Siegfried, nocturne à Angers Nantes Opéra – Questions cents réponses
Angers Nantes Opéra et l’Orchestre National des Pays de la Loire marquent ce début de saison musicale avec la création française de Siegfried, nocturne. Michael Jarrell et Olivier Py signent une œuvre théâtrale et musicale troublante, percutante et questionnante.
Créé au Festival Wagner de Genève en 2013, Siegfried, nocturne n’avait pas encore eu les honneurs d’une création française. L’erreur est réparée, et de quelle manière, ce dimanche au Théâtre Graslin de Nantes. L’occasion était idéale puisque cette création arrive tel un point d’orgue pour marquer la fin de la résidence artistique du compositeur Michael Jarrell auprès de l’Orchestre National des Pays de Loire.
Ni vraiment opéra, ni vraiment monodrame, Siegfried, nocturne emporte le spectateur, en un peu plus d’une heure de théâtre musical, sur les pas d’un Siegfried sur le retour à la recherche du Rhin, fleuve symbole d’une vie et d’un temps révolus.
Nous sommes en Allemagne, au lendemain immédiat de la Seconde Guerre mondiale dans une ville en ruines et sans nom. Le héros wagnérien Siegfried, erre dans les rues et s’interroge. Qu’a-t-il fait ? Comment lui, le fondateur de l’épopée nationale allemande, a-t-il pu laisser son monde aller à une telle dérive ? Est-il coupable ? Qui est coupable ? Ces hommes, ces artistes, qu’ont-ils fait ?
Michael Jarrel a fait librement des coupes dans le texte initial Siegfried, nocturne d’Olivier Py. Il en a aussi fait faire une adaptation en allemand. En sortiront douze séquences pour exprimer l’indicible et s’interroger sur le processus ayant conduit une grande nation artistique et culturelle à la barbarie et au nazisme.
La composition de Michael Jarrel suggère l’omniprésence du Rhin. Neuf musiciens solistes et une bande-son suffisent à créer un univers musical oppressant et suffocant. La forme discursive, toute en tension, détente et silence, nous entraine dans des abysses sonores où l’épaisseur et la densité du tissu instrumental attrapent l’auditeur et ne le lâcheront plus jusqu’à la fin de la représentation.
Olivier Py signe, sur son propre texte, une mise en scène essentiellement illustrative et narrative. Un choix surprenant de sa part mais bienvenu ici, contrepoint idéal à une musique et à un livret qui ne font pas forcément de leur sens du récit leur première qualité. Quelques valises, un buste, des chaussures, un très bel Ange de l’Histoire, trois femmes suffisent à raconter beaucoup. Il y a aussi cette magnifique scénographie très cinématographique de Pierre-André Weitz et ce très beau noir et blanc de Bertrand Killy aux lumières. Le film de Spielberg La Liste de Schindler pourrait n’être pas loin mais nous n’y sommes pas et le spectacle laisse ainsi toute la place à l’imaginaire du spectateur.
N’oublions pas également quel subtil directeur d’acteurs est Olivier Py. Justesse des déplacements et précisions des placements aux plateaux, interactions par le seul regard et utilisation subtile des accessoires, quel bel usage de la technique théâtrale au service de la narration !
Pour faire vivre un tel spectacle, il fallait sur scène et dans la fosse des artistes à la hauteur de l’enjeu.
L’écriture vocale de Michael Jarrel est d’une extrême variété. Son Siegfried se doit d’alterner parlé et chanté sans rupture mais c’est surtout l’usage des extrêmes de la tessiture qui impressionne. Le héros wagnérien n’est plus un Heldenténor mais « seulement » un baryton chantant en première partie dans le spectre supérieur de sa voix pour terminer vers les graves de la tessiture en cours de représentation. Otto Katzameier campe un Siegfried blessé exceptionnel et il aborde les difficultés vocales de la partition avec une facilité confondante. Le baryton n’est pas ténor et cela s’entend. Ses aigus émis en voix de fausset ne sont pas sans rappeler ceux d’un contre-ténor (il est vrai que baryton et contre-ténor ne pas si éloigné, physiologiquement parlant) mais ce passage se fait discret grâce à un savant mélange des harmoniques graves et aiguës de la voix.
Dima Bawab, Pauline Sikirdji, Sophie Belloir sont des Filles du Rhin bien chantantes, aux voix justement équilibrées et à la lumineuse et obscure présence. Mathieu Coulon Faudemer est un comédien/danseur étonnant autant qu’inquiétant. Son numéro dansant d’Ange de l’Histoire épileptique est un grand moment autant par la technicité requise pour son exécution que par l’inconfort qu’il provoque chez le spectateur. Pascal Rophé dirige les chanteurs et les neuf musiciens solistes de l’Orchestre National des Pays de la Loire avec attention et précision, chaque instrumentiste se pliant avec talent à l’écriture exigeante de Michaël Jarrel où la beauté de la sonorité ne doit rien céder à l’expressivité.
Si ce Siegfried, nocturne est bien le récit d’un voyage intérieur et rédempteur du héros wagnérien pour sauver son âme et l’humanité, il permet surtout, en interrogeant le passé, de questionner notre présent. A quoi et à qui sert le progrès ? Quelle place la culture tient-elle aujourd’hui dans notre société ? Est-elle encore source d’opposition, voire de transgression ? Quel est le rôle de l’artiste dans la construction du monde de demain ?
Dans une société où les réponses semblent parfois données avant même qu’on ait eu le temps de formuler la question, les artistes Michael Jarrel et Olivier Py ont le talent de savoir interroger l’intime et de bousculer nos sens. Bravo Messieurs !!!
A voir les 19 et 21 octobre au Théâtre Graslin de Nantes et le 9 novembre au Grand Théâtre d’Angers.
Pour réserver et en savoir plus, c’est ici.
Otto Katzameier, baryton
Dima Bawab, Pauline Sikirdji, Sophie Belloir : Trois Filles du Rhin
Mathieu Coulon, comédien/danseur
Flûte, clarinette, cor, trombone, percussions, alto, violoncelle, contrebasse, Musique électronique : 9 Musiciens solistes de l’Orchestre National des Pays de la Loire
Pascal Rophé, direction musicale
Olivier Py, mise en scène
Pierre-André Weitz, scénographie et costumes
Bertrand Killy, lumières
SIEGFRIED, NOCTURNE
MICHAEL JARRELL / OLIVIER PY
Œuvre scénique pour baryton et ensemble instrumental
Livret d’Olivier Py
Créé le 13 octobre 2013 au Wagner Geneva Festival
Opéra en allemand
Editions Lemoine
Nouvelle production – Création française
Coproduction Orchestre National des Pays de la Loire, Angers Nantes Opéra
Représentation du dimanche 17 octobre, 16h, Théâtre Graslin, Nantes.