Les Grandes Voix ont décidé de débuter cet automne, au Théâtres des Champs-Élysées, en nous parlant d’amour par la voi(x)e du ténor Benjamin Bernheim et du pianiste Mathieu Pordoy. Un magnifique récital, intense et émouvant, et un triste constat cependant : il n’y aurait pas d’amour heureux.
« Rien n’est jamais acquis à l’homme Ni sa force
Ni sa faiblesse ni son cœur Et quand il croit
Ouvrir ses bras son ombre est celle d’une croix
Et quand il croit serrer son bonheur il le broie
Sa vie est un étrange et douloureux divorce
Il n’y a pas d’amour heureux »…
Il n’y a pas d’amour heureux (Extrait)
Louis AragonLa Diane Française (1944)
On ne sait si Benjamin Bernheim et Mathieu Pordoy ont les amours heureuses mais le voyage musical de ce soir nous mène vers des rivages de sentiments au romantisme sombre et triste et où le drame sourd à chaque instant. Un programme dans lequel Chausson, Duparc, Brahms, Britten et Bridge se donnent la main pour nous raconter des histoires de vie comme autant de mises à nu émotionnelles où l’ombre de Werther n’est jamais loin.
Il fallait bien l’immense talent de nos deux artistes du soir pour réussir à créer un moment intime et complice dans cette grande salle du Théâtre des Champs-Élysées où l’on ne nous a pas épargné un programme de salle mincissime, donc sans les textes chantés, et où la technologie du sur-titrage ne semble pas avoir été adoptée pour le récital… Par contre, si besoin est, et pour information, le réseau téléphonique passe très bien. Cette délicate sonnerie retentissant juste après l’entrée en scène de Benjamin Bernheim et Mathieu Pordoy aura au moins été l’occasion de constater qu’ils ne manquent pas d’humour.
Plus sérieusement, on ne sait ce qu’il faut admirer le plus chez notre ténor. Enfin si, on le sait très bien : la qualité de la prononciation, avec ces [–e] muets intelligemment prononcés, ces [r] grasseyés avec finesse en français, le naturel de la diction de manière générale ainsi que la longueur de souffle impressionnante utilisée au service de l’expression et qui nous vaudra un Temps des Lilas d’Ernest Chausson d’une émouvante poésie. On aime aussi ces ressources de puissance, de legato, de nuances et de demi-teintes (The Salley Gardens, Benjamin Britten). On admire la voix en elle-même, puissante, projetée (même si les notes les plus graves de la soirée semblent moins confortables) et capable vous procurer un shoot d’harmoniques à vous tirer les larmes des yeux. Du chant comme on l’aime, viril, maîtrisé et sensible. Chapeau bas !!!
Le programme de ce récital nous parle d’amour et nos artistes ne sont pas avares de répertoire à ce sujet. Un « Poème de l’amour et de la mer » de Chausson d’une rare poésie comme nous l’avons dit mais également trois mélodies de Henri Duparc dont une Phidylé troublante et sensuelle, quatre lieder de Johannes Brahms aux tristes échos de Requiem allemand et deux mélodies de Benjamin Britten au doux parfum folklorique et printanier. Ce récital se termine avec un Love went a-riding de Frank Bridge à l’aigu final vaillant et longuement tenu, le chanteur d’opéra n’étant jamais loin.
Nous aurons d’ailleurs droit à deux bis, un clin d’œil à la ville lumière avec « Voyage à Paris « de Francis Poulenc et un extrait d’opéra, « Pourquoi me réveiller » extrait du Werther de Jules Massenet, air en forme de quintessence de la vision de l’amour de Benjamin Bernheim ce soir, un amour valeureux, intense, dramatique et nuancé.
Nous n’oserons pas dire que l’amour, c’est mieux à deux mais il serait dommage d’oublier celui sans qui cette soirée romantique ne saurait être une complète réussite. Au piano, Mathieu Pordoy est bien plus qu’un simple accompagnateur. Véritable partenaire de musique de chambre, son jeu est admirable de précision et de musicalité. Totalement investi, les textes chantés à fleur de bouche, on aurait même cru l’entendre parler à son piano. Écoute, respirations, nuances, ambiances, la connivence artistique des deux artistes est parfaite. Plaisir suprême, leur complicité non feinte, entre humour et clins d’œil partagés, fait plaisir à voir aussi bien qu’à entendre.
Une soirée magnifique et généreuse. Ah ! Qu’on aime entendre parler d’amour de telle manière…
Retrouvez Benjamin Bernheim en interview… ici !
Benjamin Bernheim, ténor
Mathieu Pordoy, piano
PRODUCTION Les Grandes Voix
Chausson Poème de l’amour et de la mer op. 19 – Cycle de mélodies d’après des poèmes de Maurice Bouchor
Duparc « Invitation au voyage », op. 114
« La Vie antérieure »
« Phidylé » op. 13 n° 2
Brahms « Die Mainacht » op. 43 n° 2
« Dein blaues Auge » op. 59 n°8
« Immer leiser wird mein Schlummer » op. 105 n°2
« Auf dem Kirchlofe » op. 105 n°4
Britten « The Salley Gardens »
« The Last Rose of Summer »
Franck Bridge « Love went a-riding »
En bis:
Francis Poulenc « Voyage à Paris » extrait de Banalités FP 107 n°4
Jules Massenet «Pourquoi me réveiller » extrait de Werther
Récital du jeudi 30 septembre 2021, 20h, Théâtre des Champs-Élysées