Un Messie au diapason de la joie de Noël

Déjà, en 2021, Gaëtan Jarry avait dirigé l’œuvre en ces lieux, avec un contre-ténor anglais habitué du Messie, qui venait de le chanter sublimement à Coventry, sous la direction de John Nelson[1].
Car c’est presque devenu une tradition : à chaque Noël, Versailles propose son Messie dans la grandiose Chapelle Royale. L’an dernier, c’était le célèbre contre-ténor Franco Fagioli qui dirigeait. S’en suivit la parution d’un enregistrement inégal, où une certaine fougue ne saurait faire oublier que le chef ne cherche pas véritablement à fouiller les somptueux détails de la partition[2]. De plus, sans aucunement démériter, Margherita Maria Sala, la contralto soliste choisie plutôt qu’un contre-ténor, n’emporte pas totalement l’adhésion – ce qui est aussi le cas du ténor Pablo Bemsch. Par contre, l’excellence des deux autres solistes, la soprano Marie Lys et la basse Alex Rosen s’impose. Tous deux brillaient d’ailleurs il y a peu lors du Messie proposé à la Seine Musicale ; ce soir encore, ils rayonnaient, tout comme les deux autres chanteurs.

© François Berthier

Après un passage par Uzès et Lyon, les artistes retrouvaient la Chapelle Royale pour deux autres concerts les 23 et 24 décembre. C’est peu dire que l’œuvre se prête à ce calendrier festif. Vingt trois instrumentistes et vingt-quatre choristes répondaient avec un engagement évident à l’enthousiasme du chef. Dès l’ouverture, le ton est clairement donné : allant, contrasté, sans brusquerie mais avec un dynamisme joyeux que rien n’obscurcira. Les tempi sont vifs tout au long de l’œuvre et Gaétan Jarry danse, sautille sans cesse, se hisse sur la pointe des pieds, accompagne chaque moment, chaque musicien avec une incroyable énergie, soucieux de différencier les climats.

L’orchestre est au diapason, avec des basses particulièrement expressives où se distinguait la puissance et la musicalité du violoncelle de Claire-Lise Demettre. Car si le violon de Fiona Poupart menait la danse – subtil et délicat comme toujours – la recherche d’une combinaison-fusion entre la contrebasse, le basson, les violoncelles et l’orgue positif donnait une couleur particulière à l’ensemble, au risque d’un léger déséquilibre avec les violons. Chloé de Guillebon passait fréquemment du clavecin à cet orgue positif qui nous enchantait lors de sa partie concertante du dernier air de soprano « If god be for us ». Les trompettes naturelles sonnaient triomphantes comme il se doit, le solo virtuose de Serge Tizac dans son dialogue avec la basse « The trumpet shall sound », était ce grand moment attendu : coruscant mais jamais martial[3]. Quant à la Pifa instrumentale, très subtilement travaillée par Gaétan Jarry, elle dessinait un vrai paysage bucolique où l’on croyait entendre les musettes et sentir le parfum des landes écossaises au son de la flûte à bec d’Arnaud Condé, délaissant un instant ses bassons.

Bien sûr, ce sont toujours les chœurs qui occupent la première place dans le Messie tout comme dans les autres oratorios de Haendel[4]. Et le Chœur de l’Opéra Royal répond à l’exigence du chef : impressionnant avec des fugues au cordeau, des vocalises idoines, des couleurs différenciées. De mini décalages du côté des basses au tout début n’altèrent en rien la grande qualité d’une prestation fouettée par les tempi rapides du chef (implacable tempête de « Let us break their bonds asunder ») où l’homogénéité et la précision de chaque mot et note chantés pourraient encore gagner en pertinence (et parfois en mystère comme dans « Since by man came death »). Mais il est vrai que l’acoustique réverbérée de la Chapelle Royale n’appelle pas toujours à la plus grande subtilité de nuances.

Reste un magistral plateau de solistes, investis dans une interprétation plus musicale que dramatique ou tirant vers l’opéra.
D’emblée, la voix puissante, jeune et ductile de Laurence Kilsby séduit par sa présence. Le ténor anglais aborde avec panache des vocalises qu’il savoure dans la cadence de son premier air « Ev’ry valley » et sa musicalité fait de chacune de ses interventions un moment de poésie.
Quelques jours après avoir incarné un formidable Néron dans l’enregistrement du Couronnement de Poppée de Monteverdi, puis le concert qui suivit, le contre-ténor Nicolò Balducci, chantait donc Le Messie. Avec une projection moindre que ses acolytes, il se fit charmeur dans « Thou art gone upon high », tragique dans « He was despised », toujours brillant dans ses vocalises.
Et l’on retrouvait donc Marie Lys et Alex Rosen. Lui, encore plus majestueux en concert qu’en disque, avec un timbre d’airain et des possibilités vocales impressionnantes (« The trumpet shall sound »). Elle, avec une agilité aérienne dans les vocalises et une grâce (« Rejoice greatly ! »), une égalité des registres et une élégance qui faisaient de l’air « I know that my redeemer liveth » le moment le plus bouleversant de la soirée.

L’Alleluia donné en bis, avec participation souhaitée du public, concluait un Messie joyeux, conquérant, qui enchanta la Chapelle Royale d’un habit de Noël lumineux.

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[1] Le concert enregistré à fait l’objet d’un magnifique enregistrement qui a reçu l’Appassionato, la haute récompense de Première Loge.

[2] Le coffret est paru chez Château de Versailles Spectacle : https://tickets.chateauversailles-spectacles.fr/merchandising/57188/cvs107-2cd-messiah.

[3] On retrouvait déjà Serge Tizac dans le concert de Laurence Equilbey et dans l’enregistrement de Sergio Fagioli.

[4] À ne pas rater : Israël en Egypte sera donné le 24 mars 2024 en cette même Chapelle Royale.

Les artistes

Marie Lys, soprano
Nicolò Balducci, contre-ténor
Laurence Kilsby, ténor
Alex Rosen, basse

Chœur et orchestre de l’Opéra Royal, dir. Gaétan Jarry

Le programme

Le Messie

Oratorio en trois parties de George Frederick Handel (1742), livret de Charles Jennens sur des textes tirés de la Bible
Chapelle royale de Versailles, concert du samedi 23 décembre 2023