Alliance de talents pour une TOSCA réussie à Gênes
Grande attende et beau succès pour cette reprise de Tosca à l’Opera Carlo Felice de Gênes, qui affichait complet pour tout le premier weekend de représentations.
Prenant appui sur les imposantes capacités techniques offertes par l’Opéra Carlo Felice, la mise en scène de Davide Livermore, créée en 2014 et reprise cette saison par Alessandra Premoli, installe au centre de la scène une structure géométrique, triangulaire, qui sert à la fois de décor et de plateau, et qui pivotera tout au long de la pièce, pour figurer différents espaces (église, palais, extérieur d’une maison). Ce dispositif est à la fois très efficace visuellement – construisant un jeu d’opposition entre lignes droites et obliques, surface marbrée claire et structure métallique – et facilite l’audition, permettant de distribuer verticalement les chanteurs. Ceux-ci semblent s’être parfaitement appropriés cette surface oblique, sur laquelle ils évoluent avec beaucoup d’aisance, fluidifiant les mouvements du plateau. A cet élément central viennent s’ajouter quelques éléments de décor à la forte connotation symbolique, et un écran en arrière-plan qui projette des images, fixes ou animées. Il faut saluer l’usage parcimonieux et intelligent de la vidéo dans cette mise en scène, même si certaines images projetées n’échappent pas à une certaine facilité un peu kitsch.
L’orchestre du Carlo Felice, sous la baguette précise et enthousiaste de Pier Georgio Morandi, se montre en très grande forme, puissant, précis, et prend visiblement beaucoup de plaisir à servir les différents registres dramatiques de la musique de Puccini. De fait, dans Tosca comme dans les autres opéras de Puccini, la musique participe pleinement à l’action : c’est par exemple la phrase de flûte bucolique qui accentue par contraste la cruauté de l’arrêt de mort dicté par Scarpia au début de l’acte II. Dignes d’éloge en particulier les pupitres de trompettes, de bassons, et bien entendu de clarinettes, vedettes de l’ouverture de l’acte III et du thème de « E lucevan le stelle ».
Pas moins de talent sur le plateau : Maria José Siri, en Tosca, brille par ses qualités vocales et son implication totale dans le rôle, multipliant les prises de risque. Son « Vissi d’arte » est réellement habité, servi également par la mise en scène qui place la chanteuse à terre, comme écrasée par un rayon de lumière froide qui en sublime la défaite. Son duo amoureux avec Cavaradossi, interprété par Riccardo Massi, fonctionne à merveille : lui aussi se distingue par un grand naturel dans son jeu, et une ferveur et une intensité dramatiques qui ne transigent cependant pas sur la beauté et la chaleur de la voix. Le très attendu « E lucevan le stelle », chanté avec une grande simplicité et pureté dans le phrasé, réjouit le public. Amartuvshin Enkhbat, baryton déjà connu et aimé du public génois, complète ce trio enthousiasmant, incarnant un Scarpia cruel et glacial, triomphant des écarts de hauteur de la partition avec une facilité apparente. Le reste de la distribution se montre également d’une grande qualité.
En revanche, si le premier duo fonctionne parfaitement, ce n’est pas le cas de celui formé par Maria José Siri et Amartuvshin Enkhbat, qui pèche par statisme à l’acte II, et par manque de crédibilité dans les scènes de l’agression sexuelle et du meurtre. Les deux artistes manquent visiblement de synergie, et ont du mal à donner vie de façon convaincante – dramatiquement parlant – à ces scènes de duo entre Tosca et Scarpia.
Cette conjonction de beaucoup de talents et d’envies donne un spectacle réjouissant, qui fait honneur aux différents registres de l’opéra de Puccini, et qui réussit à passer du comique au tragique, à faire tour à tour sourire et trembler le spectateur, sans perdre en fluidité ni en efficacité dramatique. C’est là un pari très difficile, relevé haut la main par cette production.
Floria Tosca : Maria José Siri
Mario Cavaradossi : Riccardo Massi
Scarpia : Amartuvshin Enkhbat
Angelotti : Dongho Kim
Sagrestano : Matteo Peirone
Spoletta : Manuel Pierattelli
Sciarrone : Claudio Ottino
Orchestre et chœur de l’Opéra Carlo Felice, dir. Pier Georgio Morandi
Mise en scène : Davide Livermore, reprise par Alessandra Premoli (production de l’Opéra de Lyon)
Tosca
Opéra en trois actes de Giacomo Puccini, livret de Giuseppe Giacosa et Luigi Illica d’après la pièce de Victorien Sardou. Créé au Teatro Constanzi à Rome le 14 janvier 1900.
Opéra Carlo Felice, Gênes, 24 février 2023