Formidable réussite scénique et musicale pour Le Couronnement de Poppée à Aix-en-Provence
C’est une très belle Poppée que propose actuellement le Festival d’Aix-en-Provence, et l’artisan principal de cette réussite est peut-être avant tout le metteur en scène Ted Huffman, qui signe là un spectacle tout à fait convaincant. L’espace scénique du petit Théâtre du Jeu de Paume est parfaitement utilisé : le plateau est nu, seuls en émergent, au fond, un cadre noir, et sur les côtés, quelques accessoires (chaises, tables penderie..). Les acteurs sont présents en permanence sur scène (il sont assis autour quand ils ne jouent pas), les changements de costumes et d’accessoires s’effectuant à vue.
Le décor n’est constitué que d’un seul dispositif, mais il est imposant : un très gros tuyau suspendu qui monte, descend, tourne… Symboliquement, les interprétations sont diverses en fonction des spectateurs : on peut y voir une menace, un symbole bipolaire (il est peint en noir et blanc), une boussole… voire un agitateur magnétique de labo géant se mettant à tourner quand les personnages perdent leurs repères (moraux) ! Esthétiquement, l’effet n’est peut-être pas des plus séduisants… mais le dispositif ne s’avère pas gênant finalement.
Le point fort du travail de Ted Huffman réside en fait dans la direction d’acteurs, absolument parfaite. Othon (est-ce le fait qu’on lui fasse porter une culotte courte ?) est scéniquement peut-être un peu moins à l’aise que ses collègues, mais globalement la troupe de chanteurs-acteurs réunis (beaucoup d’entre eux, comme Ted Huffman d’ailleurs, sont des anciens élèves de l’Académie) est absolument formidable de jeunesse, de beauté, d’engagement et de crédibilité. Le travail effectué en amont est évident, de même que le plaisir éprouvé par chacun d’entre eux à être présent sur scène pour chanter et jouer la comédie. Mention spéciale au Néron de Jake Arditti, qui prend des airs de petite frappe à la Vincent Cassel tout à fait bienvenus, de même qu’aux Nourrices, jouées (et fort bien chantées !) par le ténor Miles Mykkanen.
Autre point fort de la mise en scène : Ted Huffman a pris soin de conserver en permanence un juste équilibre entre tragique et comique. À l’heure où tant d’opéras baroques, aux thématiques pourtant on ne peut plus graves ou sérieuses, sont transformés en sous opéras-bouffes déclenchant les rires du public sur toute leur durée sous le prétexte qu’ils comportent ici ou là une scène et/ou un personnage comiques, la préservation de ce délicat équilibre est infiniment appréciable ! Surtout, Ted Huffman évite soigneusement le burlesque et le vulgaire, y compris dans les scènes sollicitant les nourrices travesties, qui donnent si souvent lieu à tant de lourdeur, de facilité, d’excès…
De la distribution, excellente et très équilibrée, émergent notamment le Néron convaincant de Jake Arditti (la voix pourrait gagner en velouté, mais la virtuosité est impressionnante), l’Othon au beau timbre suave de Paul-Antoine Bénos-Djian), la Poppée féline de Jacquelyn Stucker) et l’Octavie de Fleur Barron, fort émouvante dans ses adieux à Rome.
La Cappella Mediterranea, sous la direction de Leonardo García Alarcón, fait des merveilles. Fougueuse, originale, colorée, émouvante, la prestation du petit ensemble est tout simplement impeccable !
Poppea : Jacquelyn Stucker
Ottavia / Virtù : Fleur Barron
Nerone : Jake Arditti
Ottone : Paul-Antoine Bénos-Djian
Seneca : Alex Rosen
Arnalta / Nutrice / Famigliare I : Miles Mykkanen
Fortuna / Drusilla : Maya Kherani
Amore / Valletto : Julie Roset
Lucano / Soldato I / Famigliare II : Laurence Kilsby
Liberto / Soldato II : Riccardo Romeo
Littore / Famigliare III : Yannis François
Cappella Mediterranea, dir. Leonardo García Alarcón
Mise en scène : Ted Huffman
Décors, concept original : Johannes Schütz
Décors, adaptations : Anna Wörl
Costumes : Astrid Klein
L’Incoronazione di Poppea
Opéra en un prologue et trois actes de Claudio Monteverdi, livret de Giovanni Francesco Busenello d’après les Annales de Tacite, créé en 1642-1643 au Teatro Grimano (Santi Giovanni e Paolo) de venise. Version de Venise (1650).
Représentation du 12 juillet 2022, Théâtre du Jeu de Paume, Festival d’Aix-en-Provence