West Side Story, Théâtre du Châtelet, vendredi 20 octobre 2023
Tournée internationale de la production originale, mise en scène et chorégraphiée par Jerome Robbins
Un drame intemporel
Ouvertement inspiré de Roméo et Juliette de Shakespeare, de l’aveu même de ses auteurs, West Side Story, drame intemporel sous couvert de facéties, aborde néanmoins des thématiques qui sont absentes de la tragédie élisabéthaine et qui restent toujours d’une brûlante actualité : le racisme et la xénophobie. Si les clivages de l’époque de sa création, en 1957, ne sont plus les mêmes, les tensions sociales aux États-Unis, en Europe et sûrement ailleurs n’ont guère évolué : un certain instinct primaire faisant qu’il y a souvent un bouc émissaire chez les derniers arrivants.
Après une première série de représentations entre l’Allemagne, la Suisse et l’Autriche, la tournée internationale de West Side Story débarque en France pour un grand nombre de dates : à l’affiche du Théâtre du Châtelet jusqu’au 31 décembre, par la suite elle sillonnera le pays jusqu’au printemps 2024, touchant notamment les grandes métropoles régionales, dont Bordeaux, Lyon, Rouen et Nantes. Elle repropose – pour la première en dehors des États-Unis – la production originale, mise en scène et chorégraphiée par Jerome Robbins, moyennant quelques interventions indispensables, opérées respectivement par Lonny Price, pour la direction d’acteurs, et par Julio Monge, pour la danse.
Les beaux décors tournants, imaginés par Anna Louizos , font alterner la rue et la chambre de Maria, dans une zone de New York laissée à l’abandon, nous explique-t-elle dans le programme de salle, la rue symbolisant à la fois espoirs et désillusions. Et si les costumes dessinés par Alejo Vietti sont censés opposer les deux camps des immigrés de date plus ancienne, les Jets (d’origine irlandaise et polonaise), et plus récente, les Sharks (venant de Porto Rico), ils distinguent les deux groupes ethniques surtout par petites nuances, dans des tons plus tenus pour les premiers (le bleu clair des chemises des garçons, notamment), plus voyants pour les seconds (rouge et jaune moutarde). Les lumières chaudes, conçues par Fabrice Kebour, apportent une touche non négligeable à la cohésion de l’ensemble.
Une entente réglée au cordeau
Ce qui caractérise avant tout la représentation est d’ailleurs une entente réglée au cordeau entre tous les intervenants, tous des vétérans du genre, digne des meilleures comédies musicales américaines, tant sur le plan vocal que scénique. Dès le prologue, l’équipe de danse se révèle très électrisante, atteignant son apogée dans une « Dance at the Gym » (le Mambo) enflammée, tout comme dans la chorégraphie illustrant « Somewhere », entendue sur des bases pré-enregistrées : c’est ainsi que tous les rivaux troquent leurs tenues bariolées par des vêtements blancs, devant visiblement servir la gravité du moment, dans une sorte de retour vers l’innocence perdue après la mort de Riff et de Bernardo : la scène de bagarre et de mort est alors reprise en replay dans une sorte de sacrifice expiatoire . De même, dans « Gee, Officer Krupke » désopilants de drôlerie dans leurs déhanchements d’écoliers attardés, les Jets campent un morceau d’anthologie.
Par moments légèrement fâché avec la justesse, surtout dans le haut du registre, notamment dans « Something’s coming » mais également dans « Maria » – le trac de première ? –, Jadon Webster insuffle à Tony tout l’enthousiasme de la jeunesse et des premières amours. Il donne ainsi corps à un « Tonight » très passionné avec Melanie Sierra qui fait preuve d’un brio hilarant unique dans « I feel pretty ». Réunis, ils sont tous les deux délicieux dans la scène du mariage (« One hand, one heart ») où ils empruntent des habits à l’atelier de couture. Une mention particulière pour Kyra Sorce, Anita saisissante, aussi bonne chanteuse que danseuse dans « America », en réponse aux tergiversations nostalgiques de Rosalia, puis dans « A boy like that », en duo avec Maria.
Une fête pour les Fêtes
Lui-même compositeur de comédies musicales, anciennement chef associé du New York Philharmonic, Grant Sturiale dirige tout ce beau monde dans la meilleure tradition de Broadway. Dommage seulement que le recours à l’amplification ait parfois un effet de play-back sur l’émission des chanteurs.
Conquis, le public ovationne les interprètes ainsi que la production. Un très bon moment assurément, à passer en famille ou en amoureux. Le spectacle idéal pour les prochaines fêtes de fin d’année. Et puisqu’il est coutume à la Saint Sylvestre de formuler un vœu : étant donné que Lenny avait tenu à diriger personnellement la version lyrique de l’œuvre, il ne nous reste plus à espérer que les maisons d’opéra s’y intéressent à leur tour.
Tony : Jadon Webster
Maria : Melanie Sierra
Anita : Kyra Sorce
Bernardo : Antony Sanchez
Riff : Taylor Harley
West Side Story Orchestra, dir. Grant Sturiale
Mise en scène : Lonny Price
Production originale mise en scène et chorégraphiée par Jerome Robbins
Chorégraphie : Julio Monge
Décors : Anna Louizos
Costumes : Alejo Vietti
Lumières : Fabrice Kebour
Design sonore : Tom Marshall
West Side Story
Comédie musicale en deux actes de Leonard Bernstein, livret de Arthur Laurents, paroles de Stephen Sondheim, créé au Winter Garden Theatre de Broadway (New York) le 26 septembre 1957.
Théâtre du Châtelet, vendredi 20 octobre 2023
1 commentaire
Camillo Faverzani gives us another very interesting review.
With the usual simple refinement the professor treats a masterpiecewhich in recent years has finally entered the schools study programs.
His passionate and expert eye analyzes the different components of the mise en scène and brought us back to a wonderful synthesis.
Yet another intense and precious contribution to bringing youngsters closer to theatre, as a social and cultural commitment all around the world.