C’est un peu comme si les Ondines de Rusalka avaient franchi les Alpes pour s’installer en Toscane et se changer en Villi ! Alors que les représentations du chef-d’œuvre de Dvořák s’achèvent, l’Opéra Royal de Wallonie-Liège rend hommage à Puccini avec deux œuvres rares : la Messa di Gloria et Le Villi. Le public, très attentif et quelque peu réservé pendant le concert, laisse littéralement éclater son enthousiasme à la fin du spectacle !
Les 100 ans de la disparition de Puccini semblent laisser la France assez indifférente : ce n’est pas en programmant une simple reprise de Tosca, La bohème ou Turandot que l’on rendra hommage au musicien, ces opéras faisant partie des incontournables de toute programmation lyrique… Pour trouver un peu d’originalité, il faut quitter l’hexagone… sans nécessairement aller très loin : ainsi l’Opéra Royal de Wallonie-Liège vient de célébrer le maitre lucquois par un concert d’une belle originalité, de grande qualité et très chaleureusement accueilli par les spectateurs venus nombreux, apportant ainsi la preuve qu’on peut remplir une salle et enthousiasmer le public avec un programme sortant des sentiers battus…
En ce concert du 3 février, deux œuvres de jeunesse rarement entendues : la Messa di Gloria, composée en 1880 par un Giacomo tout juste âgé de 22 ans, et Le Villi (1884), l’un de ses opéras les moins souvent représentés. Deux œuvres particulièrement attachantes, parce qu’on y entend, en germe, tout ce qui fera le génie du musicien quelques années plus tard : originalité et richesse de l’orchestration, invention mélodique très personnelle, sens très sûr de l’effet dramatique… Des deux œuvres, la Messa n’est pas la plus facile à réussir : il s’agit de trouver le juste équilibre entre une (relative) retenue, nécessaire à toute œuvre de caractère sacré, et le non moins nécessaire abandon, la non moins nécessaire chaleur sans laquelle Puccini ne serait plus Puccini. Giampaolo Bisanti y parvient brillamment : sous sa baguette, les forts contrastes qui émaillent la partition sont marquants sans verser dans un dramatisme hors de propos, les motifs doux et tendres (l’introduction du « Kyrie », par exemple) ne deviennent jamais sucrés, le « Gloria » est alerte et léger tout en échappant au côté « sautillant » qu’on y entend parfois, le choix des tempi est toujours adapté à l’expression de la foi qui se fait jour dans tel ou tel passage du texte liturgique (on est cependant un peu surpris du tempo quelque peu rapide de l’ « Agnus Dei »…). Le chef italien est superbement secondé par un orchestre en grande forme et des chœurs qui tantôt inscrivent très justement l’œuvre dans une certaine filiation verdienne (le « Qui tollis », par exemple), tantôt renouent avec une écriture fuguée « à l’ancienne » (le « Cum sancto Spiritu »). Si la voix de Matteo Lippi peut encore gagner en suavité dans l’ « Et incarnatus est », le ténor se montre assez idéal dans le « Gratias » qu’il illumine d’une lumière chaleureuse et tendre.
On retrouve Matteo Lippi dans Le Villi, où il incarne un Roberto au lyrisme assez irrésistible. Son « Torna ai felici di », fort émouvant et écouté religieusement, est très chaleureusement accueilli par un public conquis. Sa partenaire Maria Teresa Leva impressionne par une projection à la facilité déconcertante, surtout dans le haut médium et l’aigu. Fort heureusement, elle ne se contente pas de faire valoir sa puissance mais prend soin de polir sa ligne de chant en y apportant de belles nuances, notamment dans le célèbre « Se come voi piccina », fort joliment phrasé, qu’elle couronne, comme Caballé ou Gheorghiu autrefois, d’un aigu inattendu.. Claudio Sgura apporte au concert une contribution de qualité : si lors de sa toute première intervention dans la Messa, le vibrato est un peu large, il est vite maîtrisé une fois la voix chauffée, et son « No, possibil non è » exprime au mieux toute la noblesse et la douleur d’un père meurtri.
Excellent choix que celui des Villi pour mettre en valeur les qualités d’un orchestre lyrique ! Des raffinements de l’introduction du « Se come voi piccina » (qui préfigure nettement la poésie de certaines pages de Bohème…) à l’incroyable rutilance du sabbat de l’interlude, l’orchestre de l’Opéra déploie son impressionnant savoir-faire, avec notamment des cordes soyeuses et des cuivres impeccables de précision. Giampaolo Bisanti ne ménage pas sa peine pour rendre justice à cette partition flamboyante : d’un geste à la fois ample et élégant – et à l’infaillible précision -, il galvanise ses troupes dont il tire, une fois encore, le meilleur.
Si l’on reconnaît un bon chef d’opéra à sa capacité à tirer son orchestre vers le haut, à élargir le répertoire de sa maison, à son aptitude à diriger des œuvres aux esthétiques diverses et variées, alors aucun doute n’est possible : Giampaolo Bisanti est un excellent chef d’opéra ! Le public liégeois l’a bien compris, qui accueille une fois encore sa prestation avec enthousiasme et reconnaissance.
Maria Teresa Leva : Anna (Le Villi)
Matteo Lippi : Roberto (Le Villi) / Ténor (Messa di Gloria)
Claudio Sgura : Guglielmo (Le Villi) / Baryton (Messa di Gloria)
Opéra et Chœur de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, dir. Giampaolo Bisanti
Giacomo Puccini
Messa di gloria (1880)
Le Villi
Opéra-ballet en deux actes, livret de Ferdinando Fontana, créé au Teatro Dal Verme de Milan le 31 mai 1884
Opéra Royal de Wallonie-Liège, concert du samedi 3 février 2024.