Radio Classique au Théâtre des Champs-Élysées : troisième édition de la Folle Soirée de l’Opéra
En maître de maison, Jean-Michel Dhuez nous convie à la fête – Entre opéra français et répertoire italien
Un soucieux travail de broderie
Comme tous les ans depuis un certain nombre de saisons (Offenbach en fête, Viva Verdi, Sacré Rossini, Passionnément Mozart), Radio Classique confirme son rendez-vous avec à la fois le public du Théâtre des Champs-Elysées et celui de ses auditeurs pour cette troisième Folle Soirée de l’Opéra. Très équilibré, le programme se répartit, comme déjà l’an dernier, entre les répertoires français et italien, dont, en troisième volet, des extraits des opéras dapontiens de Mozart. Toujours en maître de maison, Jean-Michel Dhuez nous annonce des voix d’exception, un quatuor de rêve, et surtout il nous convie à la fête. Et il en est ainsi dès les premières notes de La Bacchanale de Samson et Dalila, suivie du bal chez les Capulets de Roméo et Juliette. Dans la première, Victorien Vanoosten dirige un Orchestre national d’Île-de-France des beaux jours, au crescendo parfaitement maîtrisé : une mention spéciale pour l’harmonie des vents et pour la discrétion exemplaire des cuivres. Ce qui se renouvelle dans l’Intermezzo enchanteur de Pagliacci et, vers la fin, dans l’Ouverture de Don Giovanni, plébiscitée par le vote du public de Radio Classique, où le chef s’attelle à un soucieux travail de broderie des vents.
Marraine tutélaire
L’affiche vocale se partage entre deux chanteurs confirmés et deux jeunes espoirs français. L’an dernier, nous avions remarqué la présence dans le public de Karine Deshayes, marraine tutélaire, disions-nous, venue encourager les artistes. Probablement déjà pressentie pour ce concert, sa participation officieuse d’alors se confirme dans le soutien indéfectible d’aujourd’hui. Si la distribution des numéros est très pondérée – deux airs chacun, trois duos, un trio et un tutti –, ce soir elle est bien la seule à chanter en commun avec tous ses acolytes. Très discrètement, elle démarre par le duo de La Belle Hélène, avec le Pâris de Julien Henric, à la complicité quelque peu distanciée, avant d’aborder l’air de Balkis, tiré de l’acte III de La Reine de Saba, d’une grande intensité, où la tragédienne dispute la place à la cantatrice. Si l’interprète puise dans son répertoire tous les extraits proposés, il est important de souligner comment certains choix sortent des sentiers battus. C’est le cas aussi de l’air de la folie d’Elvira des Puritani, personnage peu fréquenté jusqu’à présent, sinon en concert. Dans la cavatine, la voix sonne légèrement plus grave que ce que nous avons l’habitude d’entendre, mais elle donne ainsi de nouvelles couleurs à l’héroïne bellinienne. D’ailleurs, savons-nous exactement quelle était la véritable vocalité à la fois de Giulia Grisi et de Maria Malibran ? La cabalette s’épanouit alors dans une agilité toute rossinienne dont cette excellente virtuose avait déjà fait preuve dans le précédent duo de Semiramide avec l’Assur, sombre à souhait, quoiqu’un peu court dans le souffle, de Nicolas Cavallier, sauf erreur débutant dans le rôle. Magistrale dans le trio de Così fan tutte, elle suscite l’émulation chez ses complices dans le finale des Nozze di Figaro, tout particulièrement chez Anaïs Constans.
Pari tenu
Bien chantée, la Juliette de cette dernière sonne quelque peu routinière mais il est vrai que la soprano française n’a jamais approché le rôle à la scène jusqu’à présent et son brio dans les vocalises est très assuré. Sa Mimì de La Bohème, au phrasé très articulé, est à la fois très idiomatique et bien contrôlée dans la tenue du souffle. Murmuré au départ, le duo du dernier acte de La traviata, avec l’Alfredo de Julien Henric, est aussi l’occasion de déployer un volume certain.
Manquant vraisemblablement encore de la maturité nécessaire, l’Hoffmann du ténor lyonnais sait conjuguer beau timbre et diction soignée, la puissance ne gênant en rien la variation des teintes. Seul rôle de la soirée qu’il ait déjà inscrit à son répertoire scénique, Don Ottavio est abordé d’une manière très noble que ne sauraient démentir les pitreries des entrées en scène, par ailleurs fort sympathiques.
Si les premières notes du Dapertutto de Nicolas Cavallier peuvent probablement paraître un peu rugueuses, le baryton-basse confère une très belle ligne à son air. Du Conte di Almaviva, il connaît toutes les facettes et l’aria de l’acte III des Nozze di Figaro lui va comme un gant, l’élocution du comédien relayant l’aisance du chanteur.
Comme en 2022, tous les chanteurs se retrouvent pour le bis du brindisi de La traviata, rythmé par les applaudissements du public, à la suite des encouragements du chef. Un public d’exception, nous dit-on, mais sans les officiels de l’an dernier, sans doute à cause des événements qui perturbent le pays depuis quelques jours, expression d’un malaise visiblement bien plus ancien…
Encore une fois, Radio Classique tient le pari de rapprocher le genre opératique du grand public qui pourrait en être encore intimidé. Rendez-vous est donné aux amateurs le 9 juillet à 21h pour la radiodiffusion et sans doute à l’an prochain pour une quatrième édition.
Anaïs Constans, soprano
Karine Deshayes, mezzo-soprano
Julien Henric, ténor
Nicolas Cavallier, baryton-basse
Orchestre national d’Île-de-France, dir. Victorien Vanoosten
La Folle Soirée de l’Opéra
Camille Saint Saëns – Samson et Dalila, Bacchanale
Charles Gounod – Roméo et Juliette, « Ah je veux vivre » (Juliette) Anaïs Constans
Jacques Offenbach – Les Contes d’Hoffmann, « Scintille diamant » (Dapertutto) Nicolas Cavallier
« La légende de Kleinzach » (Hoffmann) Julien Henric
La Belle Hélène, « Ce n’est qu’un rêve » (Hélène, Pâris) Karine Deshayes / Julien Henric
Charles Gounod – La Reine de Saba, « Me voilà seule enfin » (Balkis) Karine Deshayes
Ruggero Leoncavallo – Pagliacci, Intermezzo
Giacomo Puccini – La Bohème, « Si, mi chiamano Mimì » (Mimì) Anaïs Constans
Giuseppe Verdi – La traviata, « Parigi, o cara » (Violetta, Alfredo) Anaïs Constans / Julien Henric
Gioachino Rossini – Semiramide, « Quella ricordati » (Assur, Semiramide) Nicolas Cavallier / Karine Deshayes
Vincenzo Bellini – I puritani, « Qui la voce sua soave » (Elvira) Karine Deshayes
Wolfgang Amadeus Mozart – Don Giovanni, Ouverture
Le nozze di Figaro, « Hai gia vintà la causa » (il conte di Almaviva) Nicolas Cavallier
Don Giovanni, « Il mio tesoro » (Don Ottavio) Julien Henric
Così fan tutte, « Soave sia il vento » (Fiordiligi, Dorabella, Don Alfonso) Anaïs Constans / Karine Deshayes / Nicolas Cavallier
Le nozze di Figaro, « Contessa, perdono » (il conte di Almaviva, la contessa di Almaviva, tutti) Nicolas Cavallier / Karine Deshayes / Anaïs Constans / Julien Henric
Paris, Théâtre des Champs-Élysées, vendredi 30 juin 2023