Grétry fait son retour à l'Opéra Comique avec une nouvelle production de Zémire et Azor très appréciée du public
Louis Langrée, Michel Fau et une jolie distribution conduisent ce spectacle au succès : la redécouverte de Grétry se poursuit sous les meilleurs auspices !
Zémire et Azor : d'Apulée à Marmontel via Madame Leprince de Beaumont
Andromaque au TCE en 2009, L’Amant jaloux à l’Opéra Comique en 2010, Richard Cœur de Lion à l’Opéra de Versailles en 2019, La Caravane du Caire à Tours en 2022 : lentement mais sûrement, l’œuvre de Grétry sort de l’oubli et retrouve son public, qui réapprend petit à petit à apprécier une esthétique qui ne lui était plus guère familière… Zémire et Azor marque une nouvelle étape dans cette redécouverte, et le succès de cette soirée de première Salle Favart confirme l’intérêt du public pour l’œuvre du compositeur liégeois.
Le livret, signé Marmontel, est l’un des nombreux avatars littéraires suscités par le délicieux conte « Amour et Psyché » inséré par Apulée dans son Âne d’or – le plus célèbre d’entre eux étant « La Belle et la Bête » de Madame Leprince de Beaumont, ouvrage paru en 1756 dans Le Magasin des enfants. Mais Marmontel s’inspire également de la comédie de Pierre-Claude Nivelle de la Chaussée (lui-même assez endetté auprès d’Apulée !), Amour pour Amour (1742), à laquelle il emprunte le nom des deux héros éponymes ainsi que le personnage de la Fée. De fait, Marmontel suit d’extrêmement près le conte de Madame Leprince de Beaumont, son travail de réécriture consistant essentiellement à transformer un texte narratif en texte dramatique versifié et à transposer l’intrigue dans un Orient de convention (la traduction des Mille et une Nuits par Antoine Galland avait paru de 1704 à 1717 et avait fait l’objet de plusieurs rééditions). La principale innovation de Marmontel consiste en l’ajout de l’épisode de l’anneau donné par la Bête Azor à la Belle Zémire, qui permet à la jeune fille de recouvrer sa liberté dès qu’elle le désire. Sur le livret de Marmontel, Grétry a composé une partition d’une grande élégance mais aussi d’une belle variété, faisant alterner diverses tonalités : humour (avec les personnages d’Ali et des deux sœurs) ; galanterie (le célèbre « Du moment qu’on aime » d’Azor) ; dramatisme (le beau quatuor du dernier acte, dans lequel Sander refuse que sa fille se sacrifie pour lui) ; ou pathétique (l’air de Sander « La pauvre enfant ne savait pas / Qu’elle demandait mon trépas » ou celui d’Azor au dernier acte : « Toi, Zémire, que j’adore / Tu m’as donc manqué de foi »).
À la tête d’un orchestre Les Ambassadeurs – La Grande Écurie raffiné et prodigue en couleurs, au sein duquel chaque pupitre brille par sa musicalité et sa précision (y compris les cors, dont les interventions, lors du dernier air de Zémire, sont assez exposées et potentiellement « risquées »), le chef maison Louis Langrée a montré de belles affinités avec ce répertoire qui ne révèle toute sa teneur poétique que lorsqu’on trouve le difficile équilibre entre le « ni trop », stylistiquement hors propos, et le « ni trop peu » qui ferait basculer l’œuvre dans la fadeur.
Le spectacle de Michel Fau : la juste mesure
Si l’œuvre connut en son temps un triomphe exceptionnel, c’est bien sûr grâce à la musique de Grétry, mais aussi en raison du sujet qui permettait de beaux effets scéniques et procurait un « spectacle charmant » plaisant « à l’imagination ainsi qu’aux yeux » (Le Mercure de France, 1er janvier 1772). La mise en scène de Michel Fau, fort heureusement, tout en restant globalement sobre (beaux décors épurés d’Hubert Barrère et Citronelle Dufay), ne renonce ni au plaisir des yeux (magnifiques costumes signés également Hubert Barrère – la robe de Zémire est une création de la maison Lesage, dont Hubert Barrère est le directeur artistique -, chorégraphie pleine de poésie et de fantaisie d’Alexandre Lacoste et Antoine Lafon – lesquels obtiennent également un très joli succès en tant que danseurs ! –, direction d’acteurs vive et inventive), ni à l’aspect « féérique » du sujet : lors de sa première apparition, la fée descend du ciel ; certains objets (la table dressée pour le dîner, le clavecin) se déplacent seuls, comme par magie ; et le « tableau » du troisième acte, faisant apparaître à Zémire son père Sander et ses deux sœurs, possède tout le caractère mystérieux et irréel attendu. L’ensemble est tout à la fois inventif, poétique et fidèle à l’esprit de l’œuvre.
Une distribution idoine
Les chanteurs, tous convaincants, feront entendre un chant plus affirmé après l’entracte, comme s’il leur avait fallu un certain temps pour « se chauffer » (ou peut-être vaincre le trac d’une première ?) – à l’exception de Marc Mauillon, très en voix dès ses premières apparitions et dont la diction s’avère remarquable, rendant absolument inutile la lecture des surtitres. Bravo également pour ses réels talents de comédien, l’interprète se montrant tout aussi à l’aise dans son chant que dans la déclamation des vers de Marmontel ! Margot Genet et Séraphine Cotrez sont parfaites en chipies hypocrites, avatars tardifs des vilaines sœurs de Cendrillon. Sahy Ratia (qui fait des entrées en scène spectaculaires !), voix légère naturellement ancrée dans l’aigu, a les moyens exacts du valet Ali, et possède aussi un joli talent comique parfaitement adapté au rôle.
Après un début un peu sur la réserve, où la voix semble peiner à se projeter pleinement, Philippe Talbot libère sa voix et campe un Azor touchant, vocalement et scéniquement. Ce répertoire, où le chant du ténor, qui n’a pas à forcer ses moyens, se déploie avec naturel, lui convient particulièrement bien. Espérons que le costume qui le métamorphose en une espèce d’insecte géant à la fois effrayant et pitoyable soit pour lui moins pesant que ne l’était le maquillage de Jean Marais dans le film de Cocteau !
Il faut de même laisser passer quelques scènes avant que Julie Roset – qui vient d’exceller dans une fort belle version de La Création au Festival de Saint-Denis – ne donne la pleine mesure de son talent : elle fait alors entendre un timbre frais et fruité, sans aucun soupçon d’acidité dans l’aigu (défaut qui guette parfois les sopranos légers…), et surtout une musicalité délicieuse qui fait de son air du III (« La fauvette avec ses petits »), justement applaudi, un pur ravissement. Enfin, Michel Fau intervient lui-même en interprétant une fée à la fois drôle, inquiétante, ridicule, à mille lieues des images traditionnelles des fées, qu’elles soient bonnes ou maléfiques.
La soirée se solde par un très beau succès, qui devrait encourager les directeurs de salles et les artistes à poursuivre plus avant l’exploration de ce répertoire encore largement méconnu.
Zémire : Julie Roset
Azor : Philippe Talbot
Sander : Marc Mauillon
Ali : Sahy Ratia
Lisbé : Margot Genet
Fatmé : Séraphine Cotrez
Une fée : Michel Fau
Un Génie (danseur) : Alexandre Lacoste
Un Génie (danseur) : Antoine Lafon
Orchestre Les Ambassadeurs – La Grande Ecurie, dir. Louis Langrée
Assistant musical : Théotime Langlois de Swarte
Chef de chant : Benoît Hartoin
Mise en scène : Michel Fau
Assistant à la mise en scène : Mohamed El Mazzouji
Décors : Hubert Barrère et Citronelle Dufay
Costumes : Hubert Barrère
Assistante costumes : Angelina Uliashova
Lumières : Joël Fabing
Participation à l’écriture chorégraphique : Alexandre Lacoste et Antoine Lafon
Zémire et Azor
Opéra-ballet en quatre actes d’André Grétry, livret de Jean-François Marmontel et chorégraphie de Gaëtan Vestris, d’après La Belle et la Bête de Jeanne-Marie Leprince de Beaumont, créé à Fontainebleau le 9 novembre 1771.
Production Opéra-Comique
Coproduction Atelier Lyrique de Tourcoing (janvier 2024), Les Ambassadeurs – La Grande Ecurie
Paris, Opéra Comique, représentation du vendredi 23 juin 2023.