Crédit photos : © Opéra Royal de Wallonie-Liège
Liège, Verdi, La Force du destin
La maison d’opéra liégeoise ouvre sa saison avec une nouvelle production de La Forza del Destino de Verdi efficace et bien chantante où les seconds rôles maîtrisent avec talent l’art d’en remontrer aux premiers.
L’œuvre du maître de Busseto, si elle souffre parfois de quelques longueurs, réserve souvent de magnifiques pages d’une musique couchée sur un livret pour le moins capillotracté. La vraisemblance douteuse de certaines situations alterne avec des scènes à la profondeur psychologique toute sibylline. Et pourtant, le spectateur est emporté dans ce flot de passions sanguines, de vertus plus ou moins grandes, d’honneur bafoué et de vengeance à assouvir. Au-delà du tragique de ces situations, il y aussi cet humour proche du burlesque qui apporte de la légèreté au ton général et tragique de l’action, des moments scéniques et musicaux qui empêchent le quidam assis dans son fauteuil de sombrer avec Leonora, Alvaro et Carlo dans des affres de désespoir face à un destin qui, décidemment, s’acharne, fatal et inéluctable.
Une mise en scène légère et efficace
Dans cette nouvelle production de La Force du Destin, la mise en scène de Gianni Santucci (d’après une idée originale de Stefano Mazzonis di Pralafera †) nous offre une lecture légère avec une vision traditionnelle et sans surprise de l’œuvre. Pas de transpositions spatiale ou temporelle farfelues. Pas non plus de prologue psychologisant superflu joué durant l’ouverture. Seul un jeu de tarot sur le rideau de scène introduira le spectateur dans cette tragédie « ibérico-italienne » que les anciens Grecs n’aurait pas reniée. De l’efficacité, rien que de l’efficacité mais de l’efficacité intelligente. Le regard est uniquement braqué sur des personnages impuissants face à leur destin, même si des changements de scène visibles apportent un pas de côté bienvenu, nous rappelant que nous sommes bien au théâtre. La scénographie de Gary Mc Cann est magnifique, souvent poétique nonobstant quelques scènes plus prosaïques notamment à la fin du quatrième acte avec cette cabane (en tôles ???) de la pauvre Leonora. Soulignons également la qualité des lumières d’Alex Brok et la sobriété des costumes de Fernand Ruiz. Les nombreuses scènes d’ensembles, dansées et chantées, sont parfaitement intégrées à l’action et, même si Gianni Santucci a laissé beaucoup de liberté aux artistes, tout est nettement construit, sans statisme pesant ou surenchère de mouvement. Nous n’en dirons pas de même concernant la direction d’acteur des premiers rôles. Que de bras écartés, de mouvements gratuits ou de poses stéréotypées chez nos héros du jours. Les grands chanteurs ne font pas toujours de grands acteurs et un peu de sobriété aurait été la bienvenue. Reste à savoir s’il est dans la nature de certains chanteurs de savoir se laisser diriger… Interrogeons nous également sur l’usage étonnant d’une clef pour ouvrir une besace ou de l’intérêt de parler cinq minutes d’une épée quand on se bat au pistolet…
Des chanteurs qui connaissent leur Verdi sur le bout des doigts
María José Siri est une Leonora de belle tenue, soucieuse de la ligne vocale et au souffle bien contrôlé. Son « Vergine degli angeli » est ainsi un modèle de bel canto et la puissance sait être au rendez-vous, notamment dans le fameux « Pace, pace… ». La voix de la soprano a cette homogénéité, cette plénitude et cette émission typiques du spinto attendu dans le rôle. Manquent cependant quelques sons filés et variations dans les nuances pour que le portrait vocal de cette Leonora soit complet. Nous aurions ainsi souhaité que le métal de la voix laisse transparaitre bien souvent plus de cristal. L’actrice est impliquée mais on la sent gênée aux entournures au premier acte, les affres de la jeune fille amoureuse la trouvant moins convaincante que les émois de la femme accablée du dernier acte.
Marcelo Alvarez est un Alvaro fougueux et trompettant au slancio indiscutable même si ce côté « toutes voiles dehors » à la virilité parfois sommaire peut déconcerter. Les demi-teintes, effets de couleurs et de dynamiques ne manquent pourtant pas et sont parfaitement en situation mais l’interprétation souffre souvent de surcharge expressive et certains choix interprétatifs font parfois se demander s’ils sont dus au besoin de l’action ou aux nécessités techniques de l’interprète. L’artiste sait portant se montrer plein de ressources et surmonte avec professionnalisme un léger accroc vocal à la fin de l’acte 3. L’acteur est également investi mais souffre de ce manque flagrant de naturel qui aurait pu faire de son Alvaro un personnage romantique et moderne à la fois.
Du jeu d’acteur de Simone Piazzola, nous n’en parlerons pas tant l’artiste semble se concentrer uniquement sur son émission vocale. Que Carlos soit doté d’une certaine noblesse monolithique pourquoi pas, mais quel dommage de ne pas mettre au service du drame cette fermeté de l’émission, cette fière allure, cet aigu conquérant, ces phrasés élégants. Le baryton semble vouloir reproduire à tout prix un geste vocal qu’on devine minutieusement travaillé mais nous aurions aimé, plutôt qu’assister à une magnifique leçon de chant, vivre également un moment de théâtre.
Des rôles secondaires… pas si secondaires
Le théâtre et la vie, il faudra les chercher auprès du Padre Guardiano, du Fra Melitone, de Preziosilla et de ces rôles dits secondaires sans qui une Forza del Destino ne peut être une réussite. Nino Surguladze est Preziosilla d’une tenue supérieure à ce qu’on nous offre bien souvent dans ce rôle. Ni vulgaire, ni gouailleuse mais fine mouche et bien chantante, c’est un plaisir pour les oreilles. La voix est souple, les registres bien équilibrés et les vocalises négociées avec talent. Seul le trille nous a semblé bien discret. Les yeux ne sont pas en reste, l’actrice faisant preuve d’un naturel, d’une fraicheur et d’une présence confondantes.
Michele Pertusi est Padre Guardino d’une généreuse intériorité. La chanteur est d’une très grande classe. La voix est homogène dans tous les registres, d’une belle ampleur avec un legato égal sur toute la tessiture. Son Padre est de ceux à qui on ne la fait pas et qui sait tenir son monde avec une bienveillante bonhomie. Avec déjà près de 40 ans de carrière, Michele Pertusi reste assurément l’une des plus belles basses du moment !
Ce trio de seconds rôles supérieurs est complété par un Fra Melitone, plus baryton que basse bouffe, assez bien chantant pour éviter le parlando et fantaisiste à souhait. Chacune des apparitions d’Enrico Marabelli est une bulle éclatante d’humour et l’implication physique de l’interprète est impressionnante de naturel et d’à propos à chacune de ses apparitions.
Maxime Melnik, Alexei Gorbatchev, Angélique Noldus sont également à citer dans ce panel d’artistes aux rôles dits secondaires mais qui apportent une vraie consistance dramatique à l’interprétation de cette Forza.
Des forces de l'Opéra Royal de Wallonie-Liège en grande forme
Les Chœurs de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, dont on a déjà évoqué l’aisance scénique, se révèlent d’une qualité vocale remarquable même si nous aurions aimé parfois un peu plus de puissance. Renato Palumbo, à la direction musicale, mène tout son monde de main de maître. Attentif aux chanteurs, il montre un vrai sens de la narration. Dès l’Ouverture, on sait déjà que personne n’en réchappera. Le Maestro sait également unifier les différents styles vocaux et musicaux de la partition. Il montre un vrai sens des couleurs orchestrales avec un étonnant travail sur les contre-chants instrumentaux. De l’Orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, soulignons la précision des traits de cordes, les belles couleurs de l’harmonie, la ferme tenue des cuivres et de très beaux solos, notamment celui du violon solo dans la scène du monastère.
Au salut final, le public est ravi. Les premiers rôles l’emportent à l’applaudimètre mais pourtant, ce sont les seconds qui ont porté, ce soir, cette Forza del Destino à un très haut niveau.
Donna Leonora Maria José Siri
Preziosilla Nino Surguladze
Curra Angélique Noldus
Don Alvaro Marcello Alvarez
Don Carlo de Vargas Simone Piazzola
Le Marquis de Calatrava Alexei Gorbatchev
Padre Guardiano Michele Pertusi
Fra Melitone Enrico Marabelli
Trabuco Maxime Melnik
Orchestre et Chœur de l’Opéra Royal Wallonie-Liège, dir. Renato Palumbo
Denis Segond, chef des chœurs
Gianni Santucci, mise en scène et chorégraphie
Gary Mc Cann, décors
Fernand Ruiz, costumes
Alex Brok, lumières
La Forza del destino (La Force du destin)
Opéra en trois actes de Giuseppe Verdi, livret de Francesco Maria Piave d’après Alvaro o la forza del destino d’Ángel de Saavedra, créé le 10 novembre 1862 au Théâtre impérial Bolchoï Kamenny de Saint-Pétersbourg (version définitive : 27 février 1869, Teatro alla Scala, Milan)
Nouvelle production
Opéra Royal de Wallonie, Liège, 16 septembre 2021