Au cœur de l’océan à l’Athénée – Un OVNI sous l’eau
Le Balcon nous a habitués à des démarches audacieuses, d’une intégrale du cycle Licht de Stockhausen à la création de partitions les plus diverses. Cette fois, avec Au cœur de l’océan, l’ensemble fondé en 2008 propose ce que ses concepteurs eux-mêmes présentent comme « une sorte d’ovni qui réunit des formes artistiques qu’on ne voit jamais sur les scènes d’opéra ». Commande de l’Opéra de Lille et de la Fondation Singer Polignac, Au cœur de l’océan est qualifié d’opéra, mais son appartenance au genre ne va pas de soi.
Opéra ou théâtre musical ?
Certes, il s’agit d’une œuvre scénique associant instruments et voix, dont la partition dirigée par Maxime Pascal fait beaucoup appel à la guitare électrique et inclut même une parodie de fanfare, mais il serait peut-être plus juste de parler de théâtre musical. Face à cet assemblage d’improvisation et d’aléatoire, on se croirait en effet revenu à la grande époque de Mauricio Kagel et autres joyeux drilles. Le texte et la mise en scène sont dus à Halory Goerger, homme de théâtre lillois revendiquant « une pratique sauvage, ancrée dans l’expérimentation langagière et la recherche de nouvelles formes ». De fait, le livret de cet opéra en quatre actes, un prologue et un épilogue, semble moins correspondre à un fil narratif (malgré « l’argument » résumé dans le dossier de presse) qu’à une succession de monologues assez peu explicites, et l’on cherche en vain les épisodes et incidents annoncés ; vers le milieu de la représentation, on s’interroge sur l’apparition d’un personnage vaguement habillé en chamane, mais l’on comprend plus tard qu’il s’agit de l’Océan lui-même. Finalement, cette forme évoquerait presque l’opera seria d’autrefois, mais sans les récitatifs, où il ne resterait donc que ces arias où chacun exprime dans son coin un affect spécifique.
De la virtuosité, oui, mais pour quel chant ?
Autre élément qui justifierait le rapprochement a priori surprenant avec l’opéra du XVIIIe siècle, Au cœur de l’océan repose sur la participation d’artistes dont la virtuosité laisse pantois, mais dans un style qui n’a rien en commun avec l’utilisation de la voix telle qu’on peut la connaître sur les scènes d’opéra. Les sept solistes présents sur le plateau « ne sont pas des chanteurs lyriques. Tous sont issus de la musique expérimentale et de l’improvisation. Chacun aborde la façon d’émettre le son d’une manière radicalement différente de celle des autres », explique Arthur Lavandier, co-compositeur de l’œuvre avec Frédéric Blondy. Dûment sonorisé, chacun profère des mots en anglais, en allemand et en français, et surtout émet les sons les plus divers, éructations, raclements de gorge, sifflements, cris, parlé-chanté, notes suraiguës… avec un résultat parfois assez éprouvant pour des oreilles inexpertes. Le texte elliptique n’aide pas non plus à suivre ce que l’on nous montre sur scène, où le moment le plus saisissant reste l’apparition d’une faille au milieu du sol, tandis qu’un large ruban doré se déroule sur le fond du décor. « Cette œuvre est la pièce la plus étonnante que j’aie vue de ma vie », ajoute Arthur Lavandier à propos de cet opéra qu’on pourrait comparer à la très nonsensique Chasse au Snark de Lewis Carroll. Et Halory Goerger de préciser : « c’est du vide dans lequel il y a de la lumière »…
Mise en scène Halory Goerger
Direction musicale Maxime Pascal
Avec Le Balcon
La capitaine Claire Bergerault
La biologiste Audrey Chen
Une plongeuse Isabelle Duthoit
L’océanographe Han Buhrs
L’océan Phil Minton
L’entrepreneur Alex Nowitz
La géologue Ute Wasserman
Flûte Claire Luquiens
Clarinette Iris Zerdoud, Joris Rühl
Cor Armand Dubois-Gourut
Trompette Florent Cardon
Tuba prenant Trombone Maxime Morel
Harpe Clara Izambert
Guitare électrique Giani Caserotto
Percussions 1 Stanislas Delannoy
Percussions 2 Michele Rabbia
Violon Valentin Broucke
Alto Elsa Seger
Violoncelle Clotilde Lacroix
Contrebasse Simon Guidicelli
Scénographie Myrtille Debièvre
Vidéo Jacques Hoepffner
Lumières Annie Leuridan
Costumes Pascale Lavandier
Assistée de Jeanne Lébène
Projection sonore Florent Derex
Au cœur de l’océan
Musique Frédéric Blondy, Arthur Lavandier
Texte Halory Goerger
Une commande Le Balcon, Opéra de Lille, Fondation Singer-Polignac
Création Opéra de Lille hors-les-murs
Athénée Théâtre Louis Jouvet, représentation du dimanche 17 octobre 2021, 16h00