Le Théâtre des Champs-Élysées accueillait, ce jeudi soir, un concert « miroir » réunissant les forces de l’Orchestre National de France et la soprano américaine Rachel Willis-Sørensen sous la direction du chef roumain Cristian Măcelaru. Une rencontre internationale autour de Strauss et Beethoven où la théâtralité de l’intime l’emporte sur l’émotion de l’introspection.
Curieux et passionnant programme en miroir que ces deux ouvertures de Beethoven encadrant les Quatre derniers lieder et la scène finale du Capriccio de Richard Strauss. De chaque côté, la lutte contre le despotisme et le combat pour la liberté. Au centre, deux grandes interrogations sur la mort et l’art. Comme trait d’union, une forme de résistance intellectuelle et artistique face aux assauts du destin. Le tout par le regard et surtout la voix d’un personnage féminin aux multiples reflets.
Pour ce concert, Cristian Măcelaru remplaçait James Gaffigan initialement prévu. Le directeur musical de l’Orchestre National de France a fait le choix d’aborder ces grandes questions existentielles plus par la théâtralisation du discours musical que par l’émotion de l’exécution.
Ce qui fonctionne parfaitement dans les ouvertures d’Egmont, Leonore II et dans Capriccio nous laisse sur notre faim dans les Quatre derniers lieder. Il faut dire qu’on les attendait avec impatience ces lieder crépusculaires au climat romantique grisant, couronnement de la production vocale de Richard Strauss. On y attendait surtout Rachel Willis-Sørensen. La soprano, qui nous dévoilait n’être jamais en manque d’idées pour faire vivre les passions de l’âme (interview à lire ici), nous a semblé ici quelque peu contrainte dans son expression. Nulle difficulté vocale dans l’exécution de cet Everest technique que sont ces lieder mais comme un léger embarras à tisser des liens avec l’Orchestre National de France et son directeur musical.
La direction de Cristian Măcelaru est majestueuse et démonstrative mais manque d’éloquence, de sensualité et d’abandon. La pâte orchestrale est ample, brillante mais un peu épaisse et les lignes instrumentales et vocale ne se rencontrent pas vraiment. Les musiciens de l’Orchestre National sont pourtant d’une solidité sans faille et c’est d’ailleurs de ses cornistes et de son premier violon, Luc Héry, que viendra le seul vrai moment d’émotion de l’interprétation de ces Quatre derniers lieder avec leurs magnifiques solos intimes et chambristes dans « Beim Schlafengehen ».
Rachel Willis-Sørensen impressionne, elle, par la projection et la souplesse de son soprano au timbre crémeux et charnu et son sens de la courbe mélodique. On admire le naturel de cette voix qu’on devine très travaillée mais où nulle affectation, nul maniérisme ne viennent troubler la ligne. Le souffle est long et le travail technique bien visible alors qu’on aurait souhaité parfois pouvoir l’oublier et se laisser entrainer par la fragilité et les flottements de l’âme humaine.
La soprano se montrera à son meilleur dans la scène finale de Capriccio. La chanteuse fait preuve d’une sincérité touchante et troublante. La voix gagne en homogénéité et se déploie avec encore plus d’aisance. Rachel Willis-Sørensen possède également un très beau sens de la prosodie et, alors qu’on l’avait trouvée presque neutralisée dans l’expression lors des Quatre derniers lieder, elle nous révèle un talent théâtral certain. Le chef Cristian Măcelaru la rejoint sur ce terrain et l’orchestre captive alors par une transparence et une lumière retrouvées.
L’Orchestre National de France ajoutera à son tableau d’honneur des trésors de nuances et d’expressivité dans les deux ouvertures de Beethoven où la direction intense, précise et tragique de Cristian Măcelaru nous entraine alors aux portes du drame à venir.
Ce soir, Rachel Willis-Sørensen, Cristian Măcelaru et l’Orchestre National de France se sont trouvés dans un théâtralité musicale spectaculaire et généreuse. Le public, galvanisé par cette énergie, leur aura rendu la pareille avec des applaudissements vifs et nourris.
RACHEL WILLIS-SØRENSEN soprano
ORCHESTRE NATIONAL DE FRANCE
CRISTIAN MĂCELARU direction
Coproduction Radio France/Théâtre des Champs-Élysées
LUDWIG VAN BEETHOVEN
Leonore II, ouverture
RICHARD STRAUSS
Quatre derniers Lieder
Capriccio, scène finale
LUDWIG VAN BEETHOVEN
Egmont, ouverture
Théâtre des Champs-Élysées, concert du jeudi 14 octobre 2021, 20h00