LE GRAND FRISSON – Récital Cyrille Dubois aux Invalides
Pour ressentir le grand frisson, on peut choisir les montagnes russes ; on peut aussi opter pour la mélodie française, surtout lorsqu’elle est interprétée par un artiste qui, tout en cultivant bien d’autres répertoires, s’en est malgré tout fait une spécialité. Au sommet de son art, Cyrille Dubois, fidèlement secondé par le pianiste Tristan Raës avec lequel il forme le duo Contraste, est incontestablement de ceux qui savent procurer à l’auditeur ce frisson de plaisir et d’émotion qu’inspire l’adéquation entre un chanteur et une partition. Alors que doit sortir à la fin de ce mois de mai leur intégrale des mélodies de Fauré, le ténor et son accompagnateur étaient une fois encore réunis dans le Grand Salon de l’hôtel des Invalides, non pour se consacrer au seul compositeur de Pénélope, mais pour offrir un programme franco-allemand.
C’est en effet une alternance permettant de passer d’un côté à l’autre du Rhin que cultive le duo Contraste en cette occasion. D’un côté, Franck, Chausson et Fauré ; de l’autre, Brahms, Wagner et Richard Strauss. Mais au lieu d’opposer deux blocs, on enchaîne un bouquet de mélodies à un groupe de lieder pour revenir ensuite en France, avant de repartir en Allemagne. Ces compositeurs se connaissaient-ils, s’écoutaient-ils ? En dehors du wagnérisme cultivé dans les salons parisiens, y eut-il d’autres influences transfrontalières ? Laissons au musicologue le soin de trancher ces questions, et concentrons-nous plutôt sur l’aisance avec laquelle Cyrille Dubois négocie cette oscillation constante entre les deux pays.
Après la parution récente de l’intégrale des mélodies de César Franck enregistrée par Tassis Christoyannis, il est intéressant d’en entendre trois, et non des moindres, chantées par un ténor : la version baryton sonne évidemment plus « grave », moins juvénile, et Cyrille Dubois donne parfois un tour plus ouvertement dramatique à son interprétation. Avec Brahms, après la sérénade qui ouvre les tardifs Cinq Lieder opus 106, le climat se fait de plus en plus sombre, et l’on entre dans l’évocation de la nature. De Chausson, sont réunies une page célébrissime – « Le colibri », susurré comme un rêve éveillé – et une mélodie moins fréquentée, « La caravane », d’une ampleur très théâtrale, sur un poème de Théophile Gautier évoquant la condition humaine.
Deux des Wesendonck Lieder, dont un superbe « Träume », montrent qu’il n’est pas nécessaire d’être Heldentenor pour chanter Wagner. Viennent ensuite quatre Fauré habilement choisis : après l’inévitable « Clair de lune » dont Cyrille Dubois fait le plus beau des paysages choisis, l’auditeur a la surprise de passer à la très guillerette « Fée aux chansons », puis retour à l’univers des parcs mystérieux avec « Arpège », sur un texte d’Albert Samain. Et cette section se clôt sur un extrait de la musique de scène conçue par Fauré pour Le Bourgeois gentilhomme, « Je languis nuit et jour » se parant bien sûr de notes fort différentes de celles qu’avait imaginées Lully. De Richard Strauss, on entend les rare Mädchenblumen de jeunesse : sur les quatre lieder de ce cycle, les deux plus brillants annoncent déjà le compositeur de la maturité.
Le public enthousiaste ne saurait laisser la soirée se conclure sans plusieurs bis que le duo accorde bien volontiers. C’est bien sûr de Fauré qu’ils proviendront : d’abord « Noël » (1885), dont le talent des interprètes transcendent la poésie un peu mièvre ; puis la très connue « Chanson d’amour » (1882), enveloppée d’une douceur confondante ; et enfin « Après un rêve » (1877), où le chant de Cyrille Dubois se révèle une fois de plus irrésistible, par la manière dont il sait s’approprier cette musique et la rendre envoûtante. Plus qu’une dizaine de jours à attendre avant le disque…
Cyrille Dubois, ténor
Tristan Raës, piano
Mélodies et lieder de Franck, Chausson, Fauré, Brahms, Wagner, Strauss.
Concert du 16 mai 2022, Grand Salon des Invalides (Paris)