Après un passage l’été dernier au Festival Radio France de Montpellier (avec un programme complètement différent), qui avait ravi notre collègue Sabine Teulon-Lardic, les King’s Singers, grâce à Philippe Maillard Productions, posaient ce vendredi 07 octobre leurs valises salle Gaveau dans le cadre d’une tournée 2022-2023 qui les conduira à travers l’Europe, les États-Unis et le Canada. Ce célèbre chœur anglais a cappela, constitué depuis sa création de deux contre-ténors, un ténor, deux barytons et une basse, est né en 1968, lorsque six choristes du King’s College de Cambridge (d’où leur nom…) donnèrent un concert au Queen Elizabeth Hall de Londres. Sur plus de 50 ans, leur répertoire, allant du chant choral anglais aux Beatles, ou aux créations contemporaines, n’a cessé de s’enrichir et est devenu immense. Mais ce soir, le programme est, de façon très originale, construit autour d’une jolie série d’anniversaires : les 100 ans de la naissance de Philip Larkin, poète anglais mort en 1985 ; les 400 ans des morts des compositeurs anglais Thomas Weelkes (1543-1623) et William Byrd (1576-1623), maîtres de la polyphonie anglaise, et de l’école anglaise du madrigal ; les 100 ans de la naissance du compositeur hongrois György Ligeti (1923-2006), dont plusieurs des Nonsense Madrigals seront interprétés ; les 50 ans de la naissance de la compositrice américaine Gabriela Lena Frank (née en 1972), les 150 ans des naissances des compositeurs britannique Ralph Vaughan Williams (1872-1958) et suédois Hugo Alfvén (1872-1960), les 50 ans de l’écriture du poème « Five ways to kill a man », à l’humour cynique et désabusé, mis en musique par Bob Chilcott, qui fut lui-même membre des King’s Singers de 1985 à 1997, sans oublier les 55 ans de King’s Singers, et … les 100 ans de la fondation Walt Disney !
Les dimensions de la Salle Gaveau sont idéales pour ce type de spectacle, la distance réduite entre le public et le plateau permettant de créer une belle intimité. Aussi les King’s singers ne se contentent-ils pas de chanter : ils s’adressent directement aux spectateurs et prennent la parole les uns après les autres (dans un français excellent, assaisonné d’un irrésistible accent british, plus ou moins prononcé en fonction des chanteurs) pour donner des explications sur les morceaux qui seront interprétés. Le concert est un régal, et suscite une admiration qui ne faiblira pas jusqu’à l’ultime bis ! Saluons l’extraordinaire précision rythmique, l’incroyable justesse des attaques, la complicité de tous les instants qui unit les six chanteurs, visiblement ravis de se produire salle Gaveau, et de s’y produire ensemble ; la façon dont les couleurs de chaque timbre se fondent entre elles pour former une pâte sonore d’une parfaite harmonie, l’art avec lequel les voix tantôt se superposent, tantôt se répondent, la ligne de chant passant parfois d’un soliste à l’autre, mettant occasionnellement en valeur une voix après l’autre, sans que jamais l’équilibre ne soit rompu, sans qu’aucun chanteur prenne jamais le pas sur ses partenaires. Mais il faut aussi louer la parfaite aisance des chanteurs et leur incroyable versatilité stylistique, chacun d’entre eux se montrant tout aussi à l’aise dans la gravité que dans la fantaisie, dans les pièces sacrées de la Renaissance que dans les morceaux plus contemporains. Enfin, le concert n’aurait pas le même sel sans l’humour qui parcourt toute la soirée, humour des textes (Cuckoo in the pear-tree ou A long sad tale de Ligeti, Five ways to kill a man de Bob Chilcott), mais aussi des interprétations, émaillées de mimiques, de bruitages, d’imitations de certains instruments…
Le public acclame, trépigne, rappelle, crie sa joie et sa reconnaissance… et refuse de laisser partir les chanteurs avant qu’ils n’aient accepté, très généreusement, de prolonger le concert par de nombreux bis (« C’est le dernier ! », ont-ils dit au moins 3 ou 4 fois, avant de céder aux prières des spectateurs et chanter, encore et encore… Parmi les pages interprétées en bis, leur interprétation hilarante et irrésistible du « Vol de Bourdon » remporte un triomphe !)
Qui a dit que les relations franco-britanniques étaient un peu tièdes en ce moment ? En une soirée, les King’s singers ont en tout cas démontré qu’au-delà des différents politiques et des petites phrases prononcées par tel.le ou tel.le dirigeant.e, l’entente entre Londres et Paris était bien plus que « cordiale » : respectueuse, chaleureuse, amie, complice. Revenez vite, les King’s singers !!!
The King’s Singers
Patrick Dunachie & Edward Button, contre-ténors
Julian Gregory, ténor
Christopher Bruerton & Nick Ashby, barytons
Jonathan Howard, basse
Œuvres de Bob Chilcott, William Byrd, Thomas Weelkes, György Ligeti, John Butter, Gabriella Lena Frank, Ralph Vaughan Williams, Hugo Alfvén
Concert du vendredi 07 octobre 2022, Paris, Salle Gaveau.