Crédit photos : © Luc Jennepin
FROM comme Festival Radio-France Occitanie Montpellier. Notre carnet de bord vous communique les coups de cœur de l’édition 2021 sur la place montpelliéraine . Dès qu’une voix, un chœur ou un opéra se profilent, nous sommes en salle ou en coulisse pour expérimenter l’adage du festival : « chaque concert est une fête » !
23 Juillet : De lumineuses ténèbres
Programme :
Guillaume Bouzignac, Ha plange ; Unus ex vobis ; Ecce Homo ; In Pace.
Giacomo Carissimi, O Vulnera Doloris ; Lamentatio Damnatorum ; Christus factus est.
Gregorio Allegri, Miserere mei Deus
Artistes :
Agathe Peyrat, Deborah Cachet (soprani), Floriane Hasler (alto), P.-A. Bénos-Dijian (contre-ténor), Nicholas Scott, Zachary Wilder (ténors), Virgile Ancely, Renaud Delaigue (basses)
Ensemble Le Poème harmonique, direction Vincent Dumestre
La place du sacré, chacun en décide pour lui-même dans sa vie. Mais écouter les Leçons de ténèbres de Bouzignac dans la nef de la cathédrale Saint-Pierre (Montpellier) illuminée aux bougies, avec l’ensemble le Poème Harmonique, c’est une expérience humaine hors du commun. Quasi métaphysique …
Grâce au parcours occitan des Leçons de ténèbres du FROM (voir quelques clés ci-dessous), certains pèlerins de la musique ont pu découvrir ou redécouvrir celles de M.-A. Charpentier, F. Couperin, J.-B. Gouffet, S. de Brossard, M.-R. De Lalande, M. Lambert, depuis la première étape perpignanaise (le 17 juillet) jusqu’à la 7e et ultime station, ce 23 juillet à Montpellier. Nous y découvrons celles de Guillaume Bouzignac (ca 1587-1643), un contemporain de Monteverdi. Le compositeur issu du Narbonnais a peu laissé de traces au gré de ses postes, « choriste à Angoulême, prêtre à Bourges, maître de chapelle à Clermont, passé peut-être par Tours et Montauban » (notice du programme de Vincent Dumestre). Mais sa musique, en partie sauvegardée dans le manuscrit de Deslaurier, voisine avec d’autres motets latins de Giacomo Carissimi. D’où l’idée pertinente de Vincent Dumestre, chef et fondateur du Poème Harmonique, de présenter ces pièces latines du français et du romain en alternance, avant de conclure avec le célèbre psaume de pénitence de Gregorio Allegri.
L’expressivité de Bouzignac, sa capacité à moduler l’espace sonore, du solo (celui du nouveau recitar cantando) jusqu’à la polyphonie vocale, sont bluffantes dans l’acoustique d’un édifice gothique. La pièce Ha ! plange manie instruments (continuo à l’orgue) et voix (9 interprètes émérites) à la manière du gran concertato vénitien des Vêpres de la vierge (Monteverdi). La direction de Vincent Dumestre valorise la musicalité instrumentale (2 violonistes, 1 cornet à bouquin, violistes gambistes, organiste, théorbiste) à l’égal de celle vocale. L’osmose est tout aussi aboutie pour les leçons suivantes : l’étirement du tactus dans Unus ex vobis, les ruptures poignantes (Ecce Homo) font pénétrer l’auditeur dans les profondeurs de l’humain (jamais « trop humain »). In Pace dévoile la théâtralité du dialogue vocal, grâce aux trois excellents solistes (basse, ténor, haute-contre) de l’ensemble.
La mise en perspective avec les pièces latines de Carissimi, puis avec le psaume d’Allegri place légitimement Bouzignac dans la haute sphère franco-italienne du premier baroque. L’auditoire est submergé d’émotion lors du Christus factus est de Carissimi, dont le déploiement est une véritable cosmogonie à lui seul, dilatant et rétractant l’espace de manière organique. Mais les émotions ne sont pas épuisées … En clôture, les versets successifs du Miserere d’Allegri, polyphonie cette fois a cappella, réservée à la chapelle Sixtine sous l’Ancien régime, sonnent magistralement depuis les chapelles latérales de la cathédrale Saint-Pierre. Au fil des versets en apesanteur sur les cimes du registre vocal, les instrumentistes, demeurés silencieux sous les immenses orgues, éteignent les 7 bougies, une à une : un usage symbolique des Leçons de ténèbres. Merci aux artistes du Poème harmonique pour ces émotions qui outrepassent le cadre du concert !
Clés sur les Leçon des ténèbres
De 1650 jusqu’à la Révolution, ce rite pascal de la confession catholique met en musique les versets latins des Lamentations de Jérémie (Ancien Testament) lors des trois offices correspondant aux jeudi, vendredi et samedi saints qui précèdent Pâques. Prévue à l’origine pour l’office monastique des matines (en nocturne), ces récitations (Leçons) de la Passion sont transférées à l’église (la ville, la cour). Il s’agit de favoriser le recueillement – et le prosélytisme catholique romain – lorsque la période du Carême oblige les théâtres à fermer. Autour de 1700, le goût de l’ornementation vocale (porté par l’Air de cour) et l’influence italienne (madrigal, oratorio) imprègnent ce genre vocal et instrumental.