NB : toutes les photos illustrant cet article ont été réalisées par Émilie Brouchon.
Première Loge s’est fait l’écho de la récente création du Fonds Tutti, dont la direction artistique est assurée par Philippe Do et Marie Lambert, et dont la vocation est de favoriser l’insertion professionnelle de jeunes chanteurs en parachevant leur formation (préparation avec un artiste lyrique, master class) et en leur offrant l’opportunité de se produire en concert.
Cette année, huit chanteurs ont été sélectionnés. Coachés par Nicolas Courjal, Marie McLaughlin, Nicole Car, Clémentine Margaine, Étienne Dupuis, Marco Berti, Anna Pirozzi et Mathias Vidal, ils ont préparé un programme offert aux spectateurs mardi 29 novembre, suivi de master class mercredi 30 après-midi avant de se produire de nouveau en concert dans la soirée, avec cette fois-ci la participation complice de leurs mentors.
Les lauréats "Tremplin 2022" au travail
Nicole Car et Camille Chopin
Etienne Dupuis et Astrid Dupuis
Clémentine Margaine et Anouk Defontenay
Nicolas Courjal et Alexandre Baldo
Mathias Vidal et Elsa Roux-Chamoux
Une première constatation : le niveau d’ensemble est très bon, et si tous les artistes ont bien sûr encore une marge de progrès (n’est-ce pas le cas de tous, y compris des plus grands ?), deux ou trois d’entre eux semblent disposer d’ores et déjà d’un bagage technique et d’une aisance suffisants pour affronter certains rôles sur scène !
Le concert du mardi 29 novembre
Antoin Herrera Lopez Kessel, Lyriel Benameur, Anouk Defontenay
Parmi les huit chanteurs, deux hommes seulement (deux barytons-basses), présentant des qualités certaines ne demandant qu’à s’affirmer. Antoin Herrera Lopez Kessel (qui a récemment participé à la Philharmonie au Freitag aus Licht de Stockhausen) soigne sa ligne de chant, notamment dans le « Là ci darem » de Don Giovanni. Mais il lui faut gagner en assurance et sans doute vaincre une certaine réserve qui l’empêche de déployer pleinement ses moyens – et de s’affirmer scéniquement, d’autant qu’il choisit des rôles (Mefistofele, Dulcamara) nécessitant un certain aplomb. Nul doute qu’il n’y parviendra avec le temps, l’extrait de Porgy and Bess donné en fin de programme le montrant déjà plus décontracté, avec une projection vocale plus affirmée.
La première apparition d’Alexandre Baldo (Semiramide de Rossini) le cueille un peu à froid, avec une projection vocale encore timide. En revanche, il s’amuse et amuse le public avec les couplets du Tambour Major du Caïd de Thomas, dont les vocalises finales italianisantes sont interprétées avec plus d’assurance que celles de d’Assur.
Des trois mezzos, Anouk Defontenay est peut-être celle qui dispose dans la voix des couleurs les plus personnelles, avec de beaux graves et certaines raucités qui siéent particulièrement aux rôles travestis (émouvante interprétation de l’air d’Orphée). Il lui reste peut-être à polir encore la ligne de chant, parfois un peu « raide » et manquant légèrement de souplesse ici ou là.
Astrid Dupuis sert la Rosine de Rossini avec espièglerie, que ce soit dans sa cavatine ou dans le duo avec Figaro (Etienne Dupuis), et fait preuve d’une bonne préparation technique, même si les vocalises peuvent encore gagner en assurance et en précision.
Elsa Roux-Chamoux est quant à elle déjà fort à son aise, vocalement et scéniquement : elle maitrise parfaitement le difficile « What a movie » de Trouble in Tahiti et est une Zerline mozartienne sensible et nuancée. Après une brillante carrière de Rink-Hockey (Elsa Roux-Chamoux a été sacrée Championne du monde en 2012), voilà une reconversion professionnelle pour le moins réussie !
Les sopranos, enfin, font valoir des voix assez différentes. Les moyens dont dispose Claire de Monteil, impressionnants, sont ceux d’un soprano lyrique ample et puissant. Son « Tacea la notte » a visiblement fait l’objet d’une très belle préparation : la ligne en est soignée, avec une longue vocalise finale maîtrisée. La cabalette, prise à un tempo raisonnable, ne lui pose guère de problèmes non plus, les trilles et les nuances
étant également respectés. Sa Marguerite de Gounod, lors du concert du 30 (trio final chanté avec Mathias Vidal et Nicolas Courjal) semblera légèrement moins assurée, avec quelques imprécisions et un départ trop tardif sur un des « Dieu juste, à toi je m’abandonne ». L’interprète n’en demeure pas moins émouvante et le rôle de Marguerite, dans son intégralité, pourrait sans doute convenir à cette voix à la fois généreuse et sensible.
Lyriel Benameur fait quant à elle entendre une voix longue, et de qualité égale sur toute la tessiture, avec notamment de beaux graves très assurés et une technique déjà très maîtrisée qui lui permettent d’affronter avec succès les duos de Semiramide (« Quella ricordati ») ou de La Clémence de Titus (« Come ti piace »), ainsi que le « Come scoglio » de Fiodiligi, dont les vocalises et le sauts de tessiture sont émis avec facilité.
La première intervention de Camille Chopin (la benjamine de l’équipe) en Suzanne des Noces nous laisse penser que nous avons affaire à une voix d’ampleur plutôt modeste et à une personnalité encore assez réservée. Surprise : le splendide « Pur ti miro » de Monteverdi, chanté un peu plus tard en duo avec Anouk Defontenay, nous la montre bien plus sûre d’elle, et surtout, la chanteuse déploie dans
« Amour, ranime mon courage » » (Roméo et Juliette) une énergie, une puissance, une émotion que nous ne lui soupçonnions pas ! Un rôle qu’elle doit prochainement chanter avec le Labopéra OM : nous l’y retrouverons avec plaisir.
Le gala du 30 novembre
Lors du concert de gala, ces jeunes artistes talentueux ont partagé l’affiche avec leurs mentors (à l’exception de Marie McLaughlin qui, souffrante, a dû rester à Londres et a été remplacée dans le sextuor des Noces par Anne-Sophie Duprels).
Si Nicolas Courjal est un Méphistophélès diabolique à souhait dans le trio final de Faust, Mathias Vidal convainc dans le rôle-titre, un rôle qu’il pourrait sans doute interpréter avec succès, comme celui de La Damnation, abordé en à Versailles en 2018. Le ténor nous donne un séduisant aperçu de son Tamino, avant celui qu’il doit prochainement chanter à l’Opéra de Versailles. Marco Berti est un peu à l’étroit dans le rôle de Nemorino, habitué qu’il est aujourd’hui à des emplois plus lyriques : de fait, il sera un Manrico flamboyant dans le trio qui clôt le premier acte du Trovatore.
Clémentine Margaine ensorcelle littéralement l’auditoire dans un air des Cartes d’une haute intensité tragique : le timbre est somptueux et fait entendre cette étonnante alternance de sons tantôt veloutés, tantôt rugueux, qui font tout le prix de sa Carmen, qu’elle chantera à l’Opéra Bastille à partir du 28 janvier. Elle rivalisera un peu plus tard d’autorité vocale, pour ne pas dire de sauvagerie, avec Anna Pirozzi dans l’électrisant duo de La Gioconda : « L’amo come il fulgor del creato ».
Enfin, Nicole Car et Étienne Dupuis enflamment littéralement l’amphithéâtre avec leur interprétation déchirante du duo final d’Eugène Onéguine. On reste pantois devant leur capacité à atteindre une tel degré de dramatisme dans le cadre d’un simple récital au piano… Une prestation éblouissante qui déchaîne l’enthousiasme du public !
Gardons nous bien, enfin, d’oublier de citer Élodie Brzustowski, qui propose un accompagnement au théorbe plein d’émotion de poésie du duo du Couronnement de Poppée, ni les deux pianistes Cécile Restier et Selim Mazari, dont l’endurance n’a d’égale que la remarquable facilité à s’adapter aux différents styles requis par les pages du programme.
Deux concerts passionnants qui ont suscité l’enthousiasme du public : nous souhaitons longue vie au Fonds Tutti dont les actions, nous n’en doutons pas, seront infiniment précieuses aux jeunes artistes – et bravo et merci aux « mentors » d’avoir joué le jeu de ce coaching avec disponibilité, talent et générosité.
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