NABUCCO salle Gaveau : Plácido Domingo déplace toujours les foules !
Nabucco, Salle Gaveau, jeudi 4 avril 2024
Concert exceptionnel d’un monstre sacré et de talents très prometteurs
Nabucco ou Zaccaria ?
Salle comble ce jeudi 4 avril à Gaveau. L’opération marketing autour du nom de Plácido Domingo fonctionne toujours et fait déplacer les foules !!! Certes, il est légitime de se demander si le même résultat aurait été atteint dans un auditorium d’autres dimensions, tel que la Philharmonie ou même l’Opéra Bastille. Cependant, force est de constater que, pour une version de concert de Nabucco, avec une distribution similaire et un autre baryton à la place de notre chanteur-vedette, même Gaveau aurait sans doute eu du mal à afficher complet. Tout cela pour dire que, au-delà de tout égocentrisme exacerbé – qui ne nous semble pas, par ailleurs, affecter outre mesure l’artiste espagnol –, il est très louable de donner à de jeunes interprètes une occasion en or de se produire devant un public nourri et, par-là même, de mieux se faire connaître.
Nous savons que le rôle de Zaccaria est probablement plus étoffé et plus exigent que celui du roi de Babylone. Et Marko Mimica est loin d’être un débutant, ayant incarné le grand pontife sur bien des scènes internationales depuis une bonne dizaine d’années. La profondeur de son timbre, de ses notes graves, impressionne dès sa cavatine d’introduction, la cabalette ne manquant nullement de vaillance. Sa prière de l’acte II – plus exactement, la deuxième partie – est saisissante d’intensité, autant que la prophétie du IIIe est inquiétante d’autorité.
Ayant déjà abordé le personnage en Russie et en Grèce, et encore très récemment à Trieste, Olga Maslova montre une aisance très appréciable en esclave-usurpatrice. Abigaille-Turandot, dans la lignée des Callas, Cerquetti (qui n’aborda jamais la princesse de glace) et d’autres Dimitrova, elle en a aussi le look. Dès lors, elle investit de toute sa véhémence le trio de l’acte I, se distinguant d’emblée par une excellente maîtrise des notes du haut du registre et par un savant legato. Dans sa grande scène de l’acte II, elle sait varier les couleurs du récitatif, rendant percutante la ductilité de son phrasé, quand il s’agit d’inspirer la terreur. De belles notes filées rendent la cavatine aérienne, alors que la cabalette, toute d’une pièce, s’orne de trilles séduisants. Émouvante dans la mort, elle y renouvelle le recours à un filato d’exception.
Entre ces deux poids lourds du belcanto, il est évident qu’aucune consigne n’a été donnée pour ne pas faire d’ombre au maître des lieux. Nabucco au timbre toujours trop clair, notre ténor-baryton ne fait guère peur au sein de l’ensemble du finale I (« Tremin gl’insani – del moi furor… »), surtout si on compare sa réaction à l’arrogance de Zaccaria. Peu convaincant dans la folie, il trouve néanmoins une partenaire idéale dans une Abigaille impérieuse, pendant leur duo de l’acte III, où l’émulation a un effet bénéfique. Dramatique dans le récitatif de son grand air de l’acte IV, il livre une cavatine d’une rare intensité que suit une cabalette assez laborieuse, mal soutenue par le chœur.
Place à la jeunesse
Nous avions découvert Matteo Roma à l’occasion d’une sorte de concert de fin d’études, il y a moins de quatre ans. Depuis, le ténor italien a fait son bonhomme de chemin et il faut reconnaître qu’il s’engage dans cette prise de rôle avec panache. Nous en sommes à regretter que le personnage d’Ismaele ne soit pas plus riche, tant ce timbre juvénile est envoûtant dès les premières répliques de l’introduction, puis dans son dialogue avec le chœur, à l’acte II ; la souplesse de l’aigu fera le reste, notamment dans le trio avec les deux sœurs supposées, vraisemblablement le moment le plus captivant du concert. Il se distingue aussi par une diction exemplaire, comme la plupart de ses acolytes, d’ailleurs, l’exécution étant donnée sans sur-titrage. Débutant aussi dans le rôle, Elmina Hasan est une Fenena à la ligne bien articulée, notamment dans la prière de l’acte IV, avec Zaccaria. Basse au grave superbe, Inho Jeong est un grand prêtre au timbre chaud et caverneux. Émilien Marion et Lucie Peyramaure sont respectivement un Abdallo et une Anna de bonne école.
Une œuvre de chœurs
Nabucco est un opéra de chœurs par excellence . Le Chœur de Paris, composé d’amateurs, fait preuve d’une belle implication mais manque cependant d’éclat. Si nos sources sont bonnes, Leonardo Sini dirige pour la première fois le troisième titre verdien, tout en ayant une bonne expérience des partitions du maestro. Il mène avec enthousiasme un Orchestre Colonne aux vents parfois lourds, aux cuivres tantôt bruyants et aux vents occasionnellement fâchés avec la justesse. Une mention néanmoins pour les flûtes et la harpe.
Un concert qui fait donc place à la jeunesse, autour d’un vénérable monstre sacré, à qui nous savons gré d’encourager la relève.
Nabucco : Plácido Domingo
Abigaille : Olga Maslova
Ismaele : Matteo Roma
Zaccaria : Marko Mimica
Fenena ; Elmina Hasan
Il Gran Sacerdote : Inho Jeong
Abdallo : Émilien Marion
Anna : Lucie Peyramaure
Orchestre Colonne, dir. Leonardo Sini
Le Chœur de Paris, dir. Till Aly
Nabucco
Dramma lirico en quatre parties de Giuseppe Verdi, livret de Temistocle Solera, créé à la Scala de Milan le 9 mars 1842.
Paris, Salle Gaveau, concert du jeudi 4 avril 2024.