La salle Henri Langlois de la Cinémathèque était comble en ce vendredi 1er avril pour ce qui constituait un événement à la fois inattendu et inespéré : la présentation, dans une version restaurée (en présence de Costa-Gavras et de Maria Komninos, directrice de la programmation de la Cinémathèque de Grèce), des Apaches d’Athènes de Dimitris Gaziadis. Ce film, réalisé en 1930 et considéré comme perdu depuis des décennies, est en fait l’adaptation cinématographique de l’opérette grecque homonyme de Nikos Hadjiapostolou (musique) et Yannis Prineas (livret), qui avait été créée le 17 août 1921 à Athènes et avait remporté un énorme succès. Une seule copie de ce film a été redécouverte dans les archives de la Cinémathèque Française il y a sept ans : en très mauvais état, elle a fait l’objet d’une restauration remarquable, mais pour pouvoir présenter le film au public, il fallait encore reconstituer sa bande son : Les Apaches d’Athènes furent en effet en leur temps la première tentative grecque de synchronisation d’image avec une musique gravée sur disques, lesquels disques ont, hélas, eux aussi été perdus. Une nouvelle bande son a donc été imaginée, prenant appui sur la partition de l’opérette d’origine, mais proposant également trois nouvelles chansons spécialement créées pour le film. Après ces différents travaux de restauration et de reconstitution, menés par des équipes visiblement passionnées et enthousiastes, Les Apaches d’Athènes ont enfin pu connaître une seconde naissance : l’avant première mondiale du film restauré a eu lieu le 15 février 2020 à l’Opéra national de Grèce, au Centre culturel de la Fondation Stavros Niarchos, lequel a financé la restauration. L’Opéra national de Grèce a quant à lui parrainé la partie de la musique vivante pour accompagner cette projection du film à Paris.
Le scénario des Apaches d’Athènes est à la fois drôle, poétique et touchant, comme pouvaient l’être à la même époque certains films de Chaplin auquel le réalisateur rend d’ailleurs discrètement hommage (une photo de Charlot est accroché sur le mur de la mansarde qu’occupe le héros du film). Pierre Lambetis, un jeune homme sans le sou, amoureux d’une jeune et pauvre vendeuse de fleurs (Titika), se retrouve malgré lui amené à jouer le rôle d’un prince (le « Prince du Mont Athos » !) afin de séduire Véra, la fille d’un riche gréco-américain, parvenu vulgaire et ridicule. Une mission d’autant plus facile à honorer que Vera « en pince pour le prince », depuis que ce dernier l’a secourue après une chute de cheval… Bien sûr, in fine, Pierre le faux prince retournera auprès des siens et donnera son amour à la pauvre mais sincère Titika. L’intrigue, on le voit, est plutôt convenue et aligne certains poncifs des mélos de l’époque, mais elle est bien ficelée, bien rythmée, souvent drôle, et comporte une galerie de personnages attachants.
Pourtant, ce qui fait avant tout la valeur du film, c’est sans doute la superposition de la musique (interprétée avec conviction par la soprano Elena Kelessidi, le ténor Dimitris Paksoglou et le pianiste Frixos Mortzos), au charme à la fois prégnant et suranné, et des images poétiques, naïves et pleines d’humour du film de Gaziadis : cette fusion de la musique et des images distille un charme qui opère comme une véritable « machine à remonter le temps », à l’efficacité aussi imparable que celle imaginée jadis par H. G. Wells ! Pendant les 80 minutes que dure le film, les spectateurs se sont en effet trouvés plongés dans l’Athènes de l’entre-deux-guerres, côtoyant aussi bien les petites gens (incroyables vues de Plaka, qui n’était alors qu’un quartier populaire où se mêlaient petits commerces et habitations modestes, sans rapport aucun avec la concentration d’échoppes touristiques et de restaurants qui le composent aujourd’hui) que la haute société, et pouvant admirer des vues de l’Acropole, des quartiers de Syntagma, de Psirri, Thissio, Gazi ou encore de la campagne athénienne de l’entre-deux-guerres. C’est aussi toute une galerie de figures typiques et pittoresques qui défilent sous nos yeux et, au-delà des personnages de fiction – et de convention – sollicités par le scénario, on est particulièrement ému d’apercevoir, au hasard des scènes, les petites gens, les figurants, les enfants (incroyables bouilles de ces « Apaches d’Athènes », bande de garçonnets athéniens – donnant son titre au film – plus ou moins livrés à eux-mêmes et toujours prompts à déclencher une bagarre !) qui peuplaient alors les rues de la capitale grecque.
Une soirée émouvante, dont on espère qu’elle aura des lendemains : le film mériterait d’être présenté et redécouvert à l’occasion des divers festivals internationaux du cinéma muet !
Elena Kelesidi, soprano
Dimitris Paksoglou, ténor
Frixos Mortzos, piano
Les Apaches d’Athènes
Film grec de Dimítrios Gaziádis (1930), avec Mary Sagianou-Katseli, Petros Epitropakis, Petros Kyriakos et Titika Sophiadiou.
Projection du 1er avril 2022, Cinémathèque française (« Toute la mémoire du monde », 9e festival international du film restauré).
La restauration de ce film est le fruit de la collaboration entre La Cinémathèque Grecque, La Cinémathèque Française, le laboratoire Immagine Ritrovata et le Centre Hellénique de Musique, sous le parrainage de Costa-Gavras. L’Opéra national de Grèce a parrainé la partie de la musique vivante pour accompagner la projection du film à Paris. La restauration numérique du film et sa présentation ont été rendues possibles grâce au soutien de la Fondation Stavros Niarchos (SNF).