En 2020, en pleine période de confinement, Gabriel Bianco et Marina Viotti avaient créé la surprise en proposant un étonnant récital voix/guitare (toujours visible sur Youtube), qui avait enthousiasmé Sabine Teulon-Lardic à la fois pour l’originalité du programme et la qualité de l’interprétation. Trois ans plus tard, les mêmes interprètes reviennent à la rencontre du public, par le biais d’un disque (Porque existe otro querer) mais aussi d’un concert donné hier à la Sainte Chapelle, dans le cadre du Paris Opera Festival. Le charme opère de nouveau, la présence physique des artistes et la relation chaleureuse, intime qu’ils parviennent à établir avec le public, apportant encore un surcroît d’émotion par rapport au concert virtuel de 2020…
Le programme qui se veut un hommage à l’Amour sous toutes ses formes, fait voyager le spectateur de la France (Fauré) à l’Espagne et l’Amérique latine (de Falla, Torroba, Almarán, Carrillo), avec comme point de bascule la « Nuit d’Espagne » de Massenet. En superbe voix, Marina Viotti confère aux pages de la seconde partie du concert une hispanité plus vraie que nature, et convainc aussi bien dans le registre pathétique (la tristesse amoureuse « Asuriana ») que dans la douceur de la berceuse « Nana » ou l’évocation de la douleur amoureuse de la dernière chanson de de Falla (« Polo »), où, pour donner corps au désespoir tragique qui saisit la narratrice, la voix prend soudainement de superbes couleurs telluriques, âpres et rugueuses. Ce volet « hispanisant » contraste de façon très bienvenue avec la première partie du concert : la voix de Marina Viotti se glisse dans les mélodies de Fauré comme dans un gant, avec un naturel et une simplicité déconcertants. La chanteuse fait preuve dans ce répertoire d’un goût parfait : les nuances, discrètes et toujours subtilement expressives, colorent une ligne de chant par ailleurs toujours impeccable ; la diction, précise sans jamais être précieuse, accentue tel mot, telle syllabe, avec la même efficacité discrète et raffinée, qui donne l’impression que la chanteuse ne chante que pour vous et pour vous seul. De toute évidence, Marina Viotti a beaucoup à dire dans le répertoire de la mélodie : puisse-t-elle avoir d’autres occasions de pousser plus avant l’exploration de ce domaine !
Gabriel Bianco s’est quant à lui révélé un partenaire idéal de charme, de musicalité, de complicité. Toujours attentif à la chanteuse et soucieux d’établir un vrai dialogue musical avec elle, il a également brillé dans quelques pièces où il est intervenu seul : la Gnossienne n°1 de Satie a notamment été un pur moment d’émotion, les sonorités claires et limpides de la guitare apportant à cette célèbre pièce une tendresse, une fragilité, une émotion incomparables. Le silence du public alors que le guitariste conclut son interprétation dans un pianissimo recueilli, comme s’il éteignait lentement, progressivement la lumière d’une salle avant de la quitter, est un signe tangible de l’émotion suscitée par son interprétation.
Au public conquis, les artistes proposent deux bis : une Chanson des vieux amants (Brel) bouleversante d’émotion contenue et de simplicité, et une Danza de Rossini d’une classe et d’une espièglerie étourdissantes : dépourvue de toute grimace vocale ou physique, de graves outrageusement poitrinés ou d’aigus passés en force, de rallentando intempestif, de surarticulation ou d’agressivité dans l’émission censées tenir lieu d’expressivité, la mélodie se déploie avec fraîcheur, grâce, naturel, et retrouve enfin l’irrésisitible entrain qui est le sien. Exemplaire.
Vous souhaitez prolonger le plaisir de ce concert ? Ou vous consoler de n’avoir pu y assister ? Le CD Publié par Aparté est pour vous ! Vous y trouverez, à quelques nuances près, le même programme, enrichi de quelques pages supplémentaires…
Marina Viotti, mezzo-soprano
Gabriel Bianco, guitare
Porque existe otro querer
Œuvres de Fauré, de Falla, Rossini, Brel, Massenet, Carrillo, Torroba, Almarán, Satie, Halimi.
Paris, Sainte-Chapelle, Concert du samedi 29 avril 2023