Première mise en scène d’opéra pour le réalisateur Cédric Klapisch. Axée sur la philosophie de Jean-Jacques Rousseau, sa lecture de l’œuvre de Mozart devait nous faire entrevoir l’Homme en quête d’harmonie avec la nature face à une société moderne qui l’aurait corrompu. Sur le papier, l’idée de départ ne semblait pas mauvaise. Sur scène, le résultat déçoit.
Si sa lecture de La Flûte enchantée de Mozart ne gommait pas autant que possible les aspects maçonniques de l’œuvre, nous aurions volontiers conseillé à Cédric Klapisch de retourner au silence de l’apprenti en attendant de savoir ce qu’il a vraiment à nous dire sur une scène d’opéra. Pourtant, on l’aime bien Cédric Klapisch. Depuis bientôt 30 ans et Le Péril jeune, il ne cesse de nous embarquer dans ses aventures humaines avec délicatesse et émotion. Mais ce soir, au Théâtre des Champs-Élysées, il faut bien avouer qu’il nous a laissés sur le bord du chemin initiatique.
Cédric Klapisch s’intéresse à la crise climatique et au rapport de l’Homme à la Nature dans une vision toute rousseauiste du sujet. La Reine de la Nuit et son côté sauvage, et donc nature, sera opposée à un Sarastro urbain et scientiste. Elle sera aussi plus amicale que souvent, le Bien et le Mal ne se trouvant pas forcément où on le pense. Des aspects du livret de La Flûte parfois sexistes, racistes et misogynes, décision est prise d’en rire pour mieux les dénoncer. Le récit d’initiation maçonnique se transforme, lui, en un conte enfantin, parcours fantasque pour parvenir à l’âge adulte. Du fond, nous ne discuterons pas, nous ne sommes pas de ceux qui cherchent à faire taire les envies et les visions personnelles des metteurs en scène. Sur la forme, on se permettra de s’interroger.
Si les idées proposées par Cédric Klapisch ne manquent pas d’attraits, leur mise en œuvre déçoit. Quand le premier acte réussit à retenir visuellement notre attention, le deuxième avec ce plateau quasiment vide restera un mystère, ce qui, d’habitude, dans La Flûte enchantée, est presque un gage de réussite. Pourtant ici, cela ressemblerait surtout à un spectacle en manque de budget. A vouloir être minimaliste, on frôle l’inexpressif. Et ce ne sont pas les quelques sculptures en tissu, filets et autres éléments en maillage qui sauveront l’affaire. Jetons enfin un voile pudique sur ces rideaux achevant d’oblitérer le peu de poésie de la scénographie. Seuls les costumes de Stéphane Rolland et Pierre Martinez apportent un peu de joie dans cette morne plaine expressive. La direction d’acteurs se résume le plus souvent à une chorégraphie sans charme laissant les chanteurs s’agiter avec plus ou moins de réussite.
Point positif, la traduction des textes parlés apporte quelques sourires. Papageno « kiffe » Papagena alors on est content. Mais l’émotion reste aux abonnés absents. Au final, reste l’impression d’avoir assisté à une représentation d’opéra dans le style « exercice de vulgarisation du genre » mais avec un manque flagrant de moyens.
Première mise en scène pour Cédric Klapisch et première Flûte enchantée pour François-Xavier Roth et en fosse c’est une réussite. Les Siècles chantent, virevoltent et ponctuent avec corps, rondeur et finesse. Les effets de rubato surprennent l’oreille avec plaisir et les points d’orgue et points d’arrêts sont l’occasion de cadences fort bien amenées. Appogiatures et ornements sont aussi au rendez-vous et réveillent et révèlent ces lignes mélodiques plus que connues, toujours en rapport avec le texte et le sens des mots.
Sur scène, la distribution est magnifique même si la Reine de la nuit d’Aleksandra Olczyk est manifestement dans un jour sans. Texte pâteux, vocalises incertaines et contre-fa (pourtant dans un diapason plus bas qu’à l’habitude) fantomatique. On lui souhaite des jours meilleurs. Cyrille Dubois est un magnifique Tamino plus clair qu’à l’habitude mais à la puissance jamais prise en défaut. Peut-être avons-nous perçu çà et là une légère tendance à forcer ses beaux moyens. Le personnage ne s’encombre pas de psychologie et c’est très bien comme ça. La Pamina de Regula Mühlemann a pour elle un timbre et une rondeur magnifique sur l’ensemble de la tessiture. Son « Ach, ich fühl’s » est un modèle de tenue et de longueur de souffle. Un brin de frémissement n’aurait pas été pour nous déplaire, mais la mise en scène n’aidant pas à l’émotion… Très beau Sarastro également de Jean Teitgen, aux graves caverneux à souhait. Le personnage manque un peu d’épaisseur mais, encore une fois, la scénographie n’incite pas à la majesté. Quel plaisir de retrouver en Monostatos Marc Mauillon que nous avions découvert en Papageno au CNSM il y a plus de 20 ans dans une production maison. La caractérisation est comme à son habitude impeccable et le texte en français prend avec lui un vrai relief. Florent Karrer est un Papageno jovial et bien chantant, plus souvent comique que touchant. Sa Papagena trouve en Catherine Trottmann une interprète idéale. Ugo Rabec et Blaise Rantoanina sont des prêtres de belles allures et les trois dames de Judith van Wanroij, Isabelle Druet et Marion Lebègue ne manquent pas de piquants et de présence dans leurs robes-lampions. La tenue de leurs ensembles est impeccable. Bravo Mesdames ! Beau narrateur de Joseph Wagner, solistes de la Maîtrise des Hauts-de-Seine joliment accordés, Chœur Unikanti homogène, souple de corps et de voix.
Musicalement, l’oreille est à la fête. Pour le reste, l’apprenti Klapisch doit encore tailler sa pierre.
Tamino : Cyrille Dubois
Papageno : Florent Karrer
Sarastro : Jean Teitgen
Monostatos : Marc Mauillon
Erster Priester : Ugo Rabec
Zweitter Priester : Blaise Rantoanina
Pamina : Regula Mühlemann
Königin der Nacht : Aleksandra Olczyk
Erste Dame : Judith van Wanroij
Zweite Dame : Isabelle Druet
Dritte Dame : Marion Lebègue
Papagena : Catherine Trottmann
Le narrateur : Joseph Wagner
Drei Knaben : solistes de la Maîtrise des Hauts-de-Seine
Chœur Unikanti – Maîtrise des Hauts-de- Seine, dir. Gaël Darchen
Les Siècles, dir. François-Xavier Roth
Mise en scène : Cédric Klapisch
Scénographie : Clémence Bezat
Création d’images digitales : Niccolo Casas
Costumes : Stéphane Rolland et Pierre Martinez
Illustrations animaux et monstres : Stéphane Blanquet
Lumières : Alexis Kavyrchine
Die Zauberflöte
Singspiel en deux actes de Wolfgang Amadeus Mozart, livret d’Emanuel Schikaneder, créé à Vienne en 1791.
Théâtre des Champs-Élysées, représentation du mardi 14 novembre 2023.