La Romance de Paris
Au coeur du quartier de La Nouvelle Athènes, où rodent encore les ombres de Liszt, de Chopin ou Georges Sand et bien d’autres romantiques, un concert intime proposait mardi dernier un programme aussi original que passionnant.
Qui connait Sophie Gail, Martin Pierre D’Alvimare, Antoine Romagnesi ou Victor Dourlen ? Reflets d’un temps et d’un certain gout d’une époque, leurs romances sont touchantes, expressives, toujours chantantes, particulièrement lorsqu’elles sont interprétées par Claire Lefilliâtre dont la diction, le timbre et la présence nous rendent ces musiques simples si proches et émouvantes.
L’originalité de ce concert de salon était multiple, autour de tant de découvertes.
Avant tout, il y avait le choix d’un instrument magique, ce piano carré Erard de 1806, magnifiquement retravaillé et restauré sur deux années par le facteur Christopher Clarke. Il permet des nuances, des couleurs, un sfumato que les deux interprètes, tour à tour, surent si bien mettre en valeur, avec ses quatre pédales permettant un jeu de luth ou de fagott (basson), ses résonances boisées et un toucher qui semblait particulièrement inspirer les pianistes au jeu tour à tour brillant ou subtil. La fluidité du clavier leur permettait des nuances ineffables dans les passages virtuoses comme dans les romances rêveuses.
Il y avait ensuite le choix d’un programme varié. On y entendait des œuvres pour piano seul de Jean-Louis Adam (1758-1848), François-Adrien Boieldieu (1775-1834), Hyacinthe Jadin (1776-1800) ou Hélène de Montgeroult (1764-1836) – dans le moment le plus faible du concert en raison du peu d’intérêt de la partition, mais 8 mars oblige, la compositrice devait se faufiler dans ce programme…
Ces sonates alternaient avec des partitions pour pianoforte et flûte romantique du frère Jadin, Louis-Emmanuel (1768-1853). Sa sonate op13 n°3 ouvrait le concert avec un premier mouvement bien faible dans un improbable dialogue des deux instruments, mais son Nocturne donnait une autre profondeur et permettait à Nicolas Bouils de nous régaler d’une sonorité et d’une virtuosité douce. Un ressenti à nouveau partagé par l’andante de la sonate K 377 de Mozart arrangée pour flûte et piano par Luca Montebugnoli lui-même.
Bien sûr, le cœur d’un programme riche et très fourni tournait autour des romances, ce genre qui imprégnait toutes les autres compositions instrumentales entendues. Là résidait sans doute le plus intéressant du programme, par ces découvertes de pièces superbes, éclairage vocal nouveau porté sur une période musicale encore à défricher. « Mon cœur soupire » de D’Alvimare (1772-1839) donnait immédiatement le ton, romantique en diable, alors que « L’orage » d’Hortense de Beauharnais[1] (1783-1837) nous entrainait vers des sommets de musique descriptive que le piano de Stéphane Fuget enflammait.
De gauche à droite : Stéphane Fuget, Claire Lefiliâtre, Luca Montebugnoli,
Nicolas Bouils et, assise, Madame la Maire du 9e arrondissement, Delphine Bürkli.
On n’entend jamais ce répertoire et c’est plus que dommage. Chaque romance est une saynète, un monde dramatique (la bouleversante « Mort de Werther » de L.E. Jadin) ou poétique (« N’est-ce pas d’elle ? » de l’oubliée Sophie Gail, 1775-1819), héroïque (l’inénarrable « Bayard mourant » de Méhul, 1763-1817) voire même jouant sur le second degré avec un humour pastiche (« Le spectre de la tour » de Dourlen, 1780-1864) A chaque fois, Claire Lefilliâtre brossait une atmosphère sensible, avec sa voix envoutante, aux riches harmoniques. Elle aime ce répertoire, le ressuscite, le fait vivre et vibrer.
En bis, Claire Lefilliâtre incitait le public à chanter avec elle le célébrissime « Plaisir d’amour » de Martini (1784 !), accompagnée par un quatre mains et la flûte. Ce moment de partage reflétait toute la réussite de cette soirée : au diapason de l’intime. À quand un enregistrement de ces petits joyaux oubliés mais désormais accessibles grâce à l’initiative de La Nouvelle Athènes[2] ?
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[1] Concernant les romances d’Hortense de Beauharnais, voir : https://imslp.org/wiki/12_Romances_dedicated_to_Stéphanie_de_Beauharnais_(Beauharnais,_Hortense_de)
[2] Pour en savoir plus sur La Nouvelle Athènes : www.lanouvelleathenes.net
Claire Lefilliâtre, soprano
Nicolas Bouils, flûte romantique
Stéphane Fuget et Luca Montebugnoli, piano carré Erard 1806
Romances de Sophie Gail, Martin Pierre D’Alvimare, Antoine Romagnesi, Etienne-Nicolas Mehul, Victor Dourlen. Sonates de Jean-Louis Adam, François-Adrien Boieldieu, Hyacinthe et Louis-Emmanuel Jadin, François Devienne et Hélène de Montgeroult.
Mairie du 9e arrondissement – Mardi 8 mars 2022
Concert présenté par La Nouvelle Athènes (Centre de pianos romantiques)