Monsieur Choufleuri est resté à l’Opéra de Rennes le 6 décembre 2023 !
Matinée tous publics mercredi après-midi à l’Opéra de Rennes : il y avait des spectateurs de 7 ans (et peut-être en deçà !) à 77 ans (et peut-être au-delà !), tous unis dans cette irrésistible bonne humeur distillée par la musique d’Offenbach. Gildas Pungier a en effet eu l’excellente idée de proposer le désopilant Monsieur Choufleuri de Maître Jacques, une œuvre elle aussi on ne peut plus « tous publics » : les mélomanes y trouvent leur compte, avec notamment des citations de « grands opéras » à la française (la convocation, par la jeune Ernestine, de son amoureux Babylas reprend le motif de l’invocation des nonnes par Bertram dans Robert-le-Diable), d’opéras-comiques (La Dame blanche avec le célèbre « J’arrive en galant paladin ») ou d’opéras « belcantistes » : la délicieuse mélodie chantée par la soprano et le ténor dans le trio italien « Il mio caro Arturo » est digne des plus belles cantilènes belliniennes ; le « A vostra pauvre enfant, donate le consentement ! » est une quasi citation de l’Air du saule de la Desdémone rossinienne ; et la montée vers le contre-ut, dans le même « ensemble italien », rappelle irrésistiblement… la montée vers le bûcher de Pollione et Norma ! Preuve s’il en était besoin de la parfaite connaissance de ce répertoire par Offenbach et de son amour pour les œuvres belcantistes (dont il proposa d’ailleurs mainte adaptation et variation pour musique instrumentale).
Mais si l’œuvre parle aux mélomanes avertis, le néophyte y trouve aussi très largement son compte, avec cette variation sur le motif bien connu du vieux barbon voulant marier sa fille à un monsieur « comme il faut », sans tenir compte le moins du monde des sentiments de cette dernière pour le jeune homme qu’elle a choisi. Le thème est certes quelque peu galvaudé, mais il se trouve enrichi d’une péripétie inattendue : Monsieur Choufleuri, que rien n’intéresse moins que la musique, a décidé pourtant d’organiser une soirée musicale dans son salon afin de pouvoir briller aux yeux de ses voisins et amis. Y sont conviés Henriette Sontag, Giovanni Battista Rubini et Antonio Tamburini (les Netrebko, Alagna et Tézier de l’époque !), lesquels, d’un commun accord, se trouvent subitement tous les trois indisposés le soir du concert. Qu’à cela ne tienne : Sontag et Rubini seront remplacés par Ernestine et Babylas, et Choufleuri lui-même tiendra la partie de baryton, se contentant de « marquer » (« ié-souis-le-pa-dré-cru-del ! ») tandis que la soprano et le ténor prennent en charge la ligne mélodique d’un inénarrable « trio italien » au sabir hilarant (« Ma il vostro padre voudra-t-il donaré la mano del sua figlia à l’inimico della patria ? ») – trio ayant assuré le succès de cette œuvrette en un acte.
Gildas Pungier a saisi l’occasion de ces représentations rennaises pour mettre en valeur l’excellent chœur Mélisme(s), dont il est le directeur artistique – et qui est actuellement en résidence à l’Opéra de Rennes. La partition a été adaptée pour piano (et ponctuellement d’autres instruments, dont bien sûr une guitare pour le « Pedro possède une guitare » de Babylas !), mais aussi pour permettre de plus fréquentes interventions du chœur ; et certains rôles (Petermann, M. et Mme Balandard) sont par ailleurs confiés aux choristes (bravo notamment à Marlon Soufflet, qui campe un John/Petermann à l’accent belge plus vrai que nature !). Mais ce n’est pas tout : les trois rôles principaux (Ernestine, Babylas et Choufleuri) sont également tenus par d’anciens membres de Mélisme(s) – leurs premières interventions dans le chœur datent de 2008 pour Kaëlig Boché, 2010 pour Jean-Christophe Lanièce et 2018 pour Aurélie Castagnol.
Si le rôle-titre est dramatiquement payant, il offre moins d’occasions de briller vocalement que ceux d’Ernestine ou Babylas ; en effet Monsieur Choufleuri ne dispose pas d’airs ou de scènes qui lui soient spécifiquement dévolus.
© D.R.
Jean-Christophe Lanièce parvient néanmoins à tirer son épingle du jeu en campant une hilarante caricature de père obtus et ridicule dans le fameux trio, dont il ponctue la reprise de savoureux « Bellini, patati », « Halévy, patata, « Wagnerini !, etc. ».
Aurélie Castagnol est quant à elle une vraie belle surprise : sans doute la diction pourrait-elle encore gagner en netteté, et certains aigus sont peut-être un peu tendus ; mais il s’agit d’une belle voix, ample, richement colorée, efficacement projetée, dont on suivra l’évolution avec grand intérêt ! Une voix trop importante pour ce rôle léger ?
© D.R.
Pas sûr du tout : pour que la parodie du trio italien « prenne », il faut selon nous une voix capable de rendre justice à cette écriture mimant au plus près (même à des fins comiques) l’esthétique belcantiste.
© D.R.
La remarque vaut également pour l’excellent Kaëlig Boché, particulièrement en voix ce mercredi 6 décembre, qui parvient à concilier humour, légèreté, et probité vocale et stylistique : on connaissait les qualités de ce timbre à la fois clair et tendre, semblant fait pour la mélodie, l’opéra-comique et certains Mozart.
Le soin qu’il apporte aux répliques de Rubini/Babylas (qualité du legato, panel de nuances, usage habile de la voix mixte ou de tête) nous laisse également espérer, dans quelque temps, de belles incursions dans certains rôles italiens de tenore leggero ou di grazia !
Comme la soirée de M. Choufleuri elle-même, la représentation rennaise du 6 décembre remporte un succès complet. Le public, sous la houlette du chef, apporte au finale une contribution enthousiaste et de haute qualité musicale, agrémentant le chant des solistes d’une série de « Bing, bing, bing, bing ! » on ne peut plus précis et mélodieux !
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Le Chœur de chambre Mélisme(s) –
© Nicolas Joubard
À noter, un double anniversaire : les chœurs de chambre Mélisme(s) et Dulci Jubilo fêtent respectivement leur 20 et 10 ans ! Pour célébrer l’événement, les deux chefs de chœur Gildas Pungier et Christopher Gibert ont eu l’idée d’un concert (donné à l’Opéra de Rennes) qu’ils ont intitulé Dialogues, au cours duquel on aura l’occasion de « se replonger aux sources de la musique chorale allemande, dans laquelle la figure tutélaire du grand Jean-Sébastien Bach irrigue de son génie ses successeurs Mendelssohn et Brahms ». Deux dates sont prévues : les 21 et 22 décembre. Pour plus d’informations, c’est ici !
M. Choufleuri : Jean-Christophe Lanièce
Chrysodule Babylas : Kaëlig Boché
Ernestine : Aurélie Castagnol
Petermann : Marlon Soufflet
M. et Mme Balanchard : Thibault Givaja et Sylvie Becdelièvre
Choeur de chambre Mélisme(s), dir. Gildas Pungier
Monsieur Choufleuri restera chez lui le …
Opérette bouffe en un acte de Jacques Offenbach, livret du Duc de Morny et Ludovic Halévy, créée le 31 mai 1861 dans les salons du Corps législatif au palais Bourbon (Paris)
Opéra de Rennes, représentation du 6 décembre 2023, 14h30.