I Puritani en concert au Théâtre des Champs-Élysées
Une distribution longuement attendue
Des belcantistes émérites
Jessica Pratt dans l’un de ses rôles fétiches
Cette version de concert des Puritani avait initialement été programmée il y a deux ans, presque jour pour jour, dans cette même salle, avec le même chef et les mêmes chanteurs, sauf pour deux rôles mineurs ; elle aurait dû être jouée au mois d’avril 2021. Elle était tout particulièrement attendue pour les interprètes du couple d’amoureux, Jessica Pratt et Xabier Anduaga. Ce dernier ayant déclaré forfait quelques jours avant la séance, il a été remplacé presque au pied levé par Levy Sekgapane, ce qui a suscité d’autres expectatives mais pas pour les mêmes raisons.
Très rare à Paris, où elle n’a fait ses débuts qu’en septembre 2017, dans Lucia di Lammermoor, toujours en concert et au Théâtre des Champs-Élysées, la soprano australienne a plus souvent sillonné la province où elle a été notamment Elvira à Toulon, au printemps 2009, et à Marseille, à l’automne 2019. Belcantiste émérite, elle a beaucoup chanté l’héroïne bellinienne dans toute l’Europe, principalement en Italie, mais pas seulement. Abordant le duo avec son oncle de manière très dramatique, elle se démarque d’emblée par une ligne de chant à toute épreuve et par une magistrale maîtrise de l’aigu. Sa prestation au sein du finale I, grandiose dans son ensemble, met en lumière la pureté d’un timbre qui s’épanouit dans des notes piquées savamment tenues ; les trilles et les variations menant le public au septième ciel. Dans le quatuor qui suit elle sait conjuguer la vaillance dans le haut du registre et le soin de la mélodie, ce qui lui vaut une ovation avant la strette. Poignante dans la folie, dont les sons filés de la cavatine donnent le frisson, elle aborde la cabalette de manière à la fois sobre et souple, proposant dans la reprise des ornementations toujours renouvelées. Le drame réapparaît dans le duo d’amour où lui donne la réplique un partenaire à la virtuosité consciencieusement gérée. Dans ces conditions, nous espérons bien que la cantatrice pourra investir au plus vite l’Opéra national de Paris.
Des débuts prometteurs
Si le ténor espagnol était invité à peu près pour les mêmes raisons que sa consœur, quoique dans une moindre mesure, la prise de rôle du chanteur sud-africain dans Arturo relève quelque peu du défi. Si l’on en juge à l’attention portée par bon nombre de mes collègues, assis dans les rangées environnantes, on peut dire qu’on l’attendait au tournant. Connu surtout pour ses prouesses dans le répertoire rossinien et en partie donizettien, essentiellement bouffe, ce jeune interprète a peu fréquenté les caractères sérieux, à l’exception d’Idreno dans Semiramide. Il fait ce soir ses débuts non seulement dans le rôle mais aussi dans Bellini et, dans un sens plus large, dans l’opera seria du Romantisme italien. Il est donc louable qu’il envisage d’élargir le panel de ses personnages. Au vu de sa performance, nous avons peine à croire qu’il n’a pas étudié la partition auparavant. La voix est visiblement trop claire pour les héros conçus à l’intention de Giovanni Battista Rubini et il est certain que nous avons parfois l’impression d’entendre Otello ou Ricciardo e Zoraide ; c’est particulièrement vrai dans le finale I, où il fait état d’une diction hors pair, notamment dans le duo avec Enrichetta, dont la strette se singularise par l’ardeur de l’aigu. Ne boudons pas notre plaisir… Paradisiaque, sa sortita met en relief son contrôle parfait du souffle et s’illustre dans des passages de transition très savamment négociés. De même que des pianissimi prodigieux viennent agrémenter l’air de l’acte III, ne laissant paraître aucun effort dans l’exécution.
Des teintes joliment variées
Riccardo n’a plus aucun secret pour Gabriele Viviani qui incarne le personnage assez régulièrement depuis une bonne quinzaine d’années. Sa cavatine de présentation est une réussite à la fois dans l’élocution, le legato et la nuance ; et la cabalette suivante revient à une certaine suavité qu’avaient interrompue les accents guerriers du récitatif avec Bruno, source de très beaux contrastes. Il en impose, par la suite, dans le trio du finale I. Quelque peu engorgé dans le duo avec sa nièce, le Giorgio de Krzysztof Bączyk, lui aussi en prise de rôle, fait preuve d’un grand professionnalisme dans son air de l’acte II d’où ressortent davantage des graves bien placés. Les deux chanteurs mènent leur duo du finale II de façon très intense : le chant dialogué donne parfois l’illusion du théâtre et se clôt par une strette aux teintes joliment variées.
Prestation plus que correcte de Tamara Bounazou en Enrichetta dont la belle ligne se manifeste surtout dans le trio avec Arturo et Riccardo, seul moment où la version de concert s’anime, l’espace d’une seconde, dans un sens dramatique, lorsque le ténor amène avec lui la reine en fuite. Intéressantes interventions de Riccardo Romeo et Giacomo Nanni, respectivement en Bruno et Valton.
De son élégante silhouette, Giacomo Sagripanti dirige l’Orchestre de chambre de Paris, légèrement fâché avec la justesse dans l’introduction, cependant que les vents gagnent en assurance au fil de la soirée pour atteindre leur climax dans le début du duo de la basse et du baryton.
Très idiomatique, le Chœur Les Eléments brille dès les premières notes par la clarté de son articulation et par l’éclat approprié dans les moments martiaux.
Public enthousiaste au baisser de rideau.
Elvira Jessica Pratt
Lord Arturo Talbo Levy Sekgapane
Sir Riccardo Forth Gabriele Viviani
Sir Giorgio Krzysztof Bączyk
Enrichetta di Francia Tamara Bounazou
Sir Bruno Roberton Riccardo Romeo
Lord Gualtiero Valton Giacomo Nanni
Orchestre de chambre de Paris, Chœur Les Eléments, dir. Giacomo Sagripanti
I puritani
Opera seria en trois parties de Vincenzo Bellini, livret de Carlo Pepoli, créé au Théâtre Italien de Paris le 24 janvier 1835.
Paris, Théâtre des Champs-Élysées, concert du samedi 1er avril 2023