la Yvette Guilbert », faisant rouler les allitérations de la Chanson de Blaisine, jouant la saynète comique, Le Roi a fait battre tambour. Le timbre sensuel de la mezzo Adèle Charvet fait chavirer Un rêve sur les vers d’Edgar Allan Poe et restitue l’esthétique debussyste de déclamation dans L’Infidèle (poème de Maeterlinck). Si le ténor Carl Ghazarossian manque parfois de timbre (hormis dans l’inquiétante mélodie Les Hiboux), son naturel fait merveille dans le comique de situation, tel « Je suis Toufor » du Roi Pinard. S’adaptant à tout registre poétique, la pianiste Anne Le Bozec est une musicienne aguerrie, qui fait vibrer la juste couleur de chaque « paysage intérieur » déodatien, souvent basé sur un ostinato mélodique ou rythmique.
Sorte d’entr’actes instrumentaux, les pièces pour piano à quatre mains (avec l’excellente Flore Merlin) nous plongent soit dans la suite Le Soldat de plomb, soit dans le répertoire traditionnel revisité par Séverac, telle la Danse des treilles, issue du tableau des Vendanges du Cœur du moulin.
Du religieux au profane, du chœur a cappella à la danse, de la chanson comique à la mélodie élitiste, le compositeur tire la quintessence de l’art musical. Et Anne Le Bozec, véritable Clémence Isaure (fondatrice des Jeux Floraux de Toulouse) de cet Hommage à Séverac est bien la fée de cette joyeuse équipe. Une équipe qui bisse le refrain de la saynète Pour le jour des rois … à l’unisson du public conquis.