À la une
Se préparer au TRITTICO – Opéra de Paris, 29 avril...
Ni veuve, ni franchement joyeuse : Strasbourg redécouvre la GIUDITTA de...
Brèves de mai –
Vézelay, « phare choral de l’Europe »
La dernière saison d’Alain Perroux à l’Opéra national du Rhin
Elle aurait 100 ans aujourd’hui : PATRICE MUNSEL
Une pléiade de stars pour le Concert des Ambassadeurs Rolex...
Samson et Dalila à Saint-Étienne, la bande-son de Gaza
Nouvelle distribution d’exception pour le Rigoletto de l’Opéra Bastille
Lyon, Peter Grimes : Chronique de l’homophobie ordinaire
  • Accueil
  • À Voir
  • Avant-concerts
  • Vu pour vous
  • Artistes
  • Œuvres
  • Médiathèque
  • Humeurs
Première Loge

Pour ne rien manquer de l'actualité lyrique, restons en contact !

ProductionCompte renduVu pour vous

TURANDOT de feu et de glace à l’Opéra Bastille

par Nicolas Mathieu 9 novembre 2023
par Nicolas Mathieu 9 novembre 2023

© Agathe Poupeney / Opéra national de Paris

© Agathe Poupeney / Opéra national de Paris

© Agathe Poupeney / Opéra national de Paris

0 commentaires 6FacebookTwitterPinterestEmail
3,7K

Deux ans après sa création parisienne sous la direction de Gustavo Dudamel, la production de Bob Wilson à l’épure minimaliste caractéristique retrouve les planches de Bastille, portée par une première distribution de très bonne facture.

Il a fallu attendre 2018 pour que Bob Wilson donne à voir sa version de Turandot de Puccini, dernier opus inachevé du compositeur dont l’orientalisme et le sens du contraste exacerbé semblaient pourtant suggérer une harmonie de fait avec l’univers esthétique du metteur en scène. Et c’est effectivement très souvent réussi, tant l’œuvre comme la vision de Wilson puisent dans les extrêmes qui dialoguent ensemble dans une forme de contrepoint permanent : un espace immense (taillé pour Bastille) et dégagé (Acte I)  ou saturé par une vaste structure en toile d’araignée (Acte III), telle une forêt où se cache le Prince ; les solitudes de Calaf, Liù et de Timur au début de l’Acte I, ou une myriade de corps, chœurs comme figurants (la recherche du nom, Acte III) ; les mouvements contrôlés et ritualistiques de la majorité des personnages les mettant en scène dans une cérémonie permanente (par-delà celle des trois énigmes) par opposition aux 3 ministres (Ping, Pang, Pong) aux mouvements systématiques mais incontrôlés, à l’instar d’atomes hiératiques au milieu d’un système ordonné ; contrepoint des couleurs également, entre ces teintes bleutées à l’évocation de la lune blafarde, au contraire de la robe rouge écarlate de Turandot, préfigurant l’aurore brûlante du 3e Acte… Sur ces principes, Bob Wilson bâtit une mise en scène qui, outre la cohérence « thématique » avec l’œuvre (esthétique d’inspiration asiatique), rentre en écho avec sa substance même. Et le courage de Calaf, la dévotion sans borne de Liù comme la haine suivie d’amour de Turandot, s’incarnent de manière transfigurée dans de larges fresques où l’artifice des poses révèle toute la dimension magique, irréelle, de l’intrigue…

Cette production peut compter sur une distribution très convaincante ce soir, à commencer par une surprenante Tamara Wilson dans le rôle-titre. La soprano, qui fait ici ses débuts à l’Opéra de Paris en remplacement de Sondra Radvanovsky initialement prévue sur le rôle, assoie d’emblée l’assise régalienne du personnage avec la rage d’Elektra (qu’elle campe, par ailleurs) et la puissance wagnérienne (habituée de Brunnhilde). L’aigu, sûr et perçant, passe aisément au-dessus des puissantes vagues orchestrales, et installe un personnage imperturbable dans ses convictions jusqu’à la défaite finale face à l’amant. Elle se fait alors plus Isolde, conservant un son fort déployé jusque dans les piani de sa sensibilité.

Le ténor américain Brian Jagde incarne un Calaf attendu, dont l’héroïsme amoureux se traduit par une voix justement intrépide au timbre d’airain. L’assurance imperturbable du personnage se déploie dans un son à l’attaque vigoureuse et « frontale », coûte que coûte, au risque de se figer dans une posture vocale rigide (à l’instar ce que lui impose la mise en scène) et de manquer de sensibilité (duo du premier Acte avec Liù indiquant son désir de répondre aux énigmes, entre autres), rattrapé dans le très attendu « Nessun dorma », déployé sans épuisement et avec une heureuse conduite des nuances pour réserver au climax tout l’éclat qu’il mérite.

À côté de ces deux incarnations imposantes, la Liù d’Ermonela Jaho fait figure de parangon de la pureté et de la fragilité, dont la soprano extrait toute l’essence. On frissonnera à plusieurs reprises face aux pianissimi dans l’aigu dans la chanteuse a le secret, sur un orchestre dépouillé de sa substance. La voix manie avec brio l’inquiétude agitée du personnage et la quiétude d’une dévotion sacrificielle sans borne, jusqu’à la dernière scène où les aigus éclosent dans une épiphanie vocale, sereine et tragique tout à la fois.

Les ministres Ping, Pang et Pong, campés respectivement par Florent Mbia, Maciej Kwaśnikowski et Nicholas Jones, forment un irrésistible trio de pantins désarticulés aux mouvements mi-obsessionnels, mi-hiératiques, dans une chorégraphie rondement menée, au jeu de tac-o-tac verbal à la rythmique bien rodée, le tout porté par un même « ton » légèrement sarcastique. Le premier déploie un médium lyrique et barytonnant à la verve narrative, le second et le troisième des aigus plus claironnants.

Suspendu entre ciel et terre, l’Empereur Altoum est campé par un Carlo Bosi à l’élocution d’une stature impériale, aux syllabes bien détachées et sententielles (rappel du sacrement à Turandot). La voix se fait plus monocorde et effacée, à l’instar (sans doute) d’une autorité imperturbable et atemporelle. Il trouve dans le Timur de Mika Kares un contrepoint de tessiture et d’engagement, le vieillard faisant vrombir de ses basses une contre-autorité, celle de la raison contre l’impétuosité de Calaf. L’assise charpentée de la voix se brise quelque peu suite à la mort de Liù en se gorgeant d’une émotion prophétisant la vengeance de l’âme de la morte.

On n’oubliera pas le Mandarin de Guilhem Worms aux interventions marquantes pleines de cérémoniel au début de l’ouvrage (« Popolo di Pekino ! ») et dans l’énonciation des règles du concours. 

Il faut saluer la vitalité du Chœur de l’Opéra de Paris, réuni pour l’occasion par la Maîtrise des Hauts-de-Seine/Chœur d’enfants de l’Opéra. Les chanteurs, préparés par Ching-Lien Wu, portent avec vigueur et justesse les parties qui leur incombent, depuis le mystérieux chant avant l’apparition de la lune  jusqu’au chant de gloire pour l’Empereur puis de joie pour Turandot (« O sole ! Vita ! Eternità ! »). Ils sont stimulés par un Orchestre de l’Opéra de Paris très en forme sous la direction de Marco Armilliato. Le chef italien puise de la fosse les extrêmes du romantisme dans sa passion (et ses excès), des cordes diaphanes sur le chant de la mirifique Liù à la fierté des cuivres. Cette fougue musicale a le mérite de souligner les audaces harmoniques de l’œuvre, mais vient parfois titiller sérieusement la dimension contemplative de la mise en scène, les deux univers évoluant parfois plus en parallèle qu’en symbiose…

La représentation est accueillie avec enthousiasme par le public qui honore les solistes de nombreux bravi, ainsi que Bob Wilson lui-même, venu rejoindre l’équipe artistique avant que le rideau rouge à face de soleil ne clôture le spectacle, augurant des jours heureux pour cette production.

Les artistes

Turandot : Tamara Wilson
Calaf : Brian Jagde
Liù : Ermonela Jaho
Altoum : Carlo Bosi
Timur : Mika Kares
Ping : Florent Mbia
Pang : Maciej Kwaśnikowski
Pong : Nicholas Jones
Un mandarin : Guilhem Worms
Le prince de Perse : Hyun-Jong Roh
Deux suivantes : Pranvera Lehnert Ciko, Izabella Wnorowska-Pluchart

Chœur (dir. Ching-Lien Wu) et orchestre de l’Opéra de Paris, dir. Marco Armiliato

Mise en scène : Robert Wilson
Co-mise en scène : Nicola Panzer
Décors : Stéphanie Engeln
Lumières : John Torres
Costumes : Jacques Reynaud
Maquillage : Manu Halligan
Vidéo : Tomek Jeziorski
Dramaturgie : José Enrique Macián

Le programme

Turandot

Dramma lirico en trois actes de Giacomo Puccini, livret de Giuseppe Adami et Renato Simoni, créé au Teatro alla Scala de Milan le 25 avril 1926.
Opéra National de Paris Bastille, représentation du lundi 6 novembre 2023.

image_printImprimer
Bob WilsonGuilhem WormsErmonela JahoMarco ArmiliatoBrian JagdeTamara WilsonMika Kares
0 commentaires 6 FacebookTwitterPinterestEmail
Nicolas Mathieu

Après des études de philosophie à l'ENS de Lyon et de politiques culturelles à l'Université de Paris, Nicolas se tourne vers la gestion culturelle à HEC Paris. Formé aux conservatoires de Lille et de Lyon en piano et en écriture, il consacre ses projets personnels au dialogue entre la musique et les autres arts comme organisateur de ciné-concerts (S'émanciné), de lectures performées (Compagnie 44) et autres formats pluridisciplinaires.

Laisser un commentaire Annuler la réponse

Sauvegarder mes informations pour la prochaine fois.

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.

post précédent
DER RING DES NIBELUNGEN, 3/4
SIEGFRIED, Wagner (1876) – dossier
prochain post
LAKMÉ à l’Opéra national du Rhin : le triomphe de l’épure

Vous allez aussi aimer...

Ni veuve, ni franchement joyeuse : Strasbourg redécouvre la...

15 mai 2025

Une pléiade de stars pour le Concert des...

12 mai 2025

Samson et Dalila à Saint-Étienne, la bande-son de Gaza

12 mai 2025

Nouvelle distribution d’exception pour le Rigoletto de l’Opéra Bastille

11 mai 2025

Lyon, Peter Grimes : Chronique de l’homophobie ordinaire

11 mai 2025

Faust version 1859 à Lille : plus intense,...

7 mai 2025

Milan : IL NOME DELLA ROSA – Le Moyen...

5 mai 2025

Florence, 87e Festival del Maggio Musicale Fiorentino :...

5 mai 2025

Firenze, 87° Festival del Maggio Musicale Fiorentino: un...

5 mai 2025

Le Freischütz en version de concert au TCE :...

5 mai 2025

En bref

  • Brèves de mai –

    15 mai 2025
  • Les brèves de mars –

    14 mars 2025
  • Les brèves de février

    25 février 2025
  • Sauvons l’Avant-Scène Opéra !

    18 février 2025
  • L’Avant-Scène Opéra, c’est fini…

    7 février 2025

Humeurs

  • Les années 2020 : sombre époque pour les arts, la culture, l’humanisme…

    5 mars 2025

Édito

  • Les années 2020 : sombre époque pour les arts, la culture, l’humanisme…

    5 mars 2025

La vidéo du mois

PODCASTS

PREMIÈRE LOGE, l’art lyrique dans un fauteuil · Adriana Gonzàlez & Iñaki Encina Oyón – Mélodies Dussaut & Covatti

Suivez-nous…

Suivez-nous…

Commentaires récents

  • Norbert RIVIERE dans GIOVANNI PACINI : un musicien dont l’œuvre reste encore à redécouvrir…
  • Hervé Casini dans Asmik Grigorian, Carlo Rizzi, Christof Loy : triple triomphe pour le TRITTICO de l’Opéra Bastille
  • Hervé Casini dans Berliner Philharmoniker: memorabile Madama Butterfly di Kirill Petrenko, Eleonora Buratto e Jonathan Tetelman
  • Stéphane Lelièvre dans Asmik Grigorian, Carlo Rizzi, Christof Loy : triple triomphe pour le TRITTICO de l’Opéra Bastille
  • Bernet Yannick dans Asmik Grigorian, Carlo Rizzi, Christof Loy : triple triomphe pour le TRITTICO de l’Opéra Bastille

Première loge

Facebook Twitter Linkedin Youtube Email Soundcloud

Keep me signed in until I sign out

Forgot your password?

Login/Register

Keep me signed in until I sign out

Forgot your password?

Rechercher

Archives

  • Facebook
  • Twitter
  • Youtube
  • Email
Première Loge
  • Accueil
  • À Voir
  • Avant-concerts
  • Vu pour vous
  • Artistes
  • Œuvres
  • Médiathèque
  • Humeurs

A découvrirx

Ni veuve, ni franchement joyeuse : Strasbourg...

15 mai 2025

Une pléiade de stars pour le...

12 mai 2025

Samson et Dalila à Saint-Étienne, la bande-son...

12 mai 2025