Marraine de la saison 2021 de l’Opéra de Tours, Karine Deshayes brille de mille feux dans un récital généreux et émouvant, accompagnée par le toujours talentueux Antoine Palloc.
Karine Deshayes connaît bien cette belle maison qu’est le Grand Théâtre de Tours. On se souvient qu’elle y étincelait déjà en 2007 dans une Angelina de La Cenerentola de Rossini irrésistible d’humanité. Depuis, les plus grandes salles d’opéra se l’arrachent tout aussi bien dans les répertoires français qu’italien.
Le récital de ce mardi soir est un voyage musical entre France et Italie, entre opéra et mélodie. C’est d’ailleurs avec « L’invitation au voyage » d’Henri Duparc qu’Antoine Palloc et Karine Deshayes débutent ce programme. La mezzo-soprano semble un brin tendue. Le timbre manque de cette lumière qu’on lui connaît habituellement et un souffle un peu court nous vaudra une curieuse respiration avant le mot « lumière » en fin de mélodie.
Des débuts de soirée sur le fil vite oubliés avec ces deux mélodies de Charles Gounod, « L’Absent » et « Le Soir » et surtout l’air de Balkis (« Plus grand dans son obscurité » extrait de La Reine de Saba) où Karine Deshayes se libère progressivement et révèle un talent de diseuse hors pair porté par un souffle long et savamment contrôlé.
La suite du programme ne sera plus qu’un festival de réussites vocales et musicales qui impressionnent évidemment par la maîtrise technique de l’interprète mais surtout par cette générosité toute personnelle entre pudeur et simplicité. Bien sûr, notre mezzo-soprano connaît son métier et sait combler les attentes du public par quelques « effets » vocaux intelligemment distillés mais on aime le naturel de l’artiste quand bien même ce naturel en art est surtout le résultat d’un énorme travail comme Karine Deshayes nous le racontait il y a quelques temps (interview à lire ici).
Les mélodies de Rossini (« Beltà crudele », « Nizza », « Canzonetta spagnuola ») sont des modèles de légèreté et de virtuosité. Karine Deshayes et Antoine Palloc prennent un plaisir visible dans l’interprétation de la musique du maître de Pesaro mais c’est surtout dans le pur bel canto des airs d’opéra de Donizetti (Roberto Devereux, air de Sara « All’affiti è dolce »), Bellini (Les Capulet et les Montaigu, air de Romeo « Ascolta, se Romeo t’uccise un figlio ») et Rossini à nouveau (Elisabeth, Reine d’Angleterre, air d’Elisabetta « Quant’è grato all’alma mia » que LA Deshayes brille de mille feux. Il est étonnant de constater parfois comme un répertoire semble idéalement fait pour l’instrument vocal et le corps d’un chanteur ou d’une chanteuse.
Karine Deshayes semble physiquement transformée et délivre une magnifique leçon de chant. Homogénéité des registres, projection de la voix, aisance de l’aigu et du suraigu, legato, variétés des couleurs, le tout avec une rigueur stylistique et une précision dignes des plus grandes. On jalouse alors le public qui a eu la chance d’entendre son Elisabetta l’été dernier au Festival de Pesaro (Un compte-rendu de ce succès à retrouver ici)
Il ne faudrait pas oublier d’associer Antoine Palloc à la réussite de cette soirée. Le pianiste sait comme personne faire entendre par son jeu inspiré des nuances et couleurs instrumentales dignes d’un orchestre d’opéra. Il fait également preuve d’une sensibilité toute mélancolique dans ses interprétation en solo (Massenet, Thaïs « Méditation » et Donizetti, Andante).
Ce récital se termine par deux bis (Reynaldo Hahn, « À Chloris » et Léo Delibes, « Les filles de Cadix ») à l’image de cette soirée, entre pudeur, sensibilité et feu d’artifices vocal.
Le public sort heureux et envouté par les charmes de cette marraine tourangelle dont les fées du chant semblent s’être penchées sur le berceau.
Karine Deshayes, mezzo-soprano
Antoine Palloc, piano
Henri Duparc
« L’invitation au voyage »
« Chanson triste »
« Phidylé »
Charles Gounod
« L’Absent »
« Le Soir »
La Reine de Saba
Air de Balkis « Plus grand dans son obscurité »
Jules Massenet
Thaïs
« Méditation » (arrangement pour piano seul)
Gioachino Rossini
« Beltà crudele »
« Nizza »
« Canzonetta spagnuola »
Gaetano Donizetti
Andante (piano solo)
Roberto Devereux
Air de Sara « All’affiti è dolce »
Vincenzo Bellini
Les Capulet et les Montaigu
Air de Romeo « Ascolta, se Romeo t’uccise un figlio »
Gioachino Rossini
Elisabeth, Reine d’Angleterre
Air d’Elisabetta « Quant’è grato all’alma mia »
Bis
Reynaldo Hahn
« À Chloris »
Léo Delibes
« Les Filles de Cadix »
Opéra de Tours, récital du mardi 19 octobre 2021, 20h00