Opus verdien particulièrement aimé du public s’il en est, le Requiem du maître de Busseto vient de remporter un nouveau très grand succès à la Philharmonie de Paris. Œuvre qui fut (et est parfois encore) dénigrée pour son aspect théâtral et la teneur lyrique de certaines pages (dramatisme et lyrisme sont-ils donc incompatibles avec l’expression de la foi, la crainte du jugement dernier, la peur de la mort, l’imploration du pardon, l’espérance en une vie post-mortem ?), elle peut donner lieu à des interprétations plus ou moins recueillies, plus ou moins extraverties – Giulini et Solti ayant gravé au XXe siècle des versions constituant en quelque sorte des points de repère pour le mélomane, le premier mettant en lumière la dimension spirituelle de l’œuvre, le second exaltant sa puissance dramatique – deux moyens différents d’exprimer in fine une même ferveur religieuse.
C’était hier soir le chef néerlandais Jaap van Zweden (actuellement chef de l’Orchestre philharmonique de Hong Kong, et également directeur musical du New York Philharmonic Orchestra) qui officiait dans la Grande salle Pierre Boulez de la Philharmonie. Jouant la carte de la sobriété, il privilégie la (relative) retenue à l’ostentation, la cohésion d’ensemble et l’équilibre de la vision aux effets dramatiques appuyés, avec certains choix de tempos originaux mais toujours convaincants et intéressants.
Le quatuor vocal a fait preuve d’une belle implication et s’est montré globalement de qualité. La moins à son aise a sans doute été Elza van den Heever, dont le chant nous a déjà semblé, en d’autres circonstances, plus assuré. Ce soir, même si l’on retrouve ici ou là les belles qualités de timbre que l’on connaît à la chanteuse, la projection vocale a parfois manqué de puissance, et la ligne vocale a été entachée de petits problèmes, dont le pianissimo qui conclut la reprise du « Requiem » dans le « Libera me » a été le plus saillant. Aude Extrémo s’est montrée, quant à elle, parfaitement à l’aise dans la partie d’alto (n’était un petit accroc bien excusable survenu à la fin du « Lux aeterna »), avec un « Liber scriptus » dont elle possède à la fois l’autorité et le mystère. Elle met les couleurs si personnelles de son timbre au service d’une interprétation stylistiquement convaincante. À l’opposé d’un Jonas Kaufmann aujourd’hui ou d’un Placido Domingo il n’y a guère, René Barbera aborde sa partie avec un timbre clair, très allégé, et une ligne de chant quasi donizettienne. Le résultat est pleinement convaincant : superbe « Ingemisco », émouvant « Hostias », raffiné, stylé, avec un passage en voix de poitrine d’une belle facilité et élégantissime. Quant à Jean Teitgen, il confirme ici, après ses beaux Jacopo Lorendano à Aix et Fiesco à Montpellier, ses affinités avec le répertoire verdien : respect du style, noblesse du phrasé, timbre naturellement émouvant, tout y est ! Espérons qu’on offrira bientôt au chanteur la possibilité d’explorer plus avant ce répertoire où il se montre particulièrement convaincant.
Terminons par ceux qui, selon nous, sont peut-être les tout premiers artisans de la réussite du concert : l’Orchestre de Paris et le Chœur de l’Orchestre de Paris, qui ont délivré ce soir une performance en tout point mémorable. L’orchestre a été remarquable d’homogénéité, de musicalité, de rigueur stylistique, déployant un très riche panel de couleurs et répondant aux directives du chef avec une précision jamais prise en défaut. Quant au chœur, préparé par son chef Marc Korovitch, il s’est montré tout simplement exceptionnel, délivrant une interprétation d’une rare émotion, offrant une variété de nuances impressionnante, toujours au service de l’expressivité (bouleversant « Requiem » initial, à peine murmuré ; flamboyant « Dies Irae »…), et d’une précision redoutable dans les fugues du « Sanctus » ou du « Libera me ». Du très grand art !
VERDI, Requiem
Œuvre créée à Milan le Philharmonie de Paris, concert du mercredi 26 avril 2023.