Premier concert parisien de trois « Grandes Voix » d’exception
C’est par l’Ouverture de Dinorah que débute ce premier concert parisien donné par Golda Schultz et Amitai et Pene Pati au Théâtre des Champs-Élysées dans le cadre du cycle « Les Grandes Voix ». Joviale à souhait, ce n’est probablement pas la pièce la plus réussie de Meyerbeer. Quentin Hindley dirige Les Frivolités Parisiennes avec compétence, sachant juguler sans faille les dissonances d’une partition servant ce soir de mise en bouche aux prestations des chanteurs dont il soutient également l’interprétation de la manière la plus efficace. De Meyerbeer à Puccini, l’écart n’est pas des moindres.
C’est donc à Pene Pati de briser la glace par le premier air de Mario Cavaradossi, un personnage qu’il n’a pas encore abordé à la scène. Malgré la belle réussite secondée par un timbre toujours éclatant, le ténor samoan ne se montre pas entièrement à l’aise dans ce répertoire, butant notamment sur les doubles consonnes, impitoyables en italien, alors que dans d’autres contextes il maîtrise à la perfection la langue de Dante. Et si l’amant de Tosca est pour le moment prématuré, Don José l’est encore davantage, dans un duo de l’acte I où il sert surtout d’appoint à la Micaëla bien chantante de Golda Schultz. Ce n’est sûrement pas un défaut de vouloir élargir la palette de ses personnages et le concert est sans doute le lieu le plus idoine pour s’y essayer. Ainsi de la prière de l’acte II de Robert le Diable où nous retrouvons le Pene Pati que nous aimons, à l’aisance naturelle et à l’aigu bien placé, le rôle de Robert convenant vraisemblablement mieux aux moyens actuels de l’artiste. Le temps viendra pour Cavaradossi et peut-être pour Don José aussi. L’important étant de ne pas brûler les étapes.
© D.R.
Le public français connaît bien le Roméo de Pene Pati, pour l’avoir entendu à l’Opéra de Bordeaux en mars 2020 puis à l’Opéra-Comique en décembre 2021. Il retrouve ce soir le sens de la nuance, le diminuendo prodigieux, le rayonnement solaire de l’air de l’acte II, précédé d’un madrigal du I, où lui donne la réplique la Juliette enjouée de Golda Schultz ; il est à son tour introduit par les prouesses de l’air de présentation de l’héroïne shakespearienne, un enchantement dans les variations à la fois des teintes et des sonorités. Après un air de Magda dans La rondine puccinienne, gracieusement chanté, la cantatrice sud-africaine se distingue par une Micaëla que le spectateur parisien a déjà eu l’occasion d’apprécier, très intense et tout particulièrement remarquable dans les passages de transition.
Si son Adina paraît quelque peu surjouée, un rien trop vériste dans des éclats de rire assez triviaux, sa ligne est soignée et elle déploie une belle complicité avec le Nemorino d’Amitai Pati, au jeu scénique engagé.
Jusqu’à présent, le jeune frère Pati a peu chanté à Paris. On se souvient néanmoins de ses débuts marquants, en concert à la Philharmonie, en mars 2020, quelques jours avant le premier confinement, dans le rôle de Nadir des Pêcheurs de perles. Le phrasé soigné d’« Una furtiva lagrima » fait revivre un personnage qu’il partage au répertoire avec son aîné, tout comme Alfredo Germont dont ils abordent à deux voix l’air de l’acte II, avec cabalette, en guise de conclusion de la première partie du concert, un brin granguignolesque néanmoins, malgré les jolies rondeurs des intonations de Pene. Légèrement maniéré, l’Ernesto d’Amitai ouvre le second volet, dans une sérénade qui se singularise à la fois par une bonne élocution et un legato exemplaire.
Après un alerte Charleston de Reynaldo Hahn dont on relève l’effet heureux des vents, nous sommes déjà dans le domaine des bis : « Be my love », joliment interprété par Amitai Pati ; « The Glamorous Life », rendu par la seule voix de Golda Schultz, manquant quand même d’un zeste d’entrain ; « Dein ist mein ganzes herz », proposé encore à deux par les frères Pati, bien que Pene soit prépondérant au début, créant un beau contraste entre la tonalité claironnante de ce dernier et les résonnances plus graves de son cadet ; les deux chansons de Charles Trenet, entonnées à trois, mettant de l’ambiance et réjouissant les spectateurs. Entre rythmes et chansons traditionnelles, accompagnées à la guitare hawaïenne – Juan Diego Flórez docet –, la soirée se conclut dans une atmosphère quelque peu exotique, planant entre la méditation d’un amoureux transi des îles Samoa et les cris guerriers de Nouvelle Zélande, récupérés par le monde du rugby. Le public est aux anges !!!
Nous retrouverons bientôt les frère Pati à l’Opéra Bastille où il partageront l’affiche de Beatrice di Tenda de Bellini dans les rôles d’Orombello (Pene) et d’Anichino (Amitai). Des artistes à qui la scène sied sans doute mieux que le concert. Cela dit, nos trois interprètes de ce soir ont aussi su donner beaucoup de verve et d’humain.
Amitai Pati, ténor
Pene Pati, ténor
Golda Schultz, soprano
Les Frivolités Parisiennes, dir. Quentin Hindley
Giacomo Meyerbeer – Le Pardon de Ploërmel, Ouverture
Giacomo Puccini – Tosca, « Recondita armonia » (Mario Cavaradossi) Pene Pati
Giacomo Puccini – La Rondine, « Chi il bel sogno di Doretta » (Magda) Golda Schultz
Gaetano Donizetti – L’elisir d’amore, « Lallarallara… Chi è mai quel matto? » (Adina, Nemorino) Golda Schultz, Amitai Pati
Gaetano Donizetti – L’elisir d’amore, « Una furtiva lagrima » (Nemorino) Amitai Pati
Georges Bizet – Carmen, « Parle-moi de ma mère » (Don José, Micaëla) Golda Schultz, Pene Pati
Georges Bizet – Carmen, « Je dis que rien ne m’épouvante » (Micaëla) Golda Schultz
Giacomo Meyerbeer – Robert le Diable, « Oh ! ma mère, ombre si tendre » (Robert) Pene Pati
Giuseppe Verdi – La Traviata, « De’ miei bollenti spititi » (Alfredo) Amitai Pati, Pene Pati
Gaetano Donizetti – Don Pasquale, « Com’e gentil » (Ernesto) Amitai Pati
Charles Gounod – Roméo et Juliette, « Je veux vivre » (Juliette) Golda Schultz
Charles Gounod – Roméo et Juliette, « Ange adorable » (Roméo, Juliette) Golda Schultz, Pene Pati
Charles Gounod – Roméo et Juliette, « Ah ! Lève-toi soleil » (Roméo) Pene Pati
Reynaldo Hahn – Le Temps d’aimer, Charleston
Nicholas Brodszky, « Be my love » Amitai Pati
Stephen Sondheim – A little Night Music, « The Glamorous Life » (Fredrika Armfeldt, Desiree Armfeldt, Madam Armfeldt and Quintet) Golda Schultz
Franz Lehár – Das Land des Lächelns, « Dein ist mein ganzes herz » (Prinz Sou-Chong) Amitai Pati, Pene Pati
Charles Trenet, « La Mer » Amitai Pati, Pene Pati, Golda Schultz
Charles Trenet, « Boom » Amitai Pati, Pene Pati, Golda Schultz
Paris, Théâtre des Champs-Élysées, concert du lundi 8 janvier 2024