Opéra d’Avignon : Atys revit !
Il faut d’abord oublier Atys avant de le redécouvrir.
Oublier surtout le choc musical et visuel de la découverte à l’Opéra Comique en janvier 1987 via le spectacle historique de William Christie et Jean-Marie Villégier[1]. Oublier aussi les autres interprétations, comme celle, foisonnante, de Leonardo Garcia Alarcon ou le récent enregistrement de Christophe Rousset, qui souhaitait ainsi « donner à ce chef d’œuvre une couleur et une énergie nouvelles »[2].
Car il s’agit bien d’une autre re-création : la couleur et l’énergie les plus neuves sont à trouver dans le spectacle proposé à Avignon, suite à un travail musicologique d’exception mené, depuis cinq années, par le Centre de Musique Baroque de Versailles[3] sous la houlette de l’infatigable Benoît Dratwicki. Mais ce travail de fond ne serait rien sans l’investissement de tous les instants d’Alexis Kossenko, sans l’engagement et l’excellence des instrumentistes, sans le travail minutieux des facteurs tel Henri Gohin, convoqués pour re-créer les hautbois et cromornes de l’époque même de Lully. Le résultat sonore est confondant.
L’histoire de cette grande tragédie lyrique est celle d’un amour doublement déçu et trompé. Atys, confident du le roi Célénus, aime Sangaride, qui doit épouser le souverain. La déesse Cybèle, amoureuse d’Atys, attend de lui une réciprocité. Mais Atys, au nom de la déesse, rompt les noces de Célénus et trahit son roi. Il s’enflamme pour sa belle. Pour le punir, Cybèle use de magie : Atys tue alors Sangaride. Revenu de son errance, horrifié par son acte, il se donne la mort. Et Cybèle reste seule face à sa terrible vengeance. « Que le malheur d’Atys afflige tout le monde… »
L’orchestre des Ambassadeurs – La Grande Écurie est superlatif, emmené par Alexis Kossenko dont la direction énergique, impétueuse ou rêveuse, reflète un geste musical passionné toujours en situation. Dans la fosse, suivant la partition de Versailles, c’est la forêt des vingt quatre Violons du roi – instruments reconstitués entre 2007 et 2011 pour le CMBV – qui recrée l’originalité de l’orchestre à la français, avec dessus, haute-contre, tailles, quintes et basses de violon. Les vingt quatre musiciens sont disposés de façon très originale, puisque le chef s’en trouve au centre. S’y ajoute un percussionniste et une basse continue de sept musiciens, emmenés par le magnifique clavecin de Béatrice Martin, colorant la partition de tous ses registres avec sensibilité et a-propos. Deux théorbes, deux basses de viole (dont celles d’Ondine Lacorne-Hébrard et de Salomé Gasselin, récemment distinguée aux Victoires de la Musique) et deux basses de violon assument donc l’essentiel des accompagnements avec de belles couleurs changeantes.
© Marc Dumont
Alors, où sont les vents ? Dès la première gavotte, les voici qui s’avancent sur le devant de la scène avec leurs instruments aux sonorités triomphantes. Verdeur, originalité des timbres, gradation des contrastes : un pur bonheur.
© Studio Delestrade – Avignon
Je me souvenais alors d’une conversation qui m’avait marquée avec Jérémy Papasergio, il y a une trentaine d’années. Il me parlait avec enthousiasme de la redécouverte des cromornes. Sur scène, l’aboutissement d’un travail de facture de longue haleine se voyait avec sa basse de cromorne de 2 mètres 10 ! Et logiquement, comme à l’époque, cette joyeuse bande troquait de temps à autre ses hautbois pour les flûtes.
Photo issue de la publication sur Facebook, par le CMBV, du travail de préparation du spectacle.
Dans cet écrin musical ouvrant de nouvelles perspectives sonores, les voix lullystes étaient au rendez-vous d’une distribution homogène de luxe. A commencer par le passionnant travail sur les chœurs, leurs couleurs et effectifs à géométrie variable. Pages et des Chantres du CMBV, emmenés par Fabien Armengaud, révèlent un travail d’articulation et de phrasé qui rendait justice aux mots de Quinault comme à la musique lullyste.
Tous les « petits » rôles étaient au diapason, de la douce Flore de Virginie Thomas à l’apaisante Doris d’Hasnaa Bennani ; de la belle présence de Mélisse d’Eléonore Pancrazi au Morphée envoutant de Carlos Porto et à ses complices du quatuor du sommeil. Parmi les quatre personnages principaux, le baryton Tassis Christoyannis donne à son personnage de roi une grande noblesse de voix et de port mais aussi une grande humanité.
« Atys est trop heureux » d’être aimé d’une telle Sangaride, campée par Sandrine Piau, égale à elle-même, c’est à dire dans la tendresse et le souffle. Touchante, elle est à nouveau la rivale de Véronique Gens[4], l’implacable déesse.
Après son triomphe dans Alceste[5] il y a quelques semaines, la soprano retrouvait, avec Atys, une partition qu’elle pourrait chanter intégralement par cœur, elle qui en 1986-87 faisait déjà partie du petit chœur, avant de jouer Melpomène puis peu à peu, logiquement, trouvant la voie de la déesse. Son timbre, sa voix, sa présence rendent toutes les facettes d’un personnage terrible et touchant.
Matthias Vidal, engagé comme il sait l’être, donne au rôle-titre une dimension tragique très expressive. Par son timbre et sa diction, par sa gestique aussi, il dessine un Atys amoureux, sensible, brûlant et très humain, hanté par ses conflits intérieurs
Mais alors, d’où vient ce léger sentiment de frustration en sortant du spectacle ? Le fait que les récitatifs – c’est à dire l’essentiel de la partition – ne soient pas libres mais mesurés[6] propose une déclamation manquant de relief, ce qui a tendance à rendre moins souple diction et direction, moins libres des ornements qui sont d’ailleurs limités. Il n’est pas certain que le chant y gagne en expression et la musique en diversité.
Par ailleurs, les tempos choisis sont parfois un peu trop rapides, comme dans la scène du sommeil d’Atys ou lors du plus bel air de la partition, le bouleversant « Espoir si cher et si doux » de Cybèle qui clôt le troisième acte. On aimerait alors suspendre le temps – de même que l’on souhaiterait globalement plus de silences, de contrastes – de tragique.
Quant à la mise en espace, elle est conduite a-minima et se révèle problématique, installant deux pupitres à cour et deux à jardin pour les chanteurs, relayant les chœurs en fond de scène, ce qui n’est pas musicalement le plus flatteur, afin de laisser la place à une chorégraphie contemporaine peu convaincante car souvent en rupture avec l’esprit de la tragédie.
© Studio Delestrade – Avignon
Les danseurs courent beaucoup, tapent des talons, occupent l’espace, empêchant de se concentrer sur les splendeurs musicales, comme ce fut le cas au moment de la mort d’Atys ou lors de la sublime scène du sommeil[7]. Etait-ce bien utile ?
Car le bonheur musical était au rendez-vous avec les instrumentistes et la bande des hautbois en portes-drapeau d’une recréation : Atys revit, une fois de plus. Encore !
N.B. : spectacle repris à l’Atelier Lyrique de Tourcoing (17 mars) et au Théâtre des Champs-Elysées à Paris (26 mars).
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[1] La version fut reprise en 2011 dans la mise en scène d’origine et captée de façon optimale, visible en blu-ray ou ici : https://www.youtube.com/watch?v=HV6kr2BOBtA
[2] Intégrale qui vient de paraître chez Chateau de Versailles Spectacle.
[3] Il faut consulter les sources de ce formidable travail que le CMBV a la bonne idée de rendre accessibles à tous. Un trésor ! https://cmbv.fr/fr/tous-les-projets/atys-lully?fbclid=IwAR0V21d6gIqC2XXYeVfE5S8vITNECZdYR-aUA6IovitBhcGtK0fguBi7DdU
[4] Je pense ici à leur disque et concerts intitulés « Rivales », où les deux sopranos sont accompagnées par Julien Chauvin et son Concert de la Loge. (Chez Alpha, 2022). Voyez également le compte rendu de leur concert donné au TCE en avril 2022.
[5] Voir le compte rendu : https://www.premiereloge-opera.com/article/compte-rendu/concert/2024/02/01/versailles-alceste-lully-les-epopees-critique-veronique-gens-cyril-auvity-nathan-berg-guilhem-worms-camille-poul-leo-vermot-desroches-claire-lefilliatre-cecile-achille-stephane-fuget/
[6] Ceci afin de respecter le rythme de Lully comme l’explique le carnet de bord de la production, disponible via la note 3.
[7] La chorégraphie sera présente le 17 à Tourcoing, mais pas au Théâtre des Champs Élysées le 26.
Atys : Matthias Vidal
Cybèle : Véronique Gens
Sangaride : Sandrine Piau
Célénus : Tassis Christoyannis
Doris : Hasnaa Bennani
Flore / Une divinité : Virginie Thomas
Melpomène et Mélisse : Éléonore Pancrazi
Idas / Phobétor : Adrien Fournaison
Le Temps / Un songe funeste / Le fleuve Sangar : David Witczak
Zéphyr / Morphée / Dieu du fleuve : Antonin Rondepierre
Les Pages et Chantres du CMBV – Direction artistique : Fabien Armengaud
Les Ambassadeurs – La Grande Écurie – Alexis Kossenko, direction
Ballet de l’Opéra du Grand Avignon – Chorégraphie : Victor Duclos
Atys
Tragédie lyrique en cinq actes avec prologue de Jean-Baptiste Lully, livret de Philippe Quinault, créée le 10 janvier 1676 à Saint-Germain-en-Laye.
Opéra d’Avignon, représentation du 9 mars2024.