Gênes, Teatro Carlo Felice – Idomeneo – 16 février 2024
Cette production d’Idoménée, dans la mise en scène de Matthias Hartmann, est représentée pour la première fois à Gênes, après avoir essuyé les planches de la Scala de Milan. L’opéra Carlo Felice, pour ce spectacle, a fait des choix ambitieux et assumé des prises de risques qu’il faut saluer, d’autant qu’elles s’avèrent payantes : une mise en scène au décor peu conventionnel et potentiellement clivants, et surtout le pari de la jeunesse. Trois des quatre rôles principaux sont assurés par des chanteurs trentenaires, tous en prise de rôle, et face à l’orchestre, c’est son quadragénaire et pétulant directeur, Riccardo Minasi, qui reprend la main après une longue série de spectacles confiés à des – très expérimentés – chefs invités.
La jeunesse des interprètes vient compenser une mise en scène certes ambitieuse et efficacement visuelle, mais qui pâtit du manque de soin dans les détails. Le décor est composé d’éléments imposants qui occupent toute la scène, et figurent un cimetière marin, celui des ruines symboliques de la Crète : une carcasse de bateau, une immense tête de taureau évoquant évidemment le Minotaure et faisant écho aux complexes relations – familiales, sociales, amoureuses – qui se nouent dans l’opera seria de Mozart, et, complétant le décor, de grands coquillages. Dans le gigantisme de ce décor tournant, d’un fort impact visuel, les personnages sont renvoyés à leur petitesse et à leur fragile humanité. Mais ils évoluent aussi dans un espace restreint, qui limite les possibilités de déplacements et donc les possibilités de dynamiser la pièce, avec son alternance entre récitatifs et airs. Privés de profondeur de scène – et, semble-t-il, d’une solide direction d’acteurs – les interprètes peinent parfois à offrir un jeu convaincant. Mais là où pèche, selon nous, véritablement la mise en scène, c’est dans le manque de soin apporté à certains détails : les costumes, hétérogènes et indéfinis, sont parfois franchement de mauvais goût, comme ceux d’Idamante et d’Electre, ou les inconcevables perruques frisées dont sont affublées certaines choristes ; les gestuelles sont stéréotypées, en particulier celles des femmes (Ilia qui effeuille une rose, Electre qui se caresse avec le manteau d’Idamante) ; enfin les intermèdes dansés, de style néo-classique, n’apportent rien à la pièce, dispersent l’attention et, comme les costumes et les gestuelles, laissent une fâcheuse impression de flou ou d’amateurisme qui ne correspond pas à la haute qualité générale du spectacle. En revanche, malgré des peintures corporelles d’un goût douteux, il faut saluer le groupe de danseurs qui remplit et anime la scène durant tout le spectacle, donnant une forme plastique aux angoisses refoulées des personnages, figurant tantôt des diables, des faunes, ou les vagues meurtrières de Neptune.
Dans la fosse, le maestro Minasi se trouve avec Mozart en terrain familier, et insuffle à la partition une grande dynamique, parvenant à créer un tissu orchestral vivant, brillant, fluide, traversé de fortes nuances et de grandes respirations. Il n’hésite pas à prendre des risques – c’est bien pour eux que l’on va à l’opéra – et ne parvient malheureusement pas à éviter quelques légers décalages entre scène et fosse, notamment dans les arias, qui seront sans doute corrigés dans les représentations suivantes. Saluons les grandes qualités de l’orchestre, et en particulier ici la petite harmonie (flûte et hautbois en tête), superbe dans l’acte II en particulier lors des chorus, comme celui de « Se il padre perdei ».
Sur scène, se retrouvent Cecilia Molinari et Benedetta Torre, qui avaient déjà chanté ensemble dans le Béatrice et Bénédict de Berlioz en ouverture de la saison génoise en 2022. Ici encore fonctionne à merveille l’alliance entre les tonalités sombres et charnues de la voix de la mezzo Cecilia Molinari, et de celle, plus claire, de la soprano Benedetta Torre. On peut admirer de nouveau les qualités individuelles de chacune d’entre elles : C. Molinari se distingue par une voix très agile, par exemple dans « Il padre adorato » ; B. Torre, au-delà de la technicité, par une belle expressivité et un jeu naturel et nuancé, en particulier dans « Padre, germani, addio » et « Fior sinceri ». Très belle surprise que le jeune ténor Antonio Poli dans le rôle-titre : à une voix très colorée, pleine, chaude, s’ajoutent des qualités théâtrales, un beau volume, une apparente facilité dans les passages les plus difficiles, qui ont emporté l’enthousiasme du public génois, qui a notamment beaucoup applaudi son « Fuor del mare », à raison ! Complète le quatuor l’Electre de Lenneke Ruiten (applaudie en juin 2022 dans Les Huguenots à Bruxelles), au timbre puissant, et qui livre une impressionnante performance lors de sa dernière scène, proprement habitée par la folie de son personnage. Les scènes d’ensembles, duos, trios, quatuor, sont particulièrement réussies et émouvantes. Saluons enfin le chœur, qui dans ses nombreux numéros se montre à la hauteur de cette production ambitieuse.
Idomeneo : Antonio Poli
Idamante : Cecilia Molinari
Ilia : Benedetta Torre
Elettra : Lenneke Ruiten
Arbace : Giorgio Misseri
Gran Sacerdote : Blagoj Nacoski
Voce di Nettuno : Ugo Guagliardo
Due cretesi : Lucia Nicotra, Maria Letizia Poltini
Due troiani : Damiano Profumo, Franco Rios Castro
Orchestre et choeurde l’Opera Carlo Felice
Chef de choeur : Claudio Marino Moretti
Violoncelle : Antonio Fantinuoli
Clavecin : Sirio Restani
Direction musicale : Riccardo Minasi
Ballet Fondazione Formazione Danza e Spettacolo “For Dance” ETS
Mise en scène: Matthias Hartmann
Décors : Volker Hintermeier
Costumes : Malte Lübben
Chorégraphie : Reginaldo Oliveira
Lumières : Mathias Märker / Valerio Tiberi
Idomeneo
Opera seria en trois acte de W. A. Mozart, sur un livret italien de l’abbé Varesco, créé le 29 janvier 1781 à l’Opéra de Munich.
Teatro Carlo Felice, Gênes, représentation du 16 février 2024.