L’édition 2022 des Concerts d’automne s’est achevée avec un concert original et d’une grande beauté : Amore siciliano, proposé par Leonardo García Alarcón et sa Cappella Mediterranea. Le programme mêle habilement musique savante et chansons d’origine populaire, lesquelles sont loin d’être les moins touchantes… L’idée de ce programme singulier est venue d’une chanson anonyme, La canzone di Cecilia que Leonardo García Alarcón explique avoir découvert un soir, grâce à la soprano Francesca Aspromonte (laquelle interprétait la veille le rôle d’Almirena dans Rinaldo, toujours au Grand Théâtre de Tours), qui l’avait interprétée après un dîner rassemblant les musiciens de la Cappella Mediterranea.
La canzone di Cecilia est une de ces chansons simplissimes, strophiques, composées de trois ou quatre phrases musicales seulement, inlassablement répétées, narrant le destin tragique d’un couple d’amoureux en proie à la brutalité d’un homme sans scrupule ni compassion – dont l’écoute bouleverse, en raison même de l’extrême simplicité formelle de la page et de la sincérité des sentiments évoqués. Cecilia est une jeune femme amoureuse d’un homme emprisonné : elle va trouver un Capitaine et le supplie d’intercéder pour libérer son Peppino. Le Capitaine accepte… à condition que la belle se donne à lui. Le jeune Peppino déclare préférer la mort au déshonneur, mais Cecilia, voulant coûte que coûte sauver son amoureux, se donne au Capitaine… lequel ne tiendra pas parole : Cecilia, désespérée, voit le lendemain son bien-aimé Peppino conduit à la mort. La belle en meurt de chagrin. Leonardo García Alarcón a bien raison d’établir un parallèle entre cette histoire et celle de Tosca : quelqu’un aurait-il chanté La canzone di Cecilia à Victorien Sardou avant qu’il ne rédige son drame La Tosca, que Puccini s’empressera de mettre en musique ?
Cette Canzone di Cecilia constitue le fil conducteur du spectacle : divisée en plusieurs parties, elle ponctue le concert à la manière d’un feuilleton mélodramatique « à suivre », tel que la presse en offrait à ses lecteurs au XIXe siècle. Elle tisse ainsi une trame autour de laquelle s’articulent toutes les autres pages musicales : des extraits de madrigaux ou de cantates de grands compositeurs tels Sigismondo d’India, Alessandro Scarlatti ou Cataldo Amodei, mais aussi des pages anonymes, délicates (une berceuse à l’enfant Jésus : Fermarono i cieli), drôles (U Ciucciu, évoquant le désespoir d’un paysan après la mort de son âne), touchantes (superbe Riturnella – dans laquelle une hirondelle est chargée de porter un message d’amour -, magnifiquement interprétée en duo par Ana Vieira Leite et Mariana Flores).
La Riturnella - Francesca Aspromonte, Mariana Flores
Faut-il vraiment ici détailler les qualités de chaque interprète ? On peut bien sûr louer la voix ronde et pleine du contre-ténor Léo Fernique, le timbre chaleureux de la basse Matteo Bellotto, la projection vocale pleine d’assurance (et l’humour !) de Valerio Contaldo, la diction poétique et la musicalité de Mariana Flores (ainsi que son élégance en scène, notamment lorsque ses bras dessinent de belles arabesques pendant la Riturnella !), le timbre superbe et l’émotion qui se dégage du chant d’Ana Vieira Leite ; on se doit aussi de signaler l’infaillible musicalité des musiciens de la Cappella Mediterranea, comme toujours exemplaires, aussi à l’aise dans la délicatesse et la poésie que dans l’enjouement et l’allégresse (irrésistible Tarantela española de Diego Fernández de Huete, qui d’ailleurs sera reproposée en bis !). Le procédé pourtant nous semble malvenu tant le spectacle semble avant tout le fruit d’un travail d’équipe, chaque artiste, chanteur ou musicien de l’ensemble, apportant sa pierre à cette très belle réussite collective.
Tarantela - Quito Gato (1960) d'après une tarantella de Diego Fernandez de Huete (1635-1713)
À la fin du concert, un regret nous vient : si l’idée de découper La canzone di Cecilia en plusieurs épisodes permet d’établir une belle progression dramatique au fil du concert (qui, d’ailleurs, se présente comme un « opéra en deux actes », à la façon des pastiches d’autrefois), on se prend à regretter de ne pas avoir entendu la chanson en une seule fois, dans son ensemble… Ce sera chose faite à la toute fin du concert : Mariana Flores et Ana Vieira Leite proposent l’intégralité de La canzone, que le public, suspendu aux lèvres des deux sopranos, écoute avec recueillement et une émotion quasi palpable lorsque, a capella, Ana Vieira Leite murmure les deux derniers vers : « Arrivederci, amore, non ci vedremo più » : « Au revoir mon amour, nous ne nous reverrons plus… ».
Merci, les artistes, pour ce moment d’intense poésie et d’émotion !
La canzone di Cecilia (Francesca Aspromonte)
Cecilia, soprano : Ana Vieira Leite
Donna Isabella, soprano : Mariana Flores
Santino, contre-ténor : Léo Fernique
Don Lidio, ténor : Valerio Contaldo
Giuseppe (Peppino), basse : Matteo Bellotto
Stéphanie De Failly : violon
Rodrigo Calveyra : flûte, cornet
Mélanie Flahaut : basson, flûte
Margaux Blanchard : viole de gambe
Eric Mathot : contrebasse
Quito Gato : théorbe, guitare
Marie Bournisien : harpe
Gabriel Rignol : théorbe
Cappella Mediterranea, direction, orgue et clavecin : Leonardo García Alarcón
Amore Siciliano
Vincenzo Tozzi
Carlo Musarra, Qual suono
Anonyme, Fermarono i cieli
Tommaso Carapella, Ho vinto, Amor
Anonyme, U Ciucciu
Cataldo Amodei, Va, ché l’hai fatto a me
Anonyme, La canzone di Cecilia
Sigismondo d’India, Mercé ! Grido piangendo
Pasquale Carroza, Amantissime Jesu
Cataldo Amodei, In solitare arene
Corrado Bonfiglio, Caro amante
Jose Marin, Ojos, pues me desdeñais
Giovanni M. Trabaci,Canzona francesa cromatica
Sigismondo d’India, Dispietata Pietate
Cataldo Amodei, La Parca
Cataldo Amodei, Tirannide Vezzosa
Anonyme, La riturnella
Diego Fernández de Huete, Tarantela española
Alessandro Scarlatti, Mori mi dici
Sigismondo d’India, Piangono al pianger mio
Leonardo García Alarcón, Madrigal à 5 en fugue sur La Canzone di Cecilia
Les Concerts d’automne, Grand Théâtre de Tours, concert du dimanche 16 octobre 2022.