Découvrir les qualités des jeunes artistes de l’Académie de l’Opéra de Paris via les extraits d’opéras de Mozart : une idée simple, mais si lumineuse devant le rideau de scène de l’Opéra Garnier ! Le public de ce traditionnel Gala a fait fête à la troupe des 9 académiciens académiciennes, sélectionnés depuis l’Europe jusqu’au Venezuela.
Atout Mozart
Découvrir les qualités des jeunes chanteurs en résidence à l’Académie de l’Opéra de Paris via un programme dédié à Mozart : voilà une idée simple à première vue. Elle devient lumineuse devant le rideau de scène de l’Opéra Garnier, avec l’excellent Orchestre de l’Opéra national en fosse, sous la baguette avisée de Vello Pähn. Les extraits de 7 œuvres – de l’opera buffa à l’opera seria et au Singspiel – conduisent au final de Don Giovanni. Certes, la stratégie de l’Académie se rattache à la programmation « maison », puisque ce concert de gala précède d’un jour la première d’une série des Nozze di Figaro… au Palais Garnier, sous la baguette du directeur musical, Gustavo Dudamel [1]. Dès lors, on devine que le rideau de scène ne peut se lever durant le Gala, afin de maintenir le mystère sur la production à venir.
Cependant, la mise en espace, signée de Victorai Sidjà, tente d’offrir quelques mouvements sur le bandeau restreint d’avant-scène, en jouant de quelques volte-face vers l’opulent rideau de scène rococo, plutôt que l’éternel face au public. La dramaturgie se corse pour le final de Don Giovanni : en investissant la loge d’avant-scène, Donna Elvira, puis la statue du Commandeur interpellent avec hauteur l’épicurien terrien, bientôt terrassé. Pour colorer la scène, la tenue de soirée des 3 chanteuses ranime la fibre patriotique du pays d’accueil (en bleu, en blanc scintillant, en rouge), contrepoids aux 8 nationalités des artistes sélectionnés ! Si les tenues de soirée sont habituellement de mises pour un Gala, n’aurait-il pas lieu de les troquer pour celles accordées à l’habitus des rôles : une servante, un valet, une esclave chrétienne, etc. ? Dit autrement, doit-on maintenir les robes de prestige et le jeu conventionnel lors d’un spectacle produit par de jeunes chanteurs en 2022 ? Un brin d’audace ne nuirait pas à la popularité du théâtre lyrique …
Côté opera buffa, les extraits du 1er acte de Cosi fan tutte sonnent avec aisance, d’autant que son Ouverture prélude à la soirée, dynamisée par les figures tourbillonnantes des excellents bois de l’Orchestre. Le trio des hommes (Acte 1, sc. 1) campe l’assurance fanfaronne des fiancés face au misanthrope Alfonso, avant d’établir leur pari misogyne. Le moment de grâce mozartienne surgit du sublime terzettino « Soave sia il vento » : sur le zéphyr de la trame orchestrale, la limpidité des lignes vocales est atteinte dans la plénitude des équilibres. Peut-on en dire autant des extraits des Nozze di Figaro ? Plus difficilement, car l’art de chanter le recitativo secco dans la langue de da Ponte (librettiste) se transforme en piège pour les chanteurs. C’est le cas après les plaisants « Din din, don don » du duo de Susanna et Figaro (1er acte), jusqu’à provoquer le divorce entre le clavecin et le violoncelle solo du continuo …
Côté opera seria, l’héroïsme valeureux de l’aria de Mitridate re di Ponte contraste avec l’implorante émotion d’Ilia dans Idomeneo, rè di Creta dont la soprano italienne Martina Russomanno délivre une interprétation bouleversante. Les extraits de deux Singspiele permettent aux jeunes professionnels d’aborder la vocalité germanique dans des registres dramatiques qui diffèrent de ceux de l’opera seria. La nostalgie amoureuse de Zaïde (« Ruhe sanft, mein holdes Leben « , « Repose paisiblement, mon tendre amour ») ouvre la seconde partie du concert, suivie de la majestueuse sagesse de Sarastro dans Die Zauberflöte.
Sous-titré dramma giocoso, Don Giovanni mêle les registres tragiques et bouffes pour aborder le mythe. L’idée de programmer son final en clôture du gala est un défi tant il est réputé pour sa dramaturgie ambitieuse conduisant à la perdition du dissoluto. Le premier volet oppose l’hédonisme de Don Juan – celui de la table, des divertissements musicaux (dont la malicieuse greffe du » Non piu andrai » des Nozze) et amoureux – aux injonctions morales de la statue du commandeur. Après la disparition de Don Juan, l’épilogue est un moment de jubilation pour les intervenants du dramma comme pour le public de Garnier. Entretemps, les prestations solistes d’octuor à vent (en fosse) l’ont aussi enchanté: Mozart est un atout pour les chanteurs et les instrumentistes !
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Graines de star
Concoctée par la direction de l’Académie de l’Opéra (Myriam Mazouzi et Christian Schirm), la sélection des airs solistes et des ensembles est l’occasion de valoriser chaque jeune professionnel tout en le confrontant à l’exigence mozartienne. Maîtriser la volubilité rythmée du récitatif, l’écoute au sein des ensembles, le phrasé classique sans délaisser l’expressivité n’est pas si aisé … Dans la globalité, félicitons la préparation des artistes et de leur coach lors des ensembles vocaux d’une tenue toute professionnelle. En particulier, leur investissement lors du sextuor en fugato forme une conclusion réjouissante de Don Giovanni … et du Gala !
Parmi les rôles féminins, la mezzo française Lise Nouguier (formée au CNSM de Paris) se distingue par son timbre rond et charnu et une belle écoute de ses partenaires. Celle-ci est ponctuellement mise en défaut par une certaine instabilité rythmique (Don Giovanni), contrairement au contrepoint de violoncelle solo (Yoori Lee) superbement assuré dans le duo « Batti, batti, bel Masetto ». Ce sont toutefois les deux soprani qui surplombent la troupe de l’Académie. L’une, Kseniia Proshina (formée à l’Académie des Arts de Samara, Russie), brille par la pureté du timbre et la flexibilité à toute épreuve, notamment dans le tendre air de Zaïde (« Ruhe sanft, mein holdes Leben » ). Son dialogue avec le hautbois solo (Philippe Giorgi) est d’un legato sur le souffle et d’une expression élevés ; il éclipse ses aptitudes moins convaincantes en camériste Susanna (Le Nozze di Figaro). L’autre, la soprano italienne Martina Russomanno (formation à Livorno, puis au Mozarteum de Salzbourg), respire la musicalité, tant dans le sostenuto du terzetto de Cosi fan tutte que dans les suppliques de Donna Elvira (Don Giovanni). Issue d’Idomeno, sa prestation soliste (« Padre, germani, addio !« ) résonne comme le climax du Gala. Le talent expressif qu’elle déploie dans le long recitativo accompagnato s’appuie sur les mots douloureux où elle avoue son coupable amour (« Greco »), sur les oxymores (« dolce morto »), énoncés de manière idiomatique. L’aria enchaînée modèle un phrasé mozartien dont les sons filés ou les accentuations sont en parfaite interaction avec l’orchestre.
Au sein des rôles masculins, l’unique contribution du contre-ténor vénézuélien Fernando Escalona est stupenda dans l’air de Farnace de Mitridate re di Ponte. Son charisme solaire s’appuie sur une sûreté technique (formation El Sistema, perfectionnement au CMB Versailles), une dynamique dans les sforzandi, avant l’éclat de la cadence (de sol 2 à sol 4). Le ténor coréen Kiup Lee (formé à Séoul, puis à l’Académie de l’Opéra de Gand) tire parti d’une solide émission pour sa prise de rôle en Ferrando. Son aigu bien projeté réchauffe le terzetto « Una bella serenata », il lui reste à incarner tout rôle avec davantage de naturel. Alexander Ivanov, baryton russe (formé à l’université d’Etat de Moscou) confère une certaine prestance au rôle de Guglielmo (Cosi fan tutte), mais s’investit peu en Masetto jaloux face à sa fiancée Zerlina.
Le baryton-basse écossais Niall Anderson (formé à la Royal Academy of London) a le grand mérite de remplacer au pied levé son collègue souffrant (A. Gnatiuk) dans les ensembles programmés. Est-ce cette absence de préparation qui le conduit à malmener la cavatine emblématique de Figaro, « Se vuol ballare, signor contino » ? Nous en devenons moins sûre lorsque ses réelles qualités vocales paraissent hélas amenuisées par le manque d’écoute de l’orchestre dans le premier trio de Cosi fan tutte (« E la fede delle femmine come l’araba fenice ») ou par une prononciation italienne approximative dans le rôle du valet Leporello. La basse américaine Aaron Pendleton (formée à l’université du Nevada, puis de l’Arizona) confère un hiératisme monolithique au rôle de Sarastro (« O Isis und Osiris » ) . Depuis la loge d’avant-scène, piédestal à la mesure du rôle du commandeur (Don Giovanni), l’artiste à la carrure sculpturale assure des graves aussi ténébreux (« Rispondi ! ») que ceux des trois trombones de l’orchestre ; néanmoins quelques approximations de justesse (aigu) pondèrent sa prestation. Notre préférence s’oriente vers le baryton-basse chypriote Yiorgo Ioannou, donnant fièrement le départ au maestro lors du final de Don Giovanni. Sa ligne vocale musicalement bien articulée renforce son aisance scénique. Il confère une insouciante juvénilité à la personnalité du dissoluto, tout en tenant tête à tous ses interlocuteurs avec le sarcasme donjuanesque. Si son registre grave manque d’un brin de mordant (contrairement au reste de sa tessiture), pourquoi ne pas lui confier plutôt le rôle de l’acolyte Leporello pour débuter sur les scènes européennes ?
Depuis leurs deux concerts au festival Voix d’automne d’Evian, la troupe des académiciens en résidence a progressé. Souhaitons-leur le meilleur pour leur prochain spectacle, Il Nerone / L’Incoronazione di Poppea de C. Monteverdi au Théâtre de l’Athénée Jouvet, du 2 au 12 mars, en compagnie du Poème harmonique sous la direction de V. Dumestre. (Informations ici !).
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Pour aller plus loin …
Kseniia Proshina, soprano
Martina Russomanno, soprano
Lise Nouguier, mezzo soprano
Kiup Lee, ténor
Fernando Escalona, contre-ténor
Alexander Ivanov, baryton
Yiorgo Ioannou, baryton
Niall Anderson, baryton basse
Aaron Pendleton, basse
Orchestre de l’Opéra national de Paris, dir. Vello Pähn
Victorai Sidjà, mise en espace
W.A. Mozart, Cosi fan tutte (Ouverture ; Acte 1 scène1, trio « Soave sia il vento« )- Mitridate re di Ponte (air de Farnace « Va l’error mio palesa » ) -– Idomeneo (air d’Ilia « Padre, Germani, addio ! » ) – Le Nozze di Figaro (air de Figaro « Se vuol ballare » ; duo « Se a caso madama la notte ti chiama« ) – Zaïde (air « Ruhe sanft« ) – Die Zauberflöte (air de Sarastro « O Isis und Osiris« ) – Don Giovanni (duo de Zerlina et Masetto » Batti, batti bel Masetto« , duo « La ci darem la mano« , final du 2e acte).
Concert du 20 janvier 2022, Palais Garnier (Paris)
2 commentaires
Votre critique concernant Niall Anderson et ses « réelles qualités vocales (..) amenuisées par le manque d’écoute de l’orchestre dans le premier trio de Cosi fan tutte ou par une prononciation italienne approximative » oublie de préciser qu’il chantait AVEC MASQUE. Un « léger » détail à ne pas omettre. Nous pouvons imaginer la réelle difficulté pour les chanteurs d’exercer leur art dans ces conditions, ne pas suffoquer, avoir une prononciation distincte et claire… je salue au contraire cette très belle prestation !
Toujours un plaisir de lire ces fidèles et rigoureuses critiques musicales qui nous feraient presque oublier que nous n’assistions pas à cette soirée de Gala.
Je partage totalement la remarque sur la »forme » du gala. Il me semble aussi peu pertinent, et donc discutable, de maintenir les »tenues » de soirée en 2022.