Berlioz/Lélio renaît à la vie au Théâtre Graslin de Nantes !
Angers Nantes Opéra propose le rare Lélio de Berlioz dans un concert mettant également à l’affiche l’Ouverture du Carnaval romain et Cléopâtre. Les Berlioziens sont comblés !
Un très beau concert (affichant quasi complet malgré la rareté des œuvres proposées), sollicitant la participation de jeunes chanteurs français très talentueux et permettant de découvrir une cheffe italienne plus que prometteuse.
À la découverte des liens secrets unissant Le Carnaval romain, Cléopâtre et Lélio…
Les occasions d’entendre Lélio sont trop rares pour ne pas sauter sur l’occasion offerte par Angers Nantes Opéra qui, pour trois soirs, propose un concert Berlioz incluant ce mélologue (ou monodrame lyrique) créé à Paris en 1832. Expressément conçue pour parachever la Symphonie fantastique, auquel elle apporte un commentaire, un prolongement, une conclusion mais aussi une forme de dépassement, l’œuvre, selon les souhaits du compositeur lui-même, devrait toujours être exécutée immédiatement après celle-ci. Curieusement, le choix opéré par Angers Nantes Opéra est tout autre. Pas de Symphonie fantastique en première partie, mais deux pièces en apparence plutôt éloignées de Lélio : l’Ouverture du Carnaval romain et la scène lyrique Cléopâtre. En apparence seulement car si, pour ce qui est des sujets qu’elles abordent, ces deux œuvres n’ont rien à voir avec Lélio, musicalement, les liens qui se tissent entre ces trois opus sautent aux oreilles – et ce n’est pas le moindre mérite de ce concert que de les avoir clairement mis en lumière. On sait bien sûr que le Chœur d’ombres de Lélio reprend quasi textuellement le « Grands Pharaons, nobles lagides » de Cléopâtre ; on sait peut-être moins que le motif musical de « Où sur le sein des mers, comparable à Vénus » de cette même cantate sera repris dans le trio Cellini/Teresa/Fieramosca, lorsque Benvenuto chante à sa bien-aimée « Si loin de vous, triste et bannie, / Mon âme doit perdre l’espoir »… Et personnellement, ce concert aura pour nous été l’occasion de découvrir à quel point la conclusion de la « Fantaisie sur La Tempête de Shakespeare » rappelle l’entrain et le clinquant du Carnaval romain, et de découvrir, toujours dans cette même page (avant et après l’apostrophe à Caliban) un rappel assez net d’une phrase chantée par Cléopâtre (« Du destin qui m’accable, est-ce à moi de me plaindre ? »). Bravo, donc, pour cette démarche on ne peut plus pédagogique, qui rappelle que Berlioz n’hésite pas à s’auto-citer (même s’il moque abondamment les compositeurs, surtout italiens, qui procèdent de même !) tout en préservant à chaque fois l’esprit et l’esthétique de la page sur laquelle il travaille.
Clelia Cafiero : après Tchaïkovski, Berlioz !
© Christophe Nève
Nous avions découvert la jeune cheffe Clelia Cafiero à l’occasion d’une représentation de La Dame de Pique à Marseille, où elle avait accompli l’exploit peu commun d’accompagner les chanteurs au piano pendant toute la durée du spectacle, l’orchestre ne pouvant se produire en raison de la pandémie !
(Voyez ici l’interview qu’elle avait alors accordée à Hervé Casini). Sa gestuelle, d’une extrême précision, permet d’obtenir de l’Orchestre National des Pays de Loire une remarquable netteté dans les attaques.
Comme la veille dans L’Enfance du Christ, l’ONPL brille par son habileté à conférer à chaque page les couleurs et l’atmosphère idoines. Clelia Cafiero joue la carte de la (relative) sobriété, ce qui peut paraître étonnant dans une page aussi clinquante et rutilante que le Carnaval romain. Au déferlement sonore, la cheffe préfère la transparence et la superposition limpide des différentes parties de l’orchestre, ou encore le dialogue entre les instruments : mille détails qui nous échappent bien souvent nous sautent alors aux oreilles, et c’est par ces nouvelles voies plutôt que par la seule puissance sonore ou le jeu de contrastes exacerbés qu’elle parvient à rendre la fougue, le brillant, l’irrésistible entrain du Carnaval. La démarche trouve quelques limites dans les moments les plus tragiques et les plus tendus de Cléopâtre (les sections médianes notamment : « Non, de vos demeures funèbres… » par exemple) qui appellent selon nous un feu, une urgence plus marqués. Mais à ce détail près, la lecture de la cheffe convainc pleinement, et son amour pour la musique de Berlioz transparaît à chaque instant. Signalons également l’excellente tenue du Chœur Angers Nantes Opéra, placé en hauteur, sur les côtés, au niveau du premier balcon, donc derrière Clelia Cafiero – ce qui rend particulièrement plaisantes les allusions de Lélio au fait que les choristes mal placés ne peuvent bien suivre les directives du chef et ont une fâcheuse tendance à « retarder » !
D’éminents représentants du jeune chant français
Côté solistes, Angers Nantes Opéra a (très) bien fait les choses. Bravo tout d’abord au comédien Maxime Le Gall, à qui échoit la tâche délicate de déclamer les propos du récitant. Il s’en acquitte fort bien, avec conviction et naturel, en évitant l’emphase qui pourrait conférer au texte un aspect risible, lequel serait évidemment très malvenu !
Philippe-Nicolas Martin ne fait qu’une bouchée des couplets de la « Chanson des brigands », auxquels il apporte tout l’entrain et le brillant nécessaires – avec également la juste touche de cynisme qu’il convient. On se dit à l’entendre qu’il pourrait faire un fort bon Fieramosca, ayant déjà fait ses preuves la saison dernière dans le genre « fanfaron », avec un réjouissant Belcore auTCE !
Sahy Ratia, récemment entendu dans La Dame blanche (notamment à l’Opéra de Rennes), affronte avec aisance – mais aussi avec un très beau sens des nuances – les lignes vocales assez tendues de la chanson du « Pêcheur » et du « Chant de bonheur ». On le retrouvera avec plaisir dans La Fille du régiment qu’il doit chanter en avril prochain au TCE sous la direction d’Hervé Niquet.
Quant à Julie Robard-Gendre, qui vient de remporter un beau succès en Carmen au TCE, elle offre une interprétation de Cléopâtre impressionnante de maîtrise et d’émotion. Il faut du cran pour affronter cette partition exigeante, demandant tout à la fois noblesse de ton, véhémence, pathétisme, intériorité… La ligne vocale est par ailleurs émaillée de quelques aigus assassins (« la fille des Ptolémées », Grands Pharaons »,…), sur lesquels même les plus grandes ont parfois buté. La mezzo française fait face à toutes ces difficultés avec probité et manifeste par ailleurs un vrai sens du tragique, qui transparaît non seulement dans son chant mais aussi dans son maintien et sa physionomie très expressive.
Ce concert sera de nouveau donné après les fêtes, le 11 janvier, cette fois-ci au Grand Théâtre d’Angers : les berlioziens, sympathisants et amateurs de raretés ne doivent pas le rater !
Cléopâtre :
Julie Robard-Gendre, mezzo-soprano
Lélio :
Sahy Ratia, ténor
Philippe-Nicolas Martin, baryton
Maxime Le Gall, récitant
Orchestre National des Pays de la Loire, dir. Clelia Cafiero
Chœur Angers Nantes Opéra, dir. Xavier Ribes
Hector Berlioz, Le Carnaval romain, Cléopâtre, Lélio ou Le Retour à la vie
Angers-Nantes Opéra, Nantes, concert du jeudi 15 décembre 2022.