Les Contes de Bernheim, à Hambourg… et sur Arte.tv

Les Contes d’Hoffmann à Hambourg : un nouveau triomphe pour Benjamin Bernheim

Daniele Finzi Pasca à la mise en scène, Benjamin Bernheim dans le rôle-titre, Olga Peretyatko dans le quadruple-rôle féminin, Kent Nagano à la baguette : la nouvelle production des Contes d’Hoffmann proposée par l’Opéra d’Hambourg avait de quoi titiller notre curiosité ! A-t-elle tenu toutes ses promesses ? Pas tout à fait, d’après la captation diffusée sur Arte le 29 décembre. Même si la représentation reste par bien des points intéressante…

En attendant Tim Burton…

Premier motif de déception : la mise en scène de Daniele Finzi Pasca, dont nous espérions beaucoup : après tant de relectures intellectualisantes de l’opéra d’Offenbach, le fait de confier l’œuvre à un artiste venu du cirque et ayant réalisé plusieurs « grands spectacles » (cérémonies d’ouverture des Jeux Olympiques, spectacles pour le Cirque du Soleil,…) nous semblait a priori intéressante. Nous nous attendions à renouer avec le plaisir d’un fantastique à la fois naïf et impressionnant, « premier degré » peut-être mais spectaculaire, coloré et effrayant… Las, le metteur en scène suisse emprunte un peu à ses devanciers (Py, Carsen, voire John Schlesinger), use de procédés pour le moins datés (c’est décidément le grand retour des plateaux tournants, qu’on croyait définitivement enterrés depuis la fin des années 80…) ou vite lassants (les apparitions récurrentes de personnages suspendus dans les airs). Certaines idées sont plus originales mais pour le moins peu convaincantes, telle les choristes habillés en pigeons de la place Saint-Marc pour l’acte vénitien, ou le fait de faire d’Antonia un papillon bleu géant, avec ses antennes vissées sur la tête et une immense paire d’ailes permettant tout juste à la chanteuse de faire quelques pas en avant ou en arrière, et de se tourner légèrement à droite ou à gauche. Crespel, visiblement, collectionne non plus les violons mais les insectes, ce qui rend parfaitement absconses les allusions récurrentes aux violons et incongrue la présence de l’air de Nicklausse « Vois sous l’archet frémissant »… La mise en scène « fantastique » de l’œuvre dont nous rêvons reste toujours à faire… Si seulement quelqu’un pouvait convaincre Tim Burton de se lancer dans l’aventure, qu’elle soit scénique ou cinématographique…

Les Contes de Bernheim

Musicalement, les choses sont un peu inégales. Nelly Miricioiu ou Edda Moser naguère, Jessica Pratt aujourd’hui : elles ne sont pas si nombreuses, les sopranos à tenter l’aventure des trois (ou quatre) rôles féminins des Contes d’Hoffmann ! Olga Peretyatko s’y lance donc aujourd’hui courageusement… sans convaincre pleinement. Bien sûr, son Olympia n’a rien de stratosphérique et reste assez sage si on la compare aux sopranos légers qui ont marqué le rôle. Elle n’en reste pas moins digne et suffisamment virtuose pour susciter les applaudissements. Mais dès l’acte III (Antonia), la voix semble bien fatiguée, avec des aigus parfois métalliques voire éraillés quand ils ne sont pas tout simplement escamotés, tel celui concluant le trio avec la Mère… Giulietta laissera la même impression, malgré le choix d’une version très simple de « L’Amour lui dit, la belle » expurgée de quasi toutes ses vocalises. Luca Pisaroni est un quadruple diable convaincant : le français et la ligne de chant du baryton-basse italien sont quelque peu hésitants en Lindorf mais gagnent en précision et en fermeté, avec notamment un Dapertutto sombre et inquiétant. La difficile prosodie de « Tourne, tourne miroir où se prend l’alouette », sans doute fort complexe à respecter pour un non francophone, est parfaitement maîtrisée. Le Nicklausse d’Angela Brower, au français très pur, fait alterner les très beaux moments (premier air de la Muse) et les passages moins réussis où la voix se fait parfois trémulante, et au nombre desquels il faut malheureusement compter le début de la Barcarolle. Les rôles secondaires offrent des bonheurs variés mais souffrent souvent d’une prononciation du français assez approximative.

La plus belle prestation vocale est sans aucun doute celle de Benjamin Bernheim qui manifeste dans le redoutable rôle-titre une endurance à toute épreuve, et dont la voix et le chant conservent la même fraîcheur et la même facilité tout au long des cinq actes. Ce n’est pourtant pas cette endurance que l’on admire le plus, mais plutôt le naturel d’un chant qui semble couler de source, la projection jamais forcée de la voix, les couleurs claires d’un timbre dont la séduction était sans doute encore supérieure en salle (la voix de Bernheim nous a toujours semblé plus ronde, plus chaleureuse, moins métallique sur scène que dans ses  captations), et bien sûr, comme toujours, un panel de nuances admirable, permettant une incarnation du poète allemand très émouvante. Nous attendons maintenant avec impatience son Werther bordelais,  programmé en février prochain.

Nagano, vingt-huit ans après

Après l’effroyable spectacle Des Contes d’Hoffmann à l’Opéra de Lyon en 1993, premier (?) épisode d’une – très – longue série de transpositions de livrets d’opéras en Ehpad ou asile psychiatrique, et le célèbre enregistrement de la version Kaye avec Alagna chez Erato en 1996, nous retrouvons Kent Nagano face à la partition posthume d’Offenbach. On reproche parfois au chef américain une certaine propension aux lectures analytiques, dont la précision nuirait à l’expression et à l’émotion. Nous n’avons rien entendu de tel ici, bien au contraire : la rigueur de sa direction, l’attention constante accordée aux contrastes dynamiques ou aux coloris orchestraux sont toujours au service d’une émotion juste, contenue mais sincère, comme il sied à l’esthétique offenbachienne. Tout au plus pourrait-on évoquer une aisance moindre dans les pages légères ou comiques (certaines scènes de l’acte d’Olympia, les couplets de Frantz), mais l’architecture du drame est admirablement construite, dans ses grandes lignes comme dans le détail de chaque acte.

Quelle version ?

Reste à évoquer la question de la version retenue pour ces représentations hambourgeoises. Si les découvertes réalisées par Michael Kaye ou Jean-Christophe Keck constituent un inestimable outil de travail, il va de soi qu’il est impossible d’utiliser l’ensemble des sources mises au jour en vue d’une représentation, et qu’il convient de procéder à des choix afin de proposer une représentation qui conserve toute l’efficacité dramatique du livret et ne dépasse pas un volume horaire trop important. Encore faut-il que ces choix soient opérés par des personnes avisées et au goût sûr ! Mais comme le goût des uns correspond rarement au goût des autres, Les Contes d’Hoffmann semblent condamnés à toujours susciter certains mécontentements…

Quoi qu’il en soit, le choix faits à Hambourg sont globalement plutôt judicieux, la seule coupure à nos yeux inexcusable étant celle de la reprise de « Aujourd’hui les larmes » dans le duo Giulietta/Hoffmann. Quitte à couper pour raccourcir la durée de la représentation, on pouvait par exemple choisir la version abrégée de la scène entre Lindorf et Andrès, et/ou supprimer la reprise des « Glou glou » au cinquième acte… Mais supprimer cette reprise parfaitement justifiée dramatiquement (elle signe la capitulation d’Hoffmann face à Giulietta) n’a guère de sens… Moins grave nous paraît la disparition des seconds couplets de la valse « Oui, pauvres fous qui riez d’elle », de la chanson bachique d’Hoffmann ou de la « Chanson d’amour » entre Antonia et Hoffmann. La reprise de cette « Chanson d’amour » (« Un rayon de flamme pare ta beauté ») pourrait toutefois sans doute être maintenue, à condition de choisir pour cette page un tempo un peu moins langoureux…

On a toujours été un peu perplexe devant l’ouverture du quatrième acte : Offenbach aurait-il vraiment maintenu, s’il avait eu le temps de réviser son œuvre, la juxtaposition de deux barcarolles, l’une orchestrale, l’autre chantée ? La solution choisie ici nous paraît habile : la version orchestrale s’interrompt à mi-parcours pour faire place à la version vocale, dont elle constitue ainsi en quelque sorte l’introduction.

Comme dans l’enregistrement Erato, les récitatifs composés par Giraud sont chantés aux actes d’Olympia et d’Antonia, ce qui est tout à fait possible, surtout lorsque la distribution comporte des chanteurs allemands, russes ou italiens, possiblement peu à l’aise avec le français parlé ! Ceci dit, l’apparition de dialogues parlés à l’acte de Giulietta crée toujours une forme de surprise, avec l’impression étrange de basculer subitement – et momentanément – du genre de l’opéra à celui de l’opéra-comique. L’acte de Giulietta est, grosso modo, celui enregistré pour Erato, moins le sextuor apocryphe de la version de Monte-Carlo : l’intrigue et son dénouement y restent toujours quelque peu nébuleux (et l’on ne peut s’empêcher de trouver curieuses certaines fautes de prosodie, dont on a peine à croire qu’elles aient pu échapper aux auteurs, tel l’étrange « Fait’ votre choix de prendre la fuite / Ou d’être pendu ! »), mais Giulietta, comme on sait, y acquiert enfin le statut de véritable personnage, avec une épaisseur dramatique et musicale incontestable.

L’épilogue/acte V, enfin, fait l’économie du très beau chœur a capella « Folie ! Oublie tes douleurs ! » (s’il ne tenait qu’à nous, nous le maintiendrions quitte à couper plutôt la reprise du chœur des Esprits et des Étudiants…) et conserve les interventions vocales de Stella, trop brèves selon nous pour apporter une véritable plus-value dramatique au dénouement. Le finale est lui aussi celui enregistré par Nagano pour Erato, avec les interventions de Hoffmann, la Muse, Stella et Lindorf. Oserons-nous dire que nous préférons la splendide apothéose imaginée par Oser, certes non « authentique », mais couronnant superbement l’ouvrage en lui donnant une dimension « mussétienne » particulièrement bienvenue : « Les plus désespérés sont les chants les plus beaux… », semble souffler à Hoffmann la Muse de Barbier, petite sœur de celle imaginée par Musset dans sa Nuit de mai en 1835…

Pour faire le point sur Les Contes d’Hoffmann, consultez notre dossier sur le chef-d’œuvre posthume d’Offenbach.

Et pour vous faire votre opinion sur le spectacle de Hambourg, visionnez-le… ici !


Les artistes

Hoffmann : Benjamin Bernheim
Lindorf, Coppélius, le docteur Miracle, le capitaine Dapertutto : Luca Pisaroni
Nicklausse / La Muse : Angela Brower
Andrès, Cochenille, Frantz, Pittichinaccio : Gideon Poppe
Nathanaël : Dongwon Kang
Hermann, Schlémil : Bernhard Hansky
Wilhelm, Wolfram : Daniel Schliewa
Luther, Crespel : Martin Summer
Spalanzani : Jürgen Sacher
Le Capitaine des Sbires : Han Kim
Olympia, Antonia, Giulietta, Stella : Olga Peretyatko
La voix de la tombe, mère d’Antonia : Kristina Stanek

Philharmonisches Staatsorchester Hamburg, Chor der Hamburgischen Staatsoper, dir. Kent Nagano

Metteur en scène : Daniele Finzi Pasca

Le programme

Les Contes d’Hoffmann

Opéra en 5 actes de Jacques Offenbach, livret de Jules Barbier d’après la pièce homonyme de Jules Barbier et Michel Carré (d’après Hoffmann), créé le 10 février 1881 à l’Opéra-Comique. 

Production de l’Opéra de Hambourg, retransmission télévisée du 29 décembre 2021.