Hervé Niquet défend une nouvelle fois l’opéra-comique
Une distribution entièrement francophone, avec des interprètes ayant l’âge de leurs personnages
Lorsque Doris Lamprecht fait son entrée, coiffée d’un beau chapeau tyrolien à plumes, nous avons l’impression que c’est à une version semi-scénique que nous convie ce soir le cycle des Grandes Voix, au Théâtre des Champs-Élysées. Cependant, c’est plutôt à l’initiative de chaque interprète qu’est laissée la part de dramatisation du texte, comme dans le cas de cette Marquise de Berkenfield de bonne école, caricaturale à souhait dès les premiers couplets de l’introduction.
Une certaine homogénéité caractérise la distribution, entièrement francophone, chaque chanteur ayant plus ou moins l’âge du personnage qu’il incarne.
Un bijou de drôlerie
Marie très enjouée, Jodie Devos retrouve l’héroïne qu’elle avait investie en streaming, en juin 2021, en compagnie de Lawrence Brownlee, à l’Opéra royal de Wallonie de Liège, à une époque où nous étions friands d’occasions distrayantes. Sa vivandière se distingue par une belle aisance dans l’aigu, dès le duo avec Sulpice, ce que viennent corroborer la souplesse dans les vocalises de sa ronde de l’acte I, puis le phrasé de sa romance. Elle est impayable dans le chant du trio avec Sulpice et la Marquise : sa leçon sonnant volontairement très faux est un bijou de drôlerie. De même, la cavatine qui suit est une source d’émotion poignante, avant une cabalette explosive aux variations savantes, que la soprano aborde sans la liaison de tradition (« Salu-t-à la France »), préférant marquer la césure par des coups de glotte qui parviennent à un résultat tout aussi efficace, grâce à des moyens visiblement plus harmonieux.
« Quel bonheur, quelle ivresse ! »
Sahy Ratia © D.R.
Dans le duo d’amour avec Tonio, sa voix se marie à merveille avec le timbre frais de Sahy Ratia, en prise de rôle. Le volume du ténor malgache n’est certes pas tonitruant mais son élocution distincte et spontanée vient à bout de toutes les embûches de l’aria du recrutement. Nous avons connu des personnifications plus claironnantes mais son jeune Tyrolien est toujours bien chantant, notamment dans la romance de l’acte II.
Sulpice très idiomatique et fort naturel de Marc Labonnette. Retrouvailles acclamées avec Felicity Lott en Duchesse de Crakentorp, dans un genre que la soprano britannique a amplement encouragé dans le courant de sa carrière, notamment chez Offenbach, à la scène comme au concert, parfois dans ces mêmes lieux.
Hervé Niquet © Julien Mignot
Nous n’attendions pas forcément Hervé Niquet chez Donizetti, le chef étant le plus souvent reconnu pour ses incursions dans le répertoire que l’on dit baroque. C’est oublier que c’est aussi un grand défenseur du XIXe siècle français, notamment de l’opéra-comique qu’il soutient ici sans réserve. Il dirige d’une main de maître l’Orchestre de la Garde républicaine, ensemble on ne peut plus approprié pour ce titre. Relevons néanmoins quelques lourdeurs à peine perceptibles dans l’ouverture, chez les cuivres et les vents, et un finale I quelque peu bruyant, voire brouillon, mais n’est-ce pas le genre qui le veut ?
Chœurs très vivants, notamment lorsqu’ils donnent la réplique à Tonio se faisant soldat. Comme c’est souvent le cas chez Donizetti, c’est la voix publique qui s’anime, devenant à son tour personnage, ce que les formations de l’Armée française et de femmes de la Maîtrise Notre-Dame de Paris ne sauraient mieux appréhender.
Une soirée bien agréable donc qui se rejoue le 5. Avis aux amateurs : « quel bonheur, quelle ivresse ! », comme le dit le refrain…
Marie : Jodie Devos
Tonio : Sahy Ratia
Sulpice : Marc Labonnette
La Marquise de Berkenfield : Doris Lamprecht
Hortensius : Philippe Ermelier
La Duchesse de Crakentorp : Dame Felicity Lott
Un paysan : Matthieu Justine
Orchestre de la Garde républicaine, Chœur de l’Armée française, Chœur de femmes de la Maîtrise Notre-Dame de Paris, dir. Hervé Niquet
La Fille du Régiment
Opéra-comique en deux actes de Gaetano Donizetti, livret de JulesHenri Vernoy de SaintGeorges et de Jean-François Bayard, créé à l’Opéra-Comique de Paris le 11 février 1840.
Paris, Théâtre des Champs-Élysées, lundi 3 avril 2023