Calixto Bieito met en scène Lady Macbeth de Mtsensk à Genève
Lady Macbeth de Mtsensk au Grand Théâtre de Genève
Le sulfureux Calixto Bieito met en scène la non moins sulfureuse Lady Macbeth de Mtsensk à Genève, interprétée par la remarquable Aušrinė Stundytė.
Aviel Cahn invite au Grand Théâtre de Genève (dont il quittera la direction en 2026 pour rejoindre la Deutsche Oper de Berlin) la production de Lady Macbeth de Mtsensk conçue par Calixto Bieito qu’il avait déjà proposée à l’Opera Vlaanderen en 2014. Ceux qui attendaient scandale, images choc et provocation en auront été pour leurs frais : s’il est très facile de choquer le public en faisant lever le rideau du Bal masqué avec une rangée de conjurés en train de déféquer face aux spectateurs, Lady Macbeth, œuvre subversive s’il en est, comporte en elle sa part de sexe, de sang, de violence, la gageure du metteur en scène consistant à proposer un équivalent visuel à la hauteur de ce que disent déjà le livret et la partition. Bieito y parvient, ni plus ni moins que d’autres confrères. La vision de Krzysztof Warlikowski à l’Opéra de Paris en 2019, malgré ses carcasses de porcs suspendues vues, revues, re-revues – et bientôt re-re-revues dans un prochain Don Giovanni… – nous avait même paru plus dérangeante et plus forte dramatiquement, peut-être en raison des impressionnants décors de Małgorzata Szczęśniak : la scénographie imaginée ici par Rebecca Ringst semble plus pauvre en comparaison (un appartement à la blancheur glacée au-dessus duquel se trouve une chambre à coucher, à laquelle on accède par des échafaudages métalliques) mais aussi plus lassante, ce décor ne disparaissant qu’au dernier acte (celui des prisonniers en route pour le bagne) pour faire place à cette seule structure métallique devant laquelle se trouve une épaisse couche de boue dans laquelle pataugent les personnages.
De fait, la première partie du spectacle paraît presque un peu trop sage, Bieito se contentant d’illustrer fidèlement la musique ; et lorsque sa lecture se fait plus originale, elle n’échappe pas à certains excès qui finissent par discréditer ou affaiblir le propos : Boris est un fieffé salaud, soit. Mais lui faire systématiquement gifler Katerina, l’étrangler, la jeter à terre, lui mettre la tête sous le robinet de l’évier dès qu’il lui adresse la parole conduisent paradoxalement à banaliser cette violence et à lui retirer de son impact. Le fiel dont les propos de Boris sont empreints, et surtout la musique qui lui échoit suffisent en grande partie à faire de ce beau-père le monstre qu’il est, surtout quand on dispose, comme interprète, de Dmitry Ulyanov, comédien accompli et dont la voix possède toute la noirceur requise pour le rôle. La seconde partie du spectacle nous a paru plus réussie à tout point de vue : la mise en scène se fait plus forte, plus originale : la rivalité entre Katerina et Sonyetka y est suggérée de façon poignante, et le meurtre de Sonyetka et le suicide de Katerina y atteignent une intensité tragique rare.
Les interprètes s’y montrent également plus à leur aise : un peu sur la réserve avant l’entracte (trac de la première ?), ils s’abandonnent et s’impliquent sans réserve dans la seconde partie. Comme tout Sergueï qui se respecte, Ladislav Elgr tombe le caleçon et montre ses fesses, incarnant au mieux la brute épaisse, uniquement guidée par ses pulsions sexuelles, imaginée par Chostakovitch et Preis. Tout au plus aurait-on aimé un peu plus d’arrogance dans la projection vocale (notamment dans le registre aigu) pour parachever le portrait de ce personnage qui doit tout à la fois fasciner et susciter l’antipathie ! Aux côtés de l’excellent Dmitry Ulyanov déjà cité, gravite une belle équipe de seconds rôles, d’où se distinguent notamment la belle Sonyetka de Kai Rüütel, l’efficace Zinovi de John Daszak, l’excellent Balourd miteux de Michael Laurenz. Quant à Aušrinè Stundytè elle triomphe comme à Paris dans le rôle-titre qui semble ne plus avoir de secrets pour elle. S’identifiant totalement au personnage, elle en offre un portrait bouleversant, grâce à jeu d’actrice absolument remarquable, un visage étonnamment expressif, un chant habité porté par une voix aux couleurs personnelles, avec un grave et un médium légèrement voilés particulièrement émouvants. Sans doute une des plus belles performances d’actrice-chanteuse que l’on puisse applaudir aujourd’hui.
Enfin, les chœurs et l’orchestre remportent un triomphe mérité, les premiers pour leur formidable implication, perceptible dès les adieux ironiquement grandioses adressés à Zinovi au moment de son départ, le second pour l’extrême richesse de ses coloris et son habileté à rendre au mieux, sous la baguette inspirée d’Alejo Pérez (très applaudi) l’ambiance si particulière de l’œuvre, transpirant la sensualité, l’ennui étouffant, la frustration, la violence… Au total, grand succès pour toute l’équipe ! Un spectacle à voir jusqu’au 9 mai.
Katerina Lvovna Ismaïlova : Aušrinė Stundytė
Boris Timoféiévitch Ismaïlov : Dmitry Ulyanov
Zinovi Borissovitch Ismaïlov : John Daszak
Sergueï : Ladislav Elgr
Aksinia : Julieth Lozano
Sonyetka : Kai Rüütel
Le Balourd miteux : Michael Laurenz
Le Pope / Un Vieux Forçat : Alexander Roslavets
L’Inspecteur de la police : Alexey Shishlyaev
3e Commis / L’Ivrogne / Le Maître d’école : Louis Zaitoun
Orchestre de la Suisse Romande, dir. Alejo Pérez
Chœur du Grand Théâtre de Genève, dir. Alan Woodbridge
Mise en scène : Calixto Bieito
Scénographie : Rebecca Ringst
Costumes : Ingo Krügler
Lumières : Michael Bauer
Dramaturgie : Bettina Auer
Lady Macbeth de Mtsensk
Opéra en 4 actes de Dmitri Chostakovitch, livret d’Alexandre Preis et de Dmitri Chostakovitch, créé en 1934 à Leningrad.
Grand Théâtre de Genève, représentation du dimanche 30 avril 2023.