Attila n’est pas le plus connu des opéras de Verdi, l’homme aux trente opéras ! Mais il est l’un des plus patriotiques. Neuvième opéra dans l’ordre chronologique, il succède à Nabucco et Ernani et annonce déjà Rigoletto ou La Forza del Destino. L’opéra de Marseille ne l’a programmé que trois fois. Le livret, signé de Solera et achevé par Piave, nous présente un Attila très différent du monstre sanguinaire de l’image d’Épinal. On y voit un homme politique humain et amoureux. L’action se passe près des ruines de la ville d’Aquilée qui vient d’être conquise par Attila, roi des Huns en 452, massacrant tous les habitants et forçant les soldats romains à travailler pour lui. Mais un groupe de femmes a été épargné parmi lesquelles Odabella, fille du seigneur d’Aquilée qui a vu mourir son père de la main d’Attila. Elle est fiancée à Foresto, chevalier d’Aquilée, et a juré de venger la mort de son père en tuant de sa main le tyran. Déjouant les complots d’Ezio et Foresto au risque de passer pour une traîtresse, elle épouse Attila pour mieux se rapprocher de lui et le tuer avec sa propre épée dans un ultime soulèvement des Romains contre l’envahisseur.
Lors de la création à Venise en 1846, les Vénitiens se sont largement reconnus dans ces Romains occupés, leur situation faisant écho à l’occupation autrichienne de l’Italie. L’opéra devient alors un hymne à la liberté et à la résistance. L’opéra de Marseille a fait le choix de donner cette œuvre en version de concert, ce qui est quelque peu dommage, l’action n’étant pas facile à suivre malgré le surtitrage français.
Le rôle-titre est tenu par la basse Ildebrando d’Arcangelo qui campe un Attila fougueux. La voix est large, chaude, puissante et timbrée. Nous avions déjà entendu Ildebrando d’Arcangelo cet été aux Chorégies d’Orange dans le rôle d’Escamillo dans Carmen. Il confirme notre impression d’un chanteur international de très grande classe. Son interprétation toute en nuances, à la fois magnanime, cruel, sentimental, autoritaire et victime rend Attila presque sympathique dans sa complexité.
Le rôle d’Ezio, général romain, est tenu par Juan Jesús Rodríguez. Sa belle voix de baryton à la large étendue vocale offre toutes les nuances du personnage, tiraillé entre son patriotisme et sa fidélité à la ville d’Aquilée et le souci de s’attirer les bonnes grâces de l’envahisseur pour mieux le tromper. La voix est égale sur tout l’ambitus, des graves profonds aux aigus puissants.
Foresto, le chevalier amoureux d’Odabella, est interprété par le ténor lyrique Antonio Poli. Les airs de bravoure sont magnifiquement chantés avec une présence vocale exceptionnelle et des aigus pianissimi d’une grande subtilité qui donnent le frisson. La voix est chaude et veloutée avec des aigus brillants et puissants, un vrai ténor héroïque capable d’interpréter les plus grands rôles du répertoire. Invité pour la première fois à Marseille, nous espérons revoir très vite ce jeune chanteur à la carrière internationale déjà bien remplie.
Seule femme de la distribution, Csilla Boross est une Odabella pleine de fureur vengeresse. Sa magnifique voix de soprano dramatique sert à merveille les airs virtuoses de l’opéra. Le premier air, en particulier, nécessite une agilité vocale exceptionnelle et ce sur tout l’ambitus de la voix, de l’extrême grave à l’extrême aigu ainsi qu’une puissance sonore dès les premières notes. Le public ne s’y trompe pas et lui fait une ovation. Quelle entrée en matière ! Son personnage est presque plus important qu’Attila et l’opéra aurait pu porter son nom. Elle mène les intrigues de bout en bout, poursuivant son but sans faillir, quitte à se voir accuser de traîtrise par son propre camp, jusqu’à la toute fin de la dernière scène où elle transperce de son épée celui qui est devenu son époux. Les derniers mots incrédules d’Attila frappé à mort et entouré d’ennemis sont : « Toi aussi, Odabella ? ». L’opéra s’achève sur le triomphe d’Odabella, enfin acclamée par les siens. C’est l’un des rares opéras où l’héroïne ne meurt pas.
Les deux derniers rôles, Uldino et le Pape Léon 1er, sont tenus respectivement par Arnaud Rostin-Magnin, ténor léger au très joli timbre et à la belle musicalité, et Louis Morvan, baryton-basse dont la superbe voix nous a impressionnée malgré la brièveté de son rôle, mais celui-ci n’est pas sans rappeler quelques lignes du Commandeur du Don Giovanni de Mozart, incarnant la sévérité et l’inéluctabilité du destin avec des passages a cappella. Les deux jeunes Français se produisent pour la première fois à l’opéra de Marseille. Souhaitons-leur une très belle carrière.
Les chœurs et l’orchestre de l’opéra étaient placés sous la direction avisée de Paolo Arrivabeni, chef italien de renommée qui a dirigé Nabucco la saison passée et reviendra en fin de saison dans Un Ballo in maschera. Si leur prestation fut de belle qualité dans l’ensemble, on peut seulement regretter les attaques légèrement décalées des bois au début du prologue. Tout est rapidement rentré dans l’ordre et la suite de la représentation fut à la hauteur des solistes. La salle était pleine et le public enthousiaste a ovationné les artistes un long moment.
Odabella : Csilla Boross
Attila : Ildebrando D’Arcangelo
Ezio : Juan Jesús Rodríguez
Foresto : Antonio Poli
Le Pape Léon 1er : Louis Morvan
Uldino : Arnaud Rostin-Magnin
Orchestre et chœurs de l’Opéra de Marseille, dir. Paolo Arrivabeni
Attila
Opéra en un prologue et trois actes de Giuseppe Verdi, livret de Temistocle Solera d’après la tragédie Attila, König der Hunnen de Zacharias Werner, créé au Teatro la Fenice de Venise le 17 mars 1846.
Opéra de Marseille, représentation du dimanche 29 octobre 2023 (version de concert).