RIGOLETTO à l’Opéra de Toulon : à la pointe de la voix, sous le signe de la danse…
Sous la direction de Valerio Galli, l’Opéra de Toulon a présenté le premier opéra de la saison hors les murs, au Zénith. Avec l’incroyable Maria Carla Pino Cury, alias Gilda, à la voix cristalline et aux pieds de fée et avec la présence féérique de la danseuse étoile de l’Opéra de Paris Agnès Letestu, le Rigoletto de Verdi est joué sous le signe de la danse.
C’est une soirée couronnée de succès qui a eu lieu au Zénith de Toulon ce mardi 10 octobre, et les chœurs et l’orchestre de l’Opéra de Toulon ont largement contribué à la réussite d’ensemble par leurs interventions précises et leur totale implication, sous la direction pleine de fougue du chef Valerio Galli, particulièrement attentif à mettre en place l’implacable progression du drame. Dans un casting très homogène où chaque voix s’impose et se déploie sans écraser l’autre, chaque tessiture exprime sa personnalité vocale et s’harmonise avec les autres. Nikoloz Lagvilava endosse le rôle de Rigoletto avec un tragique déchirant qui arrache des larmes. Sa voix de baryton-basse dramatique évoque tout à la fois la paternité et l’inéluctable. Quant à Maria Carla Pino Cury, elle impressionne et émeut le public en Gilda, par un chant habité et une belle maîtrise technique, qu’elle garde intacte même lorsqu’elle chante… en faisant des pointes !
Cet opéra, qui interroge les relations filiales et la condition des femmes met à l’honneur la grâce de ces dernières avec la danse, tour à tour sensuelle, contrite et angélique de l’étoile Agnès Letestu qui s’exprime par des gestes tendres et légers ou violents et tourmentés. Le jeu des plis de sa robe blanche, les volants qui tournoient autour de son corps en mouvement, les jeux de lumière qui marquent d’une lueur ses muscles saillants éblouissent le public. La mère de Gilda, défunte, ne peut plus s’exprimer par la voix, elle s’exprime alors par des mouvements amples et investis qui émanent avec conviction de tout son être, du regard jusqu’à l’élégance des postures des mains. Cet ange accompagne les chanteurs, redouble leur voix en silence et s’envole dans un douloureux tourbillon lorsque le meurtre de sa fille s’accomplit.
Les effets de lumière, pensés par Laurent Castaingt et réalisés par Alexis Koch, sont particulièrement réussis, on perçoit les ombres légères, le contraste blanc/noir où le blanc figure la couleur de l’au-delà et le noir celle du tragique de la vie.
Peter Martincic, alias Sparafucile, chante avec une voix de basse douce. Rompu à son art de tuer, il est moins désespéré que Rigoletto. Les deux couleurs de voix évoquent admirablement deux personnages distincts et s’harmonisent avec beauté. L’homme qui rit et l’homme qui tue sont l’avers et le revers d’une même silhouette : « lui s’appelle Crime, moi Châtiment »…
A force de répéter qu’il est maudit, Rigoletto porte la malédiction sur lui. La damnation s’entend dans le grain de sa voix jusque dans ses sanglots : « Les larmes sont l’héritage de l’homme » dit-il. Ce constat est confirmé par l’audition de pleurs sincères à faire tressaillir les spectateurs. Dans cette immense salle de spectacle qu’est le Zénith de Toulon, les chanteurs ont dû être sonorisés. Si de prime abord le fait surprend, les réglages, extrêmement précis font vite oublier cet appareillage technique et concourent même à une prouesse : nous faire entendre l’intimité de la peine du Père, de l’inconsolable Rigoletto. Lorsqu’il se décide à faire commettre l’irréparable, ce n’est que pour préserver la dignité de sa fille et se venger des hommes cruels qui l’ont enlevée ; en effet, « l’homme n’a peur de rien lorsqu’il défend l’honneur de ses enfants ».
Le duc de Mantoue est interprété par Matteo Roma, un ténor attachant par sa voix et fantasque dans son jeu. Son chant est d’abord plein de gaieté lorsqu’il clame que « l’amour n’existe pas sans la liberté » et se tinte d’espièglerie quand il en fait l’argument de son inconstance. Ostensiblement désinvolte tant dans « La Donna è mobile » que séducteur dans « Bella figlia dell’amore », il chante avec impétuosité. Sa voix est claire et retentissante, sans fard et avec la puissance requise par sa condition sociale : il n’est pas, en effet, le pauvre étudiant qu’il prétend être devant la pauvre Gilda.
Cette dernière est secondée par sa chère Giovanna, Julie Pasturaud, dont le chant à la fois précis et vibrant est admirable. La mezzo-soprano revient une nouvelle fois à Toulon où elle a déjà chanté dans Lucia di Lammermoor et L’Italienne à Alger.
La mise en scène est signée Richard Brunel, réalisée par Alex Crestey avec des décors d’Etienne Pluss. Volontairement anachronique, elle présente les coulisses d’une salle de spectacle où costumes et déguisements sont rangés sur des cintres. Le nombre de figurants sur la scène et l’ambiance générée par le décor peut donner une impression de confusion, mais elle mime sans doute la confusion des sentiments et la tendance du burlesque à embrasser le tragique. D’autre part, elle n’est pas sans évoquer une mise en abyme du spectacle dans le spectacle, à cela près qu’elle insiste sur le voyeurisme des spectateurs en leur montrant, sur scène, l’image des coulisses, comme espace et lieu d’intrigues.
Magdalena est interprétée par Lucie Roche. Arborant un look rock, avec cuir et résille, elle chante d’une voix large et ample et dévoile toute la puissance de sa tessiture de contralto. Elle a une grande personnalité vocale et évolue sur scène avec détermination.
Le comte de Monterone auquel est associée la malédiction de Rigoletto est chanté par le baryton-basse Jean-Krystof Bouton qui endosse son rôle avec aisance et éclat.
Cet opéra fait la part belle aux tessitures graves, puisque Marullo, interprété par Olivier Cesarini est baryton et le Comte Ceprano (Mathieu Gourlet), basse. Outre l’exécution fine de leur partie vocale, il est notable de remarquer la qualité de leur jeu d’acteur.
Les costumes, admirablement choisis pour la danseuse étoile et la Gilda défunte sont en accord avec la mise en scène : joggings, habits modernes, vêtements de sport, costumes à paillettes et tutus. Dans ce décor étonnant et vêtus de cette manière, plusieurs danseurs prennent place sur des barres selon une chorégraphie proposée par Maxime Thomas : Adèle Borde, Eliot Chevalme, Vassily Evlachev, Romane Groc, Joséphine Meunier, ainsi que Nicolas Rombaut.
Ce mélange constant entre danse et chant rappelle les opéras de l’époque moderne où le ballet avait systématiquement sa place au sein de la représentation. Ici, danse et chant alternent entre successivité et synchronicité : les mouvements de l’âme et ceux du cœur sont représentés de manière synesthésique et le résultat est réussi. Ce qui n’est pas sans rappeler le recours aux danseurs dans les opéras mis en scène par Anne Teresa de Keersmaeker…
Rigoletto : Nikoloz Lagvilava
Le Duc de Mantoue : Matteo Roma
Gilda : Maria Carla Pino Cury
La mère de Gilda : Agnès Letestu (danseuse Etoile de l’Opéra de Paris)
Sparafucile/Usciere : Peter Martinčič
Magdalena : Lucie Roche
Le Comte Monterone : Jean-Kristof Bouton
Marullo : Olivier Cesarini
Matteo Borsa : Kiup Lee
Le Comte Ceprano : Mathieu Gourlet
Giovanna : Julie Pasturaud
La Comtesse Ceprano : Juliette Raffin-Gay
Le page : Héloïse Poulet
Orchestre et Chœur de l’Opéra de Toulon, (chef de chœur Christophe Bernollin, cheffe de chant Nino Pavlenichvili), direction musicale Valerio Galli, assistant à la direction musicale Pietro Mazzetti
Mise en scène : Richard Brunel, réalisée par Alex Crestey
Décors : Etienne Pluss, assisté de Clémence de Vergnette
Costumes : Thibault Vancraenenbroeck, assisté de Nathalie Pallandre
Chorégraphie : Maxime Thomas, assisté de Joséphine Meunier
Lumières : Laurent Castaingt, réalisées par Alexis Koch
Dramaturgie : Catherine Ailoud-Nicolas
Rigoletto
Opéra en trois actes de Giuseppe Verdi (1813-1901), livret de Francesco Maria Piave (1810-1876) d’après Le Roi s’amuse de Victor Hugo (1802-1885), créé à La Fenice à Venise en le 11 mars 1851.
Opéra de Toulon (représentation au Zénith de Toulon), le 10 octobre 2023.